L’agriculture et les pesticides : encore des dérogations ?
La démission de l’emblématique Ministre de la Transition écologique, n°3 du gouvernement, a évidemment déjà beaucoup fait jaser, commentaires, tables ronde et débats, articles… et réseaux sociaux.
Occasion pour nombre de personnalités d’y aller, avec plus ou moins de connaissance des problèmes évoqués (par exemple agriculture et pesticides), le glyphosate n’a pas été absent de la scène médiatique ces dernières heures…
Évidemment, dès après l’intervention de Nicolas Hulot sur France Inter, thème du lobbying a été largement évoqué, discuté, disputé. Je n’ai ni la compétence en la matière, ni l’envie ici de m’y attarder… sinon pour rappeler que pour ce qui concerne l’usage des pesticides en agricultures, s’il y a lobbying de la part de l’industrie phytopharmaceutique et de celle des agrofournisseurs, s’il y a lobbying dans des sens d’ailleurs différents de la part des syndicats agricoles mais avec un poids non négligeable de la FNSEA et de ses sections par filières (oléoprotéagineux, céréales, etc), il y a aussi lobbying côté ‘’ONG’’ et organisations de défense de la nature, des consommateurs, du bien-être animal, des apiculteurs amateurs, etc, etc. Et ce dernier lobbying est très efficace : s’il n’est pas à côté de Matignon, du Palais-Bourbon ou du Palais du Luxembourg… il est proche du citoyen-électeur, il est proche des élus en campagne électorale, il est proche des bureaux de vote…
-1- Pesticides : toujours des dérogations !… La betterave ne fleurit pas.
J’écoutais Allain Bougrain-Dubourg mardi soir, sur le plateau de France-Info. J’aime bien cet homme-là et son courage physique ; j’aime le conteur qu’il sait être, j’aime le travail de la LPO.
Mais, ABD ne sait pas tout (heureusement d’ailleurs ☺). Il a donc répondu aux questions du journaliste de service et développé sa vision de l’évènement, évoqué un bilan tout de même positif du ministre démissionnaire, et tenté de cerner les causes de cette démission. Il a donc parlé des lobbies. Et là, on en est arrivé à la question des pesticides, le glyphosate évidemment tout en reconnaissant que la France a amené l’UE à abaisser à 5 ans au lieu de 10 la prolongation de licence (liste annexe des substances actives autorisées à l’usage) et engagé la France à une interdiction dans trois ans (un peu moins aujourd’hui). Il a parlé des insecticides néonicotinoïdes, les ‘’tueurs d’abeilles’’.
La cause est entendue, nul besoin de revenir là-dessus (même si le traitement des semences à faible dose est apparu il y a vingt-cinq ans comme un sacré progrès par rapport aux pulvérisations répétées en végétation). Mais ABD a là aussi indiqué qu’une fois de plus il y avait des demandes de dérogation(s) -sous-entendu : par des lobbies- et que le ministre de l’agriculture dans ces cas n’est pas solidaire de celui de la transition écologique.
Alors, cela vaut d’expliquer le pourquoi de l’une de ces demandes. Celle du lobby… des betteraviers.
La betterave, du moins ses feuilles et son collet, est attaquée par des pucerons qui inoculent des virus pathogènes réellement nocifs pour la qualité sucrière (et fourragère le cas échéant) et pour le rendement. Traiter les semences aux néonicotinoïdes est une solution techniquement satisfaisante. Mais sous peu, l’interdiction d’emploi d’iceux fera qu’on ne traitera plus les semences de betteraves.
Or, la betterave est une plante bisannuelle : elle ne fleurit que la deuxième année (en épuisant les réserves de la racine). On la récolte la première année (après en gros six mois de culture). Betteraves sucrières et fourragères ne fleurissent pas et ne sont pas visitées par les butineurs, par les abeilles mellifères. Seules les cultures porte-graines (production de semences) fleuriront ; elles sont cantonnées à des zones de production limitées implantées autour d’un organisme semencier (par exemple le Néracois en Lot-et-Garonne).
Les producteurs de betteraves, essentiellement les ‘’sucriers’’, ont donc demandé une dérogation pour, en attendant une solution alternative, pouvoir traiter aux ‘’néonics’’… sans aucun risque pour les abeilles.
-2- Premier consommateur global de pesticides, la France n’est en réalité qu’au neuvième rang européen pour sa consommation à l’hectare.
Si la France, premier producteur agricole européen, semble également le plus gros ‘’consommateur’’ de pesticides en Europe, la réalité des chiffres veut qu’on soit quelque peu nuancé en la matière. Il est évident qu’à grande surface agricole utile vont correspondre des quantités élevées d’intrants, des heures de travail mécanisé-motorisé, des emprunts de campagne élevés, etc…
La comparaison la plus pertinente avec d’autres pays producteurs en fait ne part pas de ce tonnage annuel mais des quantités réellement apportées à l’unité de surface en production, quantités évidemment très variables selon les productions et les modes de production. Néanmoins ramener le tonnage global aux surfaces traitées remet -OUF !- la France dans une bonne place : avec en moyenne 2,3 kg de pesticides utilisés à l’hectare/an, la France est au 9ème rang européen.
En ce qui concerne les pesticides, toujours en données globales brutes, les printemps pluvieux expliquent des pics de recours aux fongicides sur de nombreuses cultures. Mais, dès lors qu’on exprime cette ‘’consommation’’ en tonnage, il faut alors prendre en considération un nouveau paradoxe, à savoir que les fongicides les plus traditionnels en cultures pérennes (vigne, vergers) sont ‘’pondéreux’’ ; or ce sont ceux qui sont autorisés au cahier des charges de la bio : le soufre et les produits cupriques, bouillie bordelaise surtout. Donc plus on développe les surfaces en bio, plus on renforce le ‘’tonnage’’ en pesticides utilisés… Paradoxal ? Certes !...
C’est pour cela que les professionnels et les pouvoirs publics utilisent deux autres outils de mesure et de comparaison de l’emploi des produits phytosanitaires (les pesticides) : l’IFT et le NODU.
L’indice de fréquence de traitements IFT ne concerne que les traitements en végétation (il exclut le traitement des semences, le traitement des récoltes, la lutte contre les rongeurs…). Il ne donne pas une fréquence réelle qui, par elle-même n’a pas de signification quantitative, mais une fréquence théorique par le ratio entre les doses réellement épandues et les doses de référence à l’homologation des pesticides concernés (ainsi deux traitements à ¾ de la dose de référence du produit machinchose sont enregistrés en IFT = 1,5). Si les traitements sont « localisés », c’est souvent le cas avec les herbicides, on affecte l’IFT d’un coefficient qui est le pourcentage de surface traitée.
Cet indice est en fait ‘’technique’’, il révèle les pratiques, il se discute, il permet des corrections pour tendre vers moins d’interventions et/ou moins de ‘’phytos’’ utilisés. L’un des objectifs du plan ECOPHYTO II.
Mais, qu’en est-il pour l’ensemble des pesticides réellement utilisés, en comptant donc les exclus de l’IFT, en s’intéressant aussi aux ‘’usages non agricoles, amateurs et professionnels’’ (penser à la surface des ballast ferroviaires à entretenir… ce qui nous ramène… au glyphosate) ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils contrôler les évolutions et tendances à travers le plan ECOPHYTO ? Comment peuvent-ils comparer les expérimentations des fermes du réseau DÉPHY ECOPHYTO ?
Il va falloir mettre en correspondance les pratiques (substances actives choisies, mais formulées dans des ‘’produits’’ phytosanitaires ou pesticides achetés et utilisés) en tenant compte des doses autorisées, des ventes réalisées par les points de vente (négoces, coopératives d’agrofourniture, jardineries, etc, à travers leur déclaratif pour pollutions diffuses et des contrôles inopinés). Une base de données ministérielle est évidemment sans cesse mise à jour.
L’outil de comparaison est donc le NODU ou Nombre de Doses Unités épandues, par segment (en végétation, sur semences, en silos de conservation, en usages non agricoles, etc), la ‘’dose unité’’ étant la quantité de substance active utilisée dans le ‘’traitement moyen’’ pour chaque segment.
Il y a évidemment un plafond à cette dose unité : c’est pour chaque couple ‘’produit/usage’’ (usage = généralement un couple bioagresseur/cible à protéger, mais aussi type d’adventices à désherber (graminées, dicotylédones) ou désherbage total, etc… la dose autorisée à l'usage, la dose "homologuée".
Le décalage entre ce qui est vendu et ce qui est appliqué (stocks d’une année sur l’autre par exemple) étant relativement constant, le NODU permet donc de suivre l’évolution des consommations par segments et globalement…
Note aux spécialistes et autres connaisseurs : ce qui précède sur l’IFT et le NODU est simplifié. Divers sites dont celui du ministère de l’agriculture peuvent éclairer celles et ceux qui voudraient en savoir plus.
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