La couleur est annoncée
Interrogé par l’association
TACA , l’économiste Steven Stoft, spécialiste des questions énergétiques, confiait récemment :
« Le fait que les pays en développement camperont sur leurs positions anti-quota semble maintenant certain, ce qui jette une nouvelle lumière sur les récentes discussions sur une aide destinée aux pays pauvres pour la lutte contre le changement climatique. »
Une position injuste, pas tenable, de la part des pays en développement ? Certes sur le long terme celle-ci est irresponsable, et vu les délais dont nous disposons pour inverser la tendance à l’échelle planétaire elle est catastrophique. Le message est clair : agissez les premiers car vous avez la responsabilité historique de la production d’effet de serre additionnel. Assez paradoxalement, s’ils sont défavorables à l’idée de s’appliquer des quotas, les pays en développement n’en ont pas moins pris goût à certains des aspects du protocole de Kyoto, qu’avec du recul nous pouvons qualifier d’effets pervers : les Mécanismes de Développement Propre.
Ainsi pour réouvrir la réflexion sur les nécessités de l’après-Kyoto, revenons avec Mr. Stoft sur certaines limites avérées du traité, que celui-ci souligne dans son ouvrage
Carbonomics.
- Payer les autres coûte cher
Pour saisir comment l’achat des crédits carbone étrangers prévu par Kyoto peut devenir coûteux, considérons la façon dont les choses se présentent. Tendanciellement, dans 25 ans, la Chine émettra deux fois plus que les Etats-Unis, l’Europe et le Japon à eux trois. Donc si nous faisons notre part pour acheter à la Chine des baisses d’émissions la ramenant à notre niveau, nous devrons acheter à la Chine des crédits correspondant au montant de nos propres émissions. A 30$ la tonne, cela coûterait 200 milliards de dollars. Nous n’imaginons pas les Etats-Unis versant de tels montants à la Chine annuellement. Cela représente plus de 2500$ par famille américaine de quatre personnes.1
- L’incertitude sur les coûts du carbone
Un programme de« cap-and-trade peut sembler démarrer graduellement, mais le principe de « mise en banque » des permis (ou permit banking)change tout. Cette mise en banque autorise les compagnies à épargner des permis pour des usages futurs. Un groupe du Massachussetts Institute of Technology a étudié l’objectif de diminution mondiale des émissions de C02 de -80% par rapport aux émissions de 1990 à l’horizon 2050, avec mise en banque des permis et a établi que même si les quotas commencent graduellement, les permis vont coûter 53$ par tonne au début et 65$ par tonne 5 ans plus tard. Ceci est beaucoup plus élevé que les prix mentionnés dans n’importe quelle proposition de loi avancée précédemment au Congrès des USA.
Pourquoi est-ce que les permis coûtent aussi cher dès le début bien que les quotas démarrent progressivement ? C’est à cause de l’anticipation des coûts et de la spéculation. Si le prix des permis carbone était plus bas - disons 20$ - les traders les achèteraient, les détiendraient pendant 5 ans, et les vendraient à 65$. Le permit banking entraîne donc de la spéculation, et la spéculation fait monter le coût des permis à 53 $ la tonne le jour où cette politique débute, bien que les quotas soient très laxistes dans les premières années.
Notons cependant que le reproche le plus fréquent fait actuellement aux quotas européens est précisément qu’ils sont très laxistes, ce qui est une autre insuffisance majeure actuelle du marché du carbone européen, certes perfectible.
- Le dévoiement des crédits carbone : quand les Mécanismes de Développement Propre sont des milliards gaspillés
Deux universitaires de grade supérieur de Stanford, David G. Victor et Michael W. Wara, ont étudié le marché des Mécanismes de Développement Propre (MDP) et ses CER (Certified Emissions Reductions), qui sont des crédits carbone délivrés par les Nations Unies. La quantité de nouveau CER émis à triplé en 2007 pour atteindre une valeur de 12 milliards d’euros. Ces universitaires ont établi qu’ « une grande partie du marché de MDP actuel ne reflète pas les réductions réelles d’émissions », et que « cette tendance est partie pour empirer ». De plus, les investisseurs ont payé environ 4,7 euros pour des CER chinois correspondant à des réductions d’émissions coûtant 50 fois moins cher. Victor a affirmé qu’ « il semblerait qu’entre un tiers et deux tiers des compensations (CER) du MDP ne correspondent pas à des réductions réelles d’émissions », selon les informations de The Guardian du 26 mai 2008.
Comme l’explique S. Stoft. : « A long terme, les marchés « pour ne pas faire certaines choses » finissent tout simplement par un échec. Admettons qu’une municipalité paye les automobilistes pour qu’ils ne se restent pas garés trop longtemps sur les parkings de centre-ville. Vous levez la bride, et la contractuelle vous indique que si vous quittez les lieux dans moins d’une heure, vous recevrez d’elle 2$. Vous vous exécutez donc, et elle aussi. Mais de retour chez vous, vous faites part de ceci à votre fils adolescent et il saute dans sa voiture pour gagner le centre-ville où il se gare aussitôt, quitte son emplacement après dix minutes, et reçoit 2$. Il se gare ensuite deux pâtés de maison plus loin, et reçoit 2$ de plus à son départ, et ainsi de suite. Le centre-ville se transforme rapidement en un jeu de voitures musicales pour adolescents. Les versements sont destinés à libérer les parkings, mais le résultat en est que les parkings sont envahis par des jeunes. »
Et ceci n’est pas seulement une vue de l’esprit : L’incinération est un procédé peu coûteux et pour chaque tonne de HFC-23, puissant gaz à effet de serre (11700 fois plus que le CO2 par molécule), qu’une usine chinoise incinère, elle reçoit l’argent des crédits carbone correspondant à 11700 tonnes de CO2 que des entreprises européennes lui achètent. Début 2008, les crédits carbone internationaux valaient autour de 25$ la tonne. Incinérer une tonne de HFC-23 valait donc près de 300 000$ alors que l’incinération elle-même ne coûtait que 5000$. La plupart des permis accordés dans les quelques premières années du programme des CER l’ont été pour l’incinération de HFC-23.
Alors en quoi cette histoire est-elle comparable à celles des jeunes se garant au centre-ville afin que la ville les paye pour ne pas le faire ? Il est quasi établi que des entreprises chinoises ont construit des usines chimiques essentiellement pour encaisser l’argent de crédits carbone. Mais même si aucun Etat n’avait l’intention de biaiser, les CER encouragent cela.
Des solutions ? Eviter les quotas d’émission globaux – demander un effort égal.
Il importe d’inclure équitablement et efficacement les pays en développement dans un accord futur. L’alternative aux quotas est de donner directement un prix au carbone. Au lieu d’une obligation réglementaire à ce que tout pays observe un quota, la règle serait que chaque pays doit donner un certain prix au carbone. Les pays pourraient atteindre cet objectif de prix via un quota, une taxe ou une
rétrotaxe (100% redistributive par tête). Une fixation à l’échelle mondiale d’un prix du carbone est intrinsèquement plus équitable car cela demande un certain niveau d’effort au lieu de quantités spécifiques de réductions des émissions. Un prix du carbone de 30$ la tonne serait par exemple ajusté automatiquement à l’intensité par personne des émissions d’un pays. Dans un pays où la population utilise 1 tonne par personne et par an, le coût moyen serait de 30$ par personne et par an. Dans un pays où l’on utilise 20 tonnes par personne et par an, le coût serait de 600$ par personne et par an.
« Si votre famille fait du désherbage dans le jardin, l’exigence que chacun retire 20 kilos de mauvaises herbes s’avérera intenable pour les plus jeunes, mais celle que chacun désherbe pendant une demi-heure sera probablement plus raisonnable. Elle a en tout cas plus de chances d’être équitable. »1
Il existe nombre de propositions pour concilier efficacité et équité dans le futur traité succédant au protocole de Kyoto, encore faut-il que les gouvernements se penchent sur le pragmatisme d’une politique de fixation mondiale du prix du carbone. Mais ceci est un enjeu de taille qui ne tolère pas la faiblesse du traité actuel. Des versements compensatoires au titre de l’équité peuvent être envisagés mais la contrepartie que nous serions en situation d’attendre de la part de nos partenaires plus pauvres est que ceux-ci s’engagent sur la voix de fixer un prix au carbone, ni plus ni moins.
Thomas de Toulouse
Article réalisé avec l’apport de Steven Stoft, économiste de l’Energie.
- S. Stoft, Carbonomics, 2008.