Grenelle de l’environnement : la richesse, principale cause des désastres écologiques ?
Environnement, responsabilités et repères : pourquoi pas « la terre vue de la terre ?
Le « Grenelle de l’environnement » qui est annoncé pour la rentrée ne risque-t-il pas de devenir encore un de ces « voyages » de haut vol, dans les salons feutrés, loin des vrais responsables et des décisions fondamentales ? Dégager des responsabilités en matière d’environnement nécessite peut-être que la terre soit « vue de la terre »... plus que du ciel.
Le consommateur ou le « système » ?
La campagne présidentielle nous avait déjà bien conditionnés. Pour les très médiatiques Nicolas Hulot, ou Yann Artus Bertrand, le « on » est le pronom miracle : « on a changé même l’atmosphère », « on utilise tellement de matières premières et d’énergie, qu’à moyen terme nous sommes condamnés ». Pourquoi ne pas avouer explicitement la responsabilité des décideurs (groupes financiers ou familles, fonds de pensions...) et de leurs critères (taux de rentabilité, délai de retour sur investissement, appropriation privée de bénéfices...) ? S’il ne s’agit pas de « dédouaner » le consommateur européen, et a fortiori nord-américain, la responsabilité des « systèmes » économico-politiques est écrasante, et le communisme n’avait rien à envier au capitalisme. Au temps de la splendeur de Fidel Castro, l’usine fumante (ci-contre) était même devenue la fierté d’une carte postale pour les touristes ! A la même époque les entreprises américaines et canadiennes rejetaient allègrement des tonnes de mercure dans les grands lacs américains. La folie de la grandeur, du pouvoir, l’éloignement des réalités humaines, l’inconscience ou l’ignorance sont sans doute à l’origine de nombre de pollutions... Mais les poids respectifs des responsabilités individuelles et structurelles (donc collectives) doivent être appréciés dans une hiérarchie claire. Ce sont les structures de production (formes de propriété et taille des entreprises, modes de financement, types de technologies employés...) qui déterminent les structures de consommation et non l’inverse ; le « consommateur roi » est un mythe (J.K.Galbraith ironisait sur l’éviction du terme capitalisme et son remplacement par l’euphémisme hypocrite « d’économie de marché » ; Marx allait évidemment bien plus loin). L’exemple de la pollution de l’eau par les résidus de la pilule anticonceptionnelle montre une fois de plus que, deux siècles après la révolution industrielle, les innovations concernent de plus en plus fréquemment des mises sur le marché de produits dont l’innocuité est loin d’être prouvée à long terme. Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner si la désaffection croissante vis-à-vis des études scientifiques et la prédominance arrogante des commerciaux de tous poils vont malheureusement de pair.
Internationalisation et dillution des responsabilités ?
Torrey-Canon, Erika, Sun, Evoli, Exxon-Valdez, Ammocco-Cadiz... La terrifiante liste des naufrages de pétroliers témoigne à chaque fois de la multiplication des pays et des « entreprises » - parfois totalement fictives - impliquées dans ces catastrophes. Dans le cas de l’Erika, l’affréteur était Total-Fina (France), le courtier (à Londres) était en rapport avec une entreprise dénommée Amarship, basée à Lugano, qui, à son tour, était l’agent commercial d’une autre entreprise, Selmont International. Cette dernière a affrété l’Erika et en a cédé l’utilisation à Total-Fina en tant que "sous-affréteur". La gestion dite "technique" du bateau était assurée par une firme italienne, Panship, qui s’est adressée à une société indienne, HMS, pour le recrutement de l’équipage. Mais s’il y a bien apparemment dillution technique des responsabillités, financièrement la maîtrise des décisions par la seule propriété du capital est toujours aussi claire ; elle devrait servir de garde-fou... Mais la surenchère au pays le moins disant fiscal empêche toute pénalisation cohérente.
En matière de transport aérien, un aller-retour entre Paris et New York, soit un peu plus de 11 000 km, émet 2,92 tonnes de CO2 par passager. C’est plus que l’usage moyen d’une voiture pendant 1 an ! De plus les transports aériens émettent d’autres gaz plus dangereux pour l’atmosphère.
Ainsi la fameuse « mondialisation » est non seulement à l’origine de bien des catastrophes, mais aussi et surtout d’agressions chroniques, « structurelles » sur l’environnement, qui ne peuvent se « réparer » au coup par coup.
L’émergence d’une véritable culture environnementale est-elle suffisante ?
Pour que des effets notables d’un processus d’acculturation en faveur du développement durable apparaissent (régression de l’empreinte écologique, par exemple), les valeurs, techniques, et attitudes qui en font partie doivent non seulement représenter un tout cohérent (conciliation des objectifs de santé, de loisirs et d’environnement, par exemple), mais encore faut-il aussi que cette culture soit réellement mise en pratique, quotidiennement, par le plus grand nombre. Jean Marc Jancovici dénonce avec force la tromperie généralisée du « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais... » notamment à propos de l’usage du transport aérien par nombre de nos petits et grands dirigeants. Sans doute est-ce fondamentalement dans le triple rapport au temps, à l’espace et aux autres qu’une véritable culture environnementale peut s’instaurer.
