Le blob : un organisme surprenant, facette de la bio-inspiration
Le 19 octobre 2019, le Parc Zoologique de Paris présentait Physarum polycephalum, plus couramment surnommé « blob ».
Cette nouvelle acquisition est l’occasion pour le parc de faire découvrir au grand public un organisme surprenant par bien des aspects. Le blob est un organisme véritablement fascinant aussi bien sur le plan éthologique qu’en termes de perspectives scientifiques.
Physarum polycephalum est un organisme du règne des protozoaires et de l’espèce des myxomycètes. En clair, c’est un « champignon (mycète) gluant (myxo) » se nourrissant par phagocytose, c’est à dire par contact physique direct avec sa nourriture. En réalité le blob n’est pas un champignon. Ce n’est d’ailleurs pas non plus une plante, et encore moins un animal. Il est un peu de tout à la fois, si bien qu’il est régulièrement reclassé dans l’arbre du vivant. C’est un organisme composé d’une seule et unique cellule assurant l’ensemble des fonctions vitales à son organisme. Mais, il n’est pas microscopique comme la plupart des organismes unicellulaires. Il est visible a l’œil nu et peut mesurer de plusieurs centimètres à plusieurs mètres carrés si les conditions lui sont favorables. Vous l’avez probablement déjà croisé dans les forêts, les endroits sombres et humides constituant ses habitats de prédilection.
Plus surprenant, il bouge. Il est capable de se muer à une vitesse de 4cm par heures lorsqu’il est affamé. Pour comparaison, l’escargot se déplace en moyenne à une vitesse comprise entre 400 et 500cm par heures. Physarum polycephalum a une croissance exponentielle. Il se nourrit à la fois de champignons, de microbes et de virus. Un blob grossit d’environ deux fois sa taille toutes les 24 heures. Lors d’une conférence TEDx5, Audrey Dussutour, chercheuse au CNRS de Toulouse, a déclaré qu’il mangeait en moyenne 1 kilogramme de flocons d’avoine par semaines. Côté reproduction, le blob ne peut se reproduire qu’avec des individus de sexes différents, sachant qu’il en existe près de 720 distincts. Il se paie également le luxe d’être pratiquement immortel. Dans sa forme végétative, que l’on nomme « plasmode », qu’il gardera jusqu’à déshydratation ou reproduction, le blob a une capacité de reconstitution extraordinaire. Si l’on en coupait un en plusieurs morceaux, celui-ci mettrait environ deux minutes avant de cicatriser totalement. En cas de déshydratation, le blob ne peut plus se mouvoir et entre en phase de dormance. Un sclérote, une carapace de tissus renforcés, se formera alors, assurant la sécurité du blob jusqu’à sa réhydratation. Il peut rester dans cet état pendant des années, sans séquelles.
Entre toutes ces caractéristiques surprenantes, Physarum polycephalum a montré lors de différentes études de fascinantes capacités d’apprentissage, d’intelligence et de mémoire.
Un organisme aux facultés surprenantes
L’intelligence d’un organisme se mesure en partie par sa capacité à résoudre des problèmes. Plusieurs groupes de chercheurs ont mis en évidence des indications claires d’intelligence chez cet organisme unicellulaire dépourvu de cerveau. Dans les années 2000, la célèbre revue scientifique Nature publiait une étude1 portant sur la capacité de cet organisme à résoudre un labyrinthe. Ce fut un succès, le blob savait construire le chemin le plus court entre deux sources de nourritures malgré la présence du labyrinthe. En 2010, Audrey Dussutour et trois autres chercheurs suggèrent par une étude2, que le slim serait capable de faire des choix dans son alimentation pour se nourrir de la manière la plus optimale. L’étude montre que le blob est parfaitement capable de sélectionner minutieusement le régime le plus adapté à sa croissance en respectant des proportions parfaites de nutriments. Dans une expérience3 menée en 2012 par ce même groupe de chercheurs, le slim (en jaune sur l’image) a été introduit dans un « piège en U ».
The U-shaped trap problem (Chris Reid)
A l'aide d'une source de nourriture de l'autre côté du piège, les scientifiques ont observé le blob contourner le piège avec succès. Cette expérience a permit de mettre en évidence sa capacité à se repérer dans l'espace grâce à un mucus sécrété pendant qu'il explore son environnement. Il n'a ainsi aucune difficulté à se sortir du piège et à atteindre la nourriture. Les chercheurs ont ensuite tenté de le désorienter en recouvrant la surface du piège de son propre mucus, comme s'il l'avait déjà explorée en totalité. Le blob était alors incapable de s'orienter. Le mucus du blob lui permet de se souvenir des endroits déjà visités, et ainsi de cartographier son environnement. Les chercheurs ont ainsi pu mettre en évidence l'intelligence de Physarum Polycepharum dans la résolution de certains problèmes.
