Le rêve caressé par les écologistes, mais en réalité appelé de ses vœux par l’ensemble de la société d’une énergie qui serait tout à la fois parfaitement propre, quasiment inépuisable et de mise en œuvre aisée nous donnerait-il accès au paradis sur Terre s’il venait à se réaliser ?
A l’heure où tant d’hommes travaillent à améliorer notre efficacité énergétique et où la lutte contre la pollution est une priorité, en douter pourrait passer pour de la provocation, et pourtant…
Les choses ne sont-elles pas un peu plus complexes ? N’existe-t-il pas finalement quelques avantages aux multiples contraintes que nous impose aujourd’hui notre consommation d’énergie ?
Notre mode actuel de production énergétique fait majoritairement appel aux combustibles fossiles (1), cela fait peser sur l’avenir une double épée de Damoclès.
En premier lieu, la forte pollution engendrée par ces combustions pourrait rapidement devenir intolérable. En particulier, si après l’épuisement des réserves pétrolières, nous devions, d’ici la moitié de ce siècle passer massivement au charbon tant pour la production d’électricité que pour le chauffage et les carburants. C’est là une hypothèse, hélas, assez réaliste. Rappelons que dans le monde beaucoup de chercheurs travaillent sur ce que l’on appelle le " CTL : Coal to Liquids ". Les
procédés de liquéfaction du charbon sont maîtrisés mais ils sont fort polluants et peu efficaces (il y a une grande déperdition entre l’énergie potentielle du charbon utilisée et l’énergie finalement récupérable dans les combustibles produits). Comment réagira l’atmosphère à de telles pratiques sur une planète qui comptera neuf milliards d’habitants, tous désireux de se mettre au standard de vie occidental ?
En second lieu, les ressources fossiles sont finies. Même le charbon, dont les réserves restent importantes s’épuisera lui aussi et cela d’autant plus vite qu’il viendra se substituer au pétrole d’abord puis au gaz. Le charbon, véritable symbole de la révolution industrielle et donc semble-il du passé, est hélas probablement une énergie d’avenir. (voir sur ce point
l’excellent dossier disponible sur le site
Manicore de M. Jean-Marc Jancovici)
Ces deux menaces prennent notre futur en tenaille. Des tenailles qui se referment inexorablement et condamnent tout à la fois la poursuite de notre développement économique et de notre croissance démographique.
Notons que l’Histoire ne manque pas d’ironie car la seconde de ces menaces (la pénurie, donc) pourrait bien être celle qui nous sauvera de la première ! Avec la fin des ressources fossiles prendra fin la pollution que génère leur combustion. Souhaitons qu’alors il ne soit pas trop tard pour l’atmosphère et que cela ne se traduise par une déforestation massive. On ne saurait exclure ce dernier geste de folie d’une société face au manque.
Alors, bien sûr, devant un avenir aussi peu engageant, beaucoup rêvent d’une énergie dont la production s’affranchirait de ces deux contraintes : pollution et pénurie.
Certains imaginent que les énergies douces viendront sans problème se substituer aux salissants et déclinants hydrocarbures, d’autres, sans être plus précis, " font confiance à la science pour nous sortir de l’impasse ", " comme elle l’a toujours fait ".
D’autres encore, plus concrets, voient dans la fusion nucléaire le Graal qui nous sauvera (2). D’autres enfin, à mon sens, les plus réalistes, mettent dans les économies d’énergie l’essentiel de leurs espoirs tout en mixant plus ou moins ce programme avec les précédents.
Brillant (ou chanceux) sera l’augure qui saura deviner les chemins de l’avenir, mais il est intéressant de réfléchir sur ce qui est, selon moi, la plus improbable des hypothèses, celle que la science découvre un moyen qui nous apparaîtrait aujourd’hui quasi magique pour produire de l’énergie.
Imaginons un instant, simple expérience de pensée, que demain, par une découverte inattendue, nous puissions pour un prix dérisoire et sans pollution aucune, stocker dans le volume d’un dés à coudre suffisamment d’énergie électrique pour, au choix, chauffer une maison pendant cent ans, faire rouler une voiture sur un million de kilomètres où même, allons-y, faire voler un Airbus A380 trente années durant !
Rêve ultime ! Plus de problèmes, chacun pour un prix modeste pourra disposer d’un niveau de vie décent. Tous, même dans les pays les moins développés pourront se chauffer, se transporter, se nourrir même, car l’énergie est un élément essentiel de la production agricole.
Alors par cette triple alliance de l’écologie, de l’économie et de la justice sociale au niveau planétaire le Monde sera-t-il sauvé ?
Bien au contraire, je crois que c’est exactement ce qui le condamnerait. Les contraintes évoquées sont probablement celles qui ont une (toute) petite chance de nous sauver nous, les hommes et les autres habitants de la Terre.
En limitant notre développement économique et démographique ces contraintes limitent notre emprise sur la planète. Si l’énergie devient abondante il n’existera plus de frein à notre expansion absolue. Toutes les terres ou presque pourraient désormais se couvrir d’hommes. Qu’importe alors que les maisons n’émettent plus de CO2, elles prendraient inéluctablement la place du vivant. Les déserts les plus froids ne seraient plus hostiles, le chauffage serait propre et gratuit. Le développement des réseaux routiers, si consommateurs et si " fragmenteurs " d’espaces naturels seraient favorisés face à une demande de mobilité qui ne connaîtrait plus de limites, ni techniques, ni financières.
Les villes pourraient alors s’étendre indéfiniment et la nature se réduire à presque rien. Avec une énergie gratuite la culture hors sol, par exemple dans des immeubles en hauteur ou au contraire sous-terrains, ne constituerait plus un problème, la lumière artificielle venant remplacer le Soleil. De même, l’approvisionnement en eau n’offrirait plus de difficultés. Avec de l’énergie à profusion, le dessalement de l’eau de mer et son acheminement sur les lieux de production agricole serait un jeu d’enfant : L’énergie est au cœur de nos sociétés.
Devrons-nous alors compter sur la sagesse pour que des lois viennent limiter notre expansion et préserver la nature ? Ce serait là faire un pari bien risqué. A-t-on déjà vu des lois s’opposer avec succès et durablement aux tendances lourdes de l’histoire ?
Ainsi, les contraintes et les menaces que nous percevons comme des difficultés, et même des " ennemis " de la nature seront peut-être, à terme, nos ultimes protections, celles qui nous éviteront de mettre complètement à genoux notre planète.
Il ne faut évidemment pas voir en ces propos un appel à privilégier les énergies polluantes et à refuser les " renouvelables " mais bien à prendre en compte la complexité du problème et à comprendre que notre avenir ne passe pas par une technologie triomphante mais par une attitude mesurée et par un respect pour le monde. Il n’y a pas de magie et pas de bonne solution qui s’appuierait sur une domination encore plus forte de la nature.
(1) Sur ce point l’exemple français n’est pas représentatif, la part importante du nucléaire (près de 80 %) dans notre production d’électricité peut fausser le point de vue. Mais l’électricité ne représente pas toute l’énergie, loin de là, et de fait, même en France le pétrole représente la première source d’énergie primaire.
De plus, le cas français constitue une exception qui n’est probablement pas généralisable au monde entier, ni même à l’ensemble des pays développés. La plupart des écologistes d’ailleurs ne le souhaitent pas. Rappelons en outre que pour les transports, éléments fondamentaux de notre société de mobilité, la dépendance au pétrole est presque totale.
(2) La maîtrise de la fusion nucléaire est toutefois loin d’être acquise, (
voir ce lien), enfin la fusion, même si elle était au point continuerait à souffrir de deux handicaps majeurs. Tout d’abord elle fournit de l’électricité qui est une forme d’énergie assez mal adaptée aux transports tant que des progrès importants n’auront pas été faits en terme de stockage. Ensuite, elle suppose des sociétés stables dans le long terme : Quid des centrales nucléaires en cas de guerre civile ou pire, de conflits entre états ?