Dans le cochon breton, tout est-il vraiment bon ?
La Bretagne, numéro 1 de l’élevage concentrationnaire et des algues vertes
"Y a pas à tortiller, ils sont
forts nos éleveurs de porcs"... C’est avec ce slogan choc qui
fleure bon la ruralité que les intéressés vont mener une campagne
de communication tous azimuts par l’intermédiaire de la marque VPF
(Viande de porc français) qui regroupe les éleveurs, les
coopératives, les entreprises de la viande et les distributeurs (1). Ils
déclarent en substance : "Nos conditions d’élevage sont les
plus exigeantes tant en matière d’alimentation que de respect de
l’environnement.« Et ajoutent : »98 % de nos élevages sont
des exploitations familiales." Il y a là une belle ambiguïté
sémantique. Car, pour le consommateur, une "exploitation
familiale« est forcément à »taille humaine". Or, un
élevage peut très bien être à la fois familial, industriel et
concentrationnaire.
L’association L214 est allé voir du côté de la Bretagne ce qui se passait en matière d’élevage de porcs.
Rupture mentale
La Bretagne, c’est un peu les mamelles de la France : sur un territoire qui correspond à 7 % de la surface agricole du pays, elle trouve le moyen d’accueillir 50 % des élevages de porcs et de volailles de chair. Les vaches laitières n’arrivent pas loin derrière. (2)
Là, on est loin des cartes postales pour touristes en mal d’authenticité. Bagads, binious et Paimpolaises, marins perdus et marées hautes, on oublie. On se concentre sur l’invasion des algues tueuses, les nitrates en veux-tu en voilà, les rivières qui charrient toutes sortes de choses qui n’y étaient pas avant... Avant que de hautes autorités, techniciens efficaces et politiques pragmatiques, ne mettent au point, savamment, patiemment, ce qui aujourd’hui en vient à poser de sérieux problèmes environnementaux et, en prime, à produire de la souffrance à la chaîne : les élevages industriels.
" A la suite de quelle rupture mentale a-t-on accepté la barbarie de l’élevage industriel ? " demande Fabrice Nicolino dans son livre Bidoche (3). La question, il faut la poser aux éleveurs mais aussi aux industriels de l’agro-alimentaire (à qui profite le crime...) et aux consommateurs eux-mêmes car, comme le faisait cyniquement remarquer un représentant du lobby viande, " ils sont bien contents de pouvoir trouver du porc pas cher ". Et du poulet, et de la dinde... Pour l’anecdote, un Français consomme en moyenne 92,5 kg de viande dont 35,2 kg de porc chaque année... Tout le reste est exporté.
Un peu d’imagination
Mais revenons à nos Bretons... Atteindre des productions record, devenir le champion de la production de la viande sur pattes, cela ne se fait pas d’un coup de baguette magique. Le porc, par exemple. Sachant que la production porcine de la France s’élève à environ 27 millions de têtes, que les campagnes bretonnes, année après année, en hébergent plus de la moitié (55 %)... (2) Comment est-ce possible ?
Il faut un peu d’imagination, c’est vrai. Concevoir la possibilité, dans ce qui fut jadis "la campagne" et qui n’est plus que zone d’élevage, de bâtiments interminables où sont alignées dans des stalles comme des morts dans leur cercueil des truies épuisées dont les sept paires de mamelles sont prises d’assaut par des porcelets tout juste nés. Dès l’âge de cinq ou six jours, ils vont entrer en contact avec la pince coupante. On leur cisaille à vif la queue et les testicules, ça leur apprendra à vivre. Mais est-il bien question de vivre ? Pas longtemps en tout cas. Quant à leur pauvres mères, lorsqu’on leur arrache leurs petits c’est pour qu’elles en refassent d’autres. L’insémination est une invention formidable. Au bout de quelques années de ce régime, il faudra traîner les bestioles à l’abattoir. Mais la saucisse sèche, Bruno Le Maire ne saurait s’en passer. Il aime la viande, il l’a dit... La Bretagne concentre à elle seule les plus gigantesques élevages français, véritables usines à gros rendement de mort aseptisée... La plupart ont aussi leur service "abattoir". On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Que vivent les bêtes, là, dans ces enclos informatisés, climatisés, déshumanisés, sponsorisés par des aides de la commune, du département, de la région, de la France, de l’Europe ? Qui s’en soucie ? Quant à l’argent, il vient du contribuable mais, en contrepartie, le contribuable paiera son boudin au prix de la merde. Pas cher.
Saint Cochon, priez pour nous
On parle beaucoup du "bien-être animal". Des réglementations existent, tant et tant qu’une truie n’y retrouverait même pas ses petits. Mais peut-on réglementer l’enfer ? D’ailleurs, elles ne sont même pas respectées. Une plainte vient d’être déposée auprès de l’UE par Alsace Nature, qui est soutenue par plusieurs associations, pour non respect de la directive 2008/120/CE qui concerne la maltraitance des porcs dans les élevages. (4)
En France, 99 % de la production porcine est hors sol. Si cela doit perdurer, il est inutile d’envisager un quelconque "bien-être animal". Les fêtes villageoises que l’on appelle avec un rare sens de l’à-propos des "saint-cochon" et où il est coutume de s’empiffrer de boudin aux pommes et autre jambon au torchon ne trahissent pour l’heure aucune baisse de fréquentation. Il y aura encore des cris et des grincements de dents dans les hangars à truies, dans les abattoirs. On continuera de transfuser les éleveurs surendettés, à grands coups de subventions. Et de payer pour nettoyer les algues vertes... On envisage d’en réduire la production de 30 à 40 % d’ici 2015. Sans toutefois réduire ni la taille ni le nombre des élevages ! Un projet plus qu’audacieux, qui coûterait la modeste somme de 134 millions d’euros TTC (94 millions seront pris en charge par l’Etat, via le contribuable...). (5) Le résultat n’est pas garanti.
Le cochon, disent les uns, est un animal intelligent, sensible, émotif, bien qu’un brin caractériel. Les autres le trouvent bête, sale et méchant. Il faut bien se donner des raisons de leur faire mal. Car, quand bien même l’on parviendrait à se débarrasser des algues, des nitrates, jusqu’au dernier gramme, resterait tout de même la peur, la souffrance et la mort, là-bas, au fond des hangars bretons.
(1) « Y a pas à tortiller, ils sont forts nos éleveur », Pleinchamp.com, 5 mars 2010.
(2)Tableaux de l’agriculture bretonne 2009, Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt de Bretagne, 27 janvier 2009.
(3) Bidoche, l’industrie de la viande menace le monde, Fabrice Nicolino, éditions LLL, 21 euros.
(4)Bien-être animal : une plainte contre la France, Alsace Nature, 10 février 2010.
(5)Le gouvernement débloque 134 millions d’euros pour lutter contre les algues vertes, Le Monde, 3 février 2010.
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