Un communiqué de presse du CNRS4 s'appuyant sur les travaux d'A. Dussutour parle ainsi "d'apprentissage" et de "transfert d'information" entre deux blobs distincts. Ceux-ci peuvent non seulement apprendre, mais aussi enseigner des comportements. Ici, il est question d'apprendre a certains blob l'innocuité du sel dans un échantillon plus large et de former des paires. Les binômes étaient chargés de traverser un pont de sel menant a une source de nourriture. Les paires composées d'un individu "non initié" a l'innocuité du sel et d'un individu "initié" donnaient les mêmes résultats que pour un binôme composé de deux blob initiés. à l'inverse, les paires de deux blobs non initiés mettaient bien plus longtemps à traverser le pont. Après avoir constaté ces résultats et mit au point un protocole pour vérifier si la transmission des savoirs avait eu lieu, les résultats étaient probants. Le blob semble être capable de transmettre et d'apprendre.
Plus surprenant encore, le blob semble posséder une personnalité propre dépendant de sa zone géographique. C'est ce qu'explique A. Dussutour dans une conférence TEDx5à Toulouse en 2013. Elle déclare posséder des blobs venant d'Australie, des Etats-Unis et du Japon. Lors de sa prestation, elle montre des différences de comportement entre les blob, particulièrement dans la façon qu'ils ont d'explorer leur environnement.
"Vous voyez que le japonais est déjà parti explorer son environnement... Lui [le japonais] est très rapide pour explorer son environnement alors que l'Australien est très très lent...".
Physarum Polycephalum est une créature très surprenante dotée de capacités exceptionnelles. L'humanité a beaucoup à apprendre de cet organisme et de nombreuses recherches sont menées dans divers domaines. De nombreuses recherches sont d'ailleurs menées en ce sens.
Le blob au cœur de la bio-inspiration
L'ensemble de la biodiversité est une source infinie d'innovation. Fruits de centaines de millions d'années d'évolution, les organismes que nous connaissons aujourd'hui n'ont cessé d'innover. Lorsque certains développent d'épaisses carapaces pour se protéger, d'autres s'envolent en utilisant la portance de l'air. L'homme a très vite vu cette biodiversité comme une source inépuisable de connaissances. Il a donc entreprit de la copier parfois à raison, comme dans le cas du velcro (inspiré d'une plante) et parfois à tort, pour les avions par exemple. Les premiers prototypes imaginés par les inventeurs de la Renaissance comme Leonard De Vinci.
Les avions d'aujourd'hui ne copient pas les oiseaux, ils s'en inspirent. Cette notion se retrouve dans le terme bio-inspiration. Cette discipline tente de s'inspirer de la nature pour innover. Un exemple très parlant est la forme allongée du nez des TGV. Cette forme s'inspire du martin-pêcheur5 qui fend la surface de l'eau a haute vitesse sans broncher. Pour les trains, cela permet d'éviter une perte de vitesse et un bruit assourdissant au moment d'entrer sous un tunnel.
En janvier 2010, une équipe de chercheurs japonais a publié une étude sur la capacité du blob a créer des réseaux complexes et parfaitement optimisés. Dans cette étude6, publiée dans le magazine Science, les scientifiques disposent des flocons d'avoine sur une plaque de gel d'agar (milieu de culture microbiologique) en reproduisant la disposition des principales villes de la région de Tokyo. Ils déposent ensuite le blob en lieu et place de la capitale japonaise. En superposant le résultat avec une carte du réseau ferré japonais dans cette région, les chercheurs ont remarqué qu'en seulement 24 heures, l'organisme dépourvu de cerveau a réussit à créer un réseau plus efficace que les ingénieurs japonais en plusieurs dizaines d'année.
Après cette découverte, les chercheurs se sont penchés sur l'élaboration d'un algorythme basé sur les propriétés de Physarum Polycephalum en terme de connexions de reseaux. Ces recherches mènent à toutes sortes d'applications aussi bien dans le domaine des transports que dans le domaine de la santé. Une équipe australienne s'est par exemple inspirée du blob pour le repositionnement des médicaments. Cette étude7 prometteuse permet de réduire le risque, le coût et le temps de développement de nouveaux médicaments en utilisant des molécules déjà connues et en leur trouvant de nouveaux effets thérapeutiques.
C'est en robotique que Phyrasum semble le plus prometteur. