La saignée de l’humanité
Le 21ème siècle sera le siècle de la transition, de l’abondance vers la rareté de l’énergie. La civilisation industrielle a permis l’exploitation d’une énergie fossile abondante, en complément de l’énergie solaire valorisée de manière ancestrale. Cette énergie supplémentaire a généré un développement incroyable de l’humanité en un temps record, passant de 675 millions à plus de 6,7 milliards d’être humains en l’espace de seulement deux siècles. Elle promet, à contrario, un déclin incontrôlable de la population mondiale sans l’énergie qui a rendu cette expansion possible. Or l’Agence Internationale de l’Energie dit pour la première fois dans le World Energy Outlook 2010 que l’on a déjà atteint le pic pétrolier historique : dans un avenir proche l’approvisionnement énergétique va devenir critique. La crise de 2008 n’est qu’une introduction à ce nouveau monde.
La théorie d’Olduvai prévoit que la population mondiale atteindra son plafond en 2015 à 6,9 milliards d’individu pour se réduire à seulement 2 milliards d’individus d’ici 20501. 70% de l’humanité qui disparaît en seulement 35 ans. Le Club de Rome avait également, dès 1972, anticipé un déclin de la population mondiale dans le Rapport Meadows plus connu sous le nom d’Halte à la croissance ? L’actualisation de 2004 de ce rapport prévoit ainsi un déclin de la population à partir de 20272.
A ces visions pessimistes, on peut opposé la vision officielle, optimiste de l’ONU qui pense que la population mondiale pourrait encore croître de 2,5 milliards d’individus pour atteindre un total de 9,2 milliards d’ici 20503. Pourtant, sachant que notre civilisation a son talon d’Achille, l’addiction à un stock d’énergie non renouvelable, on peut se dire q’elle a en fait mis tous ces œufs (agriculture, transport, etc.) dans le même panier. La vulnérabilité de la civilisation industrielle n’en devient que plus manifeste.
La Corée du Nord, un temps d’avance
La chute de l’Union Soviétique a eu pour conséquence regrettable de contracter les économies des pays qui y appartenaient. Plus dommageable, en Corée du Nord la chute des approvisionnements en pétrole et en engrais (dérivé du gaz) y a entraîné une chute de la production agricole. la conséquence désastreuse de cette pénurie : la famine (1994-1998) faisant entre 0,9 et 3,5 millions de victimes sur une population totale de 23 millions.
A noter également que le climat très rude, avec un hiver quasi sibérien (de −6 °C à −20 °C en janvier), a entraîné faute d’énergies fossiles une déforestation massive pour subvenir aux besoins en bois de chauffe du pays. Le lessivage des sols a fait suite à cette déforestation et conduis à une amplification des phénomènes extrêmes, le sol ne pouvant plus retenir les eaux, comme les inondations de 2010. La production agricole a alors encore plus déclinée. Ce cercle vicieux laisse toujours la Corée du Nord dans une situation de pénurie alimentaire chronique puisque l’ONU évalue à environ un cinquième de ses besoins le déficit alimentaire4.
La France, un cas comme les autres
Dans le cas de la France, un retour à une production agricole antérieure au modèle de la révolution verte, la production pourrait suffire à nourrir 40 millions d’habitants, la population française antérieure à la seconde révolution agricole (1945), contre 60 actuellement. Cependant, cette production agricole a été possible par une déforestation massive de l’hexagone au cours de l’histoire et au profit de l’augmentation de la surface des terres agricoles. Ainsi, au début du 19ème siècle, la surface boisée était de 14,6% et ce n’est qu’à partir du moment où le charbon a été utilisé comme substitut au bois que la surface boisée à pu augmenter pour s’établir à 26,7% en 19905.
La reprise du déboisement, pour faire croître les surfaces agricoles et utiliser de nouveau le bois comme énergie principale, est à priori inévitable. Le profond déboisement de la France au début du 19ème siècle démontre que la population de l’époque consommait plus que le renouvellement des ressources ne le permettait. Par conséquent, la population française du 19ème siècle (30-40 millions d’habitant), sans l’utilisation des énergies fossiles, était insoutenable à moyen terme. Pour donner un ordre de grandeur du niveau de population soutenable à long terme, on pourrait dire qu’il serait plutôt inférieure à 20 millions d’habitants, trois fois moins qu’actuellement.
