Hommage à un grand ornithologue
Mémoire d'une mouette tridactyle.
Bonjour à tous les amis sincères des oiseaux ! Mon nom de code est Rob -R O B-, je suis une mouette tridactyle qui a traversé bien des vicissitudes sous le regard énamouré de notre gourou, un personnage que je n'aurai de cesse de le remercier pour l'immense œuvre qu'il a mené sur notre falaise, maintenant qu'il a gagné les cieux.
Je suis née, il y a fort longtemps de cela en une année où les couleurs étaient rouge et bleu. Ne me demandez pas d'autres explications, j'ai promis le secret en hommage à mon maître. De cette génération, je suis l'ultime représentante à continuer à fréquenter la cité des falaises.
Ma jeunesse fut le fruit de la chance, de cette merveilleuse loterie de l'existence qui m'a préservée des goélands, des corbeaux et des hommes. Je suis, fait exceptionnel, la troisième naissance d'un nid qui se trouvait à flanc d'océan, dans un lieu merveilleux qu'il conviendrait de préserver de ceux qui vont debout..
Mes parents se sont multipliés pour nous permettre de prendre notre envol quarante et un jours après notre sortie de l'œuf. Ce fut le moment le plus périlleux, celui qui me vit seule à poursuivre le parcours. Mon frère et ma sœur ne se relevèrent jamais de leur premier bal manqué, ils n'avaient pas de fil élastique à la patte ni de filet sous le nid ...
Mes années de jeunesse me permirent d'aller découvrir le monde. J'ai traversé la grande étendue d'eau salée qui me servit de décor d'enfance pour vivre trois années sur les côtes américaines. Un véritable plongeon dans une autre culture qui me fit aimer plus encore mon petit bout de terre breton.
Je suis revenue en cette terre de fin du Monde, le cœur plein d'espérance pour trouver l'âme sœur. Il avait fière allure, sa gorge déployée se colorait d'orange, il voulait me séduire, il m'avait conquise et je pris possession du nid d'espérance. Mon bel oiseau était d'une autre génération. J'aurais dû me méfier de toutes ces années infructueuses pour lui.
Notre union fut un fiasco général. Je ne découvris pas le bonheur de l'enfantement et mon bel oiseau jouait davantage les pilleurs de nids que les voiliers galants. Je partis cette année là, les ailes pleines d'un immense chagrin, me jurant de quérir au printemps prochain une nouvelle falaise pour oublier ce malandrin.
Il n'y a que les sots oiseaux qui ne changent pas d'avis. L'hiver au Groénland me mit du plomb dans la tête, celui qui vous donne la sagesse et non la fin tragique d'un chasseur qui s'ennuie. Je revins en ma falaise, retrouver ce bonheur fou d'être épiée à longueur de longue-vue.
C'est ainsi que je suis devenue des années durant la mouette préférée de notre observateur zélé. Pendant plus de vingt printemps merveilleux, il me couva de son tendre regard. Rien de ma vie n'échappa à sa sagacité. Il assista à ma première rencontre avec celui qui partage encore mon nid.
D'une année mon ainé, mon mâle ne jouait pas les fiers à ailes. Il est toujours pour moi d'une rare prévenance quand je couve les deux œufs qui récompensent chaque année notre amour. Il y eut bien, au fil des années, des petits coups de bec, des aléas tragiques, des œufs pillés et des atterrissages manqués.
Mais rien ne vint désunir ce couple qui, contre vents et marées a su tenir le cap. Nous avons accepté depuis longtemps déjà nos anneaux et notre bague. Ils retracent notre vie, permettent de nous suivre en plein vol pour comprendre les mœurs des gens de ma race.
J'apprends que notre père est arrivé au bout de sa tendre curiosité. Pour ses successeurs, l'argent de la recherche vient à manquer dans ce pays qui s'est offert, pieds et poings liés à la seule rentabilité. Je proteste avec la plus grande véhémence et souhaite retrouver de nouvelles longues vues le printemps prochain afin que d'autres de poursuivre l'œuvre de Jean-Yves Monnat.
Il existe encore un petit coin de France où séjourne une joyeuse colonie d'individus rieurs et volages. Amateurs de la verticalité, ils se nichent avec bonheur dans des appartements minuscules. Ils ont choisi ce lieu de villégiature car ils tenaient absolument à avoir une vue imprenable sur la mer sans se soucier de la loi littorale.
La cité des Falaises a cette étrange particularité qu'elle n'accueille que des couples en désir d'enfants qui justement viennent ici pour procréer. La chose n'est pas banale et implique de grands problèmes de voisinage lorsque les enfants grandissent d'autant plus qu'il y a toujours des déçus de la loterie génétique qui viennent semer la panique dans les foyers heureux.
La cité des Falaises se vide aux premiers signes d'un automne qui approche. Elle ne reçoit donc que des gens du voyage qui ne se sédentarisent que l'espace d'un enfantement. Jusqu'alors, cette maternité de granite avait donné toute satisfaction à des générations ailées mais depuis quelques temps, la vie de la cité est troublée par les agissements fâcheux d'un prédateur terrible, un drôle de pèlerin qui donne des coups de becs à longueur de journée.
Avant cette menace funeste, on grandissait heureux dans la cité. Monsieur ou Madame, à tour de rôle prenait le large, quérir de quoi nourrir leur petite famille. Ils n'hésitaient pas à parcourir jusqu'à 100 km pour trouver pitance à leur convenance. Quand le premier rentrait, la seconde prenait le relais, dans un ballet incessant de voyages utilitaires, alimentaires et néanmoins aviaires.
Les enfants attendaient le parent voyageur pour se régaler de ses histoires, ses aventures et son butin merveilleux. Les gamins étaient insatiables ! Les parents parfois se lassaient de cette génération de quémandeurs permanents, des enfants qui harcèlent leurs géniteurs tant et si bien que ces derniers finissent parfois , quand les enfants avaient grandis suffisamment par prendre la poudre d'escampette en abandonnant des rejetons trop pénibles.
Les enfants abandonnés doivent alors apprendre seuls à voler de leurs propres ailes. Ils n'ont pas le choix, c'est la réussite ou la mort. La cité des falaises ne se satisfait pas des fadaises habituelles en matière éducative ; le droit à l'erreur est banni du programme éducatif. C'est la loi de la jungle, vaincre ou périr pour prendre à son tour la grande route de la migration.
Ceux qui parviendront au bout du voyage passeront trois longues années sur les routes de l'exil à travers le Monde, de la proche Irlande à la lointaine Amérique avant que de revenir à la pointe de la Bretagne, reconduire à leur tour le cycle de la reproduction « tridactylale » dans la cité des Falaises.
Ils ne se doutent pas qu'à leur retour, la politique d'accueil de notre joli pays ne cesse de change au fil des lois sur l'immigration si bien que les gens du voyage ne sont plus les bienvenus ici. De terribles corbeaux planent au dessus de leurs têtes, prêts à fondre sur eux. De drôles d'oiseaux sont capables de prendre le relais pour chasser à tout jamais tous ceux qui viennent d'ailleurs.
La cité des Falaises vit maintenant ces derniers instants de bonheur. Prédateurs et difficultés de toutes sortes viennent entraver le fragile équilibre de cette micro-société. L'issue est inquiétante. Devront-ils créer une nouvelle colonie ? Faudra-t-il mettre un terme à cette philo patrie qui depuis toujours les faisaient revenir au pays.
J'entends les cris d'angoisse des enfants et des derniers parents quand survient la terrible menace. La troupe se disperse pour éviter la sanction fatale. Chacun avertit son voisin du danger qui menace tandis que les touristes toujours plus nombreux viennent ici aussi, imposer leur mortelle présence. La cité des Falaises se dépeuple. Il n'est pas si facile d'être immigré en ce doux pays de France.
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