Langouët : le village écologique modèle en lutte contre le glyphosate
Il y a quelques semaines, le maire de Langouët a une nouvelle fois fait parler de son « village écologique » en prenant un arrêté limitant drastiquement l’usage des pesticides dans l’activité agricole sur le territoire communal. Cet arrêté risque malheureusement d’être annulé, à l’initiative de l’État, par la Justice administrative dans les prochaines semaines. Il n’en est pas moins emblématique de la détermination des habitants de ce village à poursuivre une expérience écologique unique en France et, à bien des égards, exemplaire...
Confrontés, jusque dans leurs maisons, à l’usage de produits agricoles toxiques, 36 habitants de Langouët, un village d’Ille-et-Vilaine situé à 20 km au nord de Rennes, ont décidé de faire analyser leurs urines prélevées sous contrôle d’huissier le 4 mai 2019 au cours d’une opération qualifiée de « grande pisserie ». Analysés par un laboratoire indépendant allemand, tous les prélèvements ont révélé des taux de glyphosate très supérieurs aux normes légales tolérées dans notre pays. En moyenne, 1,44 ng contre 0,10 ng, soit 14 fois au-dessus du seuil de tolérance officiel ! Ce taux a même atteint 3,17 ng chez une fillette de la commune âgée de 5 ans !
Intolérable aux yeux du maire Daniel Cueff. Soucieux de la santé de ses administrés, celui-ci a donc pris le 18 mai 2019 un arrêté municipal interdisant l’utilisation de produits phytosanitaires (pesticides, herbicides, fongicides) à moins de 150 mètres d’une habitation sur tout le territoire communal de Langouët. Comme l’on pouvait s’y attendre, l’initiative a été soutenue par la plus grande partie de la population ainsi que par les trois agriculteurs bio de la commune, eux-mêmes exposés par les vents à voir leurs cultures contaminées par des particules chimiques. A contrario, quelques habitants et les deux exploitants traditionnels, dépendants du modèle industriel, se sont montrés hostiles à cette décision du maire.
Comme l’on pouvait le craindre de la part d’une représentante d’un État très à l’écoute des lobbies agricoles, pour ne pas dire complice de ces derniers, Michèle Kirry, préfète de Bretagne et d’Ille-et-Vilaine, a estimé cet arrêté « entaché d’irrégularité ». Certes, a-t-elle reconnu devant la presse, un maire est dans son droit de police générale lorsqu’il s’agit de protéger la santé des habitants de la commune dont il assume la charge. Mais, a précisé Mme Kirry au quotidien Ouest-France le 11 juin, « l’utilisation des produits phytopharmaceutiques relève d’un pouvoir de police spéciale. […] Seul le ministre de l’agriculture peut prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention de ce type de produits ».
Qui plus est, malgré des analyses sanguines particulièrement inquiétantes, il n’y avait pas de péril grave ou imminent aux yeux de la préfète ! En conséquence de quoi, Mme Kirry – une énarque de la « promotion Gambetta » – a demandé le 27 mai par « recours gracieux » au maire de Langouët d’abroger cet arrêté. Et cela sous peine, dans un délai de deux mois à compter de la notification, de poursuites devant le Tribunal administratif en cas de refus du maire ou de non-réponse de sa part à ce recours. À ce jour, Daniel Cueff, sûr de son bon droit en termes de salubrité publique, n’entend pas céder, mais il se refuse à toute polémique avec Michèle Kirry. C’est à la préfète, estime le maire de Langouët, qu’il appartiendra d’assumer le moment venu ses responsabilités, et donc de « prendre la décision [ou pas, nda] de poursuivre l’affaire devant les tribunaux ».
Il y a déjà eu des précédents de fronde de même nature dans d’autres communes. Mais celle-ci surprend d’autant moins que la modeste municipalité de Langouët – 600 habitants – fait figure de modèle écologique dans la région Bretagne. Et cela ne date pas d’hier : l’engagement de la commune dans ce domaine a été initié il y a une vingtaine d’années, déjà sous l’impulsion de Daniel Cueff. Les combats pour la sauvegarde de l’environnement, le Maire de Langouët connaît d’ailleurs cela sur le bout des ongles. Et pour cause : cet écologiste convaincu était déjà en lutte contre le projet d’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff, projet abandonné en 1981 grâce à la détermination et à la pugnacité des Bretons. Daniel Cueff est en outre membre, au titre de sa fonction de maire, de l’association Bruded qui regroupe les municipalités de Bretagne engagées dans la gestion et l’urbanisme durables.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas Langouët, il faut savoir que dès 1999 la commune a abandonné l’usage des produits chimiques pour l’entretien de ses sols. En 2004, 100 % des repas de cantine servis à l’école sont passés au bio local. Dès cette époque, des travaux ont en outre été engagés à l’école élémentaire et à l’école maternelle pour transformer ces établissements en vue de les doter du label HQE (Haute Qualité Environnementale). Aujourd’hui, 100 % de l’énergie communale est en outre due au développement du photovoltaïque sur le territoire municipal. Mais pas question de s’arrêter en si bon chemin pour Daniel Cueff et son équipe : deux lotissements aux normes écologiques sont en voie d’achèvement. Enfin, la commune de Langoüet projette de construire, à titre expérimental : d’une part, des « maisons-potager triple zéro » (zéro dépense d’énergie, zéro carbone, zéro déchet) ; d’autre part, une ferme de permaculture principalement destinée à l’alimentation des habitants.
On le voit, les idées ne manquent pas à Langouët. Et surtout les réalisations suivent. Dans de telles conditions, une condamnation du maire Daniel Cueff par le Tribunal administratif apparaîtrait comme une scandaleuse faute de l’État. Non seulement en regard des exorbitants taux de glyphosate relevés dans la commune bretonne, mais également dans le cadre du « verdissement » revendiqué des caciques du parti au pouvoir. « Make our planet great again », avait lancé aux Nations Unies Emmanuel Macron. Chiche ! monsieur le président ! Un tel objectif passe d’abord par des initiatives de proximité, et pas uniquement par des mots. Dès lors, si vous voulez avoir une chance d’être cru, commencez donc par demander à Michèle Kirry de renoncer à tout pourvoi contre l’arrêté de Langouët !
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