Illustrons cette remarque. Les ravages de la hantise du temps qui passe revêtent des formes innombrables : l’accélérateur (pas seulement celui des automobiles) est sollicité en permanence, la lutte contre les rides de toutes sortes (celles du corps, celles de la matière) fait des ravages, l’angoisse de la « mise à jour » (celle des connaissances comme celle du carnet d’adresses)... tout pousse à une surconsommation désordonnée et sans plaisir véritable. Même si techniquement c’était possible, accepterait-on de servir du champagne dans des bouteilles réutilisées ? On objectera que les notions et pratiques de luxe, de pouvoir, de paraître... ne datent pas d’hier. C’est donc bien un bouleversement culturel gigantesque que le développement durable nécessite, bien plus difficile que le bouleversement de la matière. Même si de plus en plus de cadres supérieurs de haut vol s’inscrivent à des programmes de trekking ou d’endurance épuisants et ruineux, il faut bien reconnaître que la figure emblématique du saint n’est plus de ce monde ; les successeurs de l’abbé Pierre ne se pressent pas aux portes. Il est difficile de (ré)apprendre à « faire la fête » avec peu ! Le secret est sans doute de ne pas « la faire » trop souvent... ni trop rarement. Paul Valéry disait "deux choses menacent le monde : l’ordre et le désordre".
Il faut donc que s’instaure progressivement une culture environnementale « en amont » (avant le ou les accidents), globale (économique, sociale et environnementale) critique, démocratique et imaginative. A cette fin, le recours à l’image (plus largement que la photographie) peut contribuer à l’éducation au développement durable, dans la mesure où nous prenons garde de mettre en place et de fournir au plus grand nombre une sorte de « grammaire visuelle » de l’environnement ; elle seule peut faire comprendre que le développement durable n’est pas qu’une affaire de déchets ou de manque d’énergie. Une ébauche de cette « grammaire visuelle » est sur le site http://images-4d.org/, largement perfectible, évidemment, et toutes les suggestions sont attendues.
Energies renouvelables : des « solutions » en trompe-l’œil ?
Que ce soit pour l’énergie solaire (filière électricité photovoltaïque notamment), pour l’énergie éolienne (parcs de grandes éoliennes) ou pour les agro-carburants, les solutions et technologies développées sont relativement complexes, coûteuses en capital fixe ou en consommations intermédiaires, en recherche, etc. Ces énergies dites « actives » débouchent encore et toujours sur des performances mesurées à l’aune concurrentielle ainsi qu’une appropriation (privée) des gains.
Il n’est que de prendre l’exemple de la puissance unitaire installée des éoliennes qui est passée de 700 KW à 1,2 voire 2,5 MW très rapidement. Cette évolution reproduit malheureusement la course au gigantisme - caractéristique des années d’expansion d’après-guerre - qui masquait et palliait l’absence totale d’effort direct à consentir par tous par une recherche de gains de productivité illusoires notamment ceux liés aux économies d’échelle.
Au contraire le « solaire passif » vise à utiliser cette énergie le plus simplement possible, dans les régions les plus diverses et par le plus grand nombre. Une architecture adaptée (forme et orientation des bâtiments d’habitat et d’entreprise, choix des matériaux cf. le programme craterre...), un urbanisme concerté (maîtrise des prix des terrains et réserves foncières) permettent un développement du « solaire passif ».
Le politique est-il soluble dans l’environnement ?
Sans aucun doute, non. On se lamente souvent du fait qu’en France les Verts ne réussissent pas en tant que force politique autonome. Prétendre que l’environnement peut dépasser les clivages politiques revient à dire qu’un consensus (local ? international ?) pourrait être trouvé pour sauver, préserver, restaurer une région, un fleuve, des paysages... Or ces milieux sont des enjeux multiples, toujours en évolution. Même la qualité de l’eau est en partie une grandeur relative : évaluation de la qualité selon quelles méthodes de mesure ? Pour quels usages ?
Il est impossible de mettre toute la planète « sous cloche » ; des choix doivent être faits - c’est le propre (!) de l’homme - ce qui devrait imposer de véritables débats. Mais qui le peut et qui le veut ? Faut-il convaincre (ensemble) ou contraindre (certains) ? Si l’on reprend l’exemple des transports maritimes, qui existent depuis fort longtemps et qui donc peuvent faire l’objet de normalisation, de contrôles, etc., on constate au contraire que dans les faits et malgré les multiples législations, qu’une anarchie quasiment totale existe en matière de contrôle des pétroliers, d’où nombre de catastrophes ou de pollutions chroniques. Que va-t-il se passer pour des activités pionnières (espace, nucléaire), moins bien connues et surtout dans un contexte d’économie de plus en plus dérégulée, affranchie des horribles contraintes étatiques ? Que de spectres de Tchernobyl « rampants » se profilent à l’horizon !
Le « Grenelle de l’environnement » annoncé risque bien d’être une (coûteuse ?) grand messe de plus où les décisions, celles qui feraient mal à tous (sur-taxation drastique des 4x4, des écrans publicitaires géants que personne ou quasiment ne regarde à 2 heures du matin, des parcs de loisirs infantilisants, etc.), ne seront jamais prises ni encore moins faire l’objet d’applications. Laissez faire « le marché » ! « Il » nous conduira soit à l’infantilisation complète, soit à Big Brother. Mais bien sûr la liberté d’entreprendre est chérie, et il est tellement plus gai de se créer des problèmes pour les résoudre ! Quels progrès depuis Neandertal !
Une personne, sur un blog dont j’ai perdu le nom, disait « la société moderne fabrique des veaux et des asexués. Le croisement des deux, ça doit être des escargots... » Les recours à l’art, à l’imaginaire suffiront-ils pour insuffler dans le monde une profonde révolte, saine et critique ? Le « Grenelle de l’environnement » annoncé à grands fracas médiatiques risque non seulement soit de décevoir, soit de donner bonne conscience à nombre de « décideurs », mais aussi de dissiper bien des énergies...
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