Cela représente, en un mot, un massacre. La formule magique pour arriver à ce résultat : famines, épidémies et guerres. En terme d’épidémie, un des seuls évènements pouvant symboliser une telle coupe franche dans la population mondiale de la théorie d’Olduvai serait la peste noire qui a décimé la population européenne entre 1348 et 1352. Entre un tiers et la moitié de la population est ainsi exterminée emportant dans son sillage des villages entiers. La terreur qu’inspire la peste noire, faisant disparaître en quelques jours des familles entières, donne un sentiment d’apocalypse.
Les villes premières zones touchées
La zone la moins résiliente de notre monde est la ville ou plus précisément les mégalopoles qui se sont multipliées au cours du siècle passé. En 2010, il y en a 483 villes de plus d’un million d’habitants à travers le monde6 contre seulement 11 en 19007. L’entrée dans une ère de rareté de l’énergie ne peut conduire qu’à des difficultés accrues, voire insurmontables, pour garantir l’approvisionnement en eau, en nourriture et en énergie des villes. Par-dessus s’ajoute une multitude de difficultés, comme assurer la salubrité publique, l’apport d’une eau potable, etc. On se rend vite compte que le système devient vite ingérable et que la moindre goutte d’eau peut faire déborder le vase.
Les villes, en réalité de simples lieux d’échanges et de concentration ou plutôt d’absorption de la surpopulation, sont totalement dépendantes de la stabilité de leur environnement. En se remémorant l’effondrement de Rome suite à sa mise à sac en 410 et 455 et l’anéantissement son approvisionnement en eau par les aqueducs on se fait vite une idée du danger : alors que la population de Rome était de 1,1 millions d’habitant en l’an 400 elle était réduite à environ 80 000 en 4508. Il fallut attendre plus de 1 000 ans pour retrouver une population dépassant les 100 000 habitants, celle de la Rome antique de 270 avant JC, et la révolution industrielle pour que celle-ci dépasse le million en 1930.
La civilisation industrielle a eu pour conséquence indirecte d’augmenter significativement la part de la population urbaine et avec la fin de ce modèle les villes sont des bombes prêtes à exploser à tout instant. En rejettent dans les campagnes des millions d’individus on entrerait dans une sorte d’exode rural inversé. Dans le cas d’un retour à la situation du début de la révolution industrielle, il faudrait que la part actuelle de la population urbaine, trois personnes sur quatre9, devienne la part de la population rurale comme s’était le cas en 1850 : cela correspond à « lâcher » 30 millions de personnes dans la « nature ». Beaucoup d’entre eux ne le seront pas dans les meilleures conditions (sans travail, sans ressource, sans attache dans les campagnes, sans compétence pour ce nouveau mode de vie et sans infrastructure pour les accueillir) leur accueil dans les campagnes risque d’être fait dans la panique et donc chaotique.
Cette grande migration, marquant un retour progressif vers une société plus agraire, risque de faire émerger des conflits entre les « sans terre » venant des villes et les autochtones. Ce bouleversement pourrait être similaire à celui des invasions barbares qui commencèrent au 3ème siècle après Jésus-Christ et déstabilisèrent puis provoquèrent finalement la chute de l’empire romain au 4ème siècle. Ces peuples envahisseurs furent contraints, par la pression démographique, à migrer en dehors de leurs frontières et celle-ci ne put se faire sans dommages collatéraux.
Par ailleurs, le retour vers une agriculture plus « artisanale », après 100 ans de mécanisation, ne se fera pas, également, sans mal. L’expérience de l’exploitation de la terre étant perdu depuis plusieurs générations il sera sûrement difficile de retrouver les meilleurs rendements d’une agriculture de type pré-industrielle qui elle même n’était déjà plus durable.
La mort prématurée semble donc être le destin le plus probable pour un grand nombre de citadins inadapté au monde de demain.
1 Source : « The Peak Of World Oil Production And The Road To The Olduvai Gorge », 2000, Richard C. Duncan.
2 Source : scenario LTG du rapport « Limits to Growth : The 30-Year Update », 2004, Club de Rome.
3 Source : « World Population Prospects - The 2006 Revision », 2007, ONU.
4 Source : « La Corée du Nord peine à produire sa nourriture », 12 août 2007, AFP.
5 Source : “Evolution des surfaces boisées en France depuis le début du XIXème siècle : identification et localisation des boisements des territoires agricoles abandonnées », W. KOERNER, B. CINOTTI, J.-H. JUSSY et M. BENOÎT.
6 Source : populationdata.net.
7 Source : Demangeon Albert, Les villes de plus d’1 million d’habitants. In : Annales de Géographie. 1932, t.41, n°229. pp. 104-105.
8 Source : http://en.wikipedia.org/wiki/History_of_Rome, Wikipedia.
9 Source : Insee, recensements de la population de 1999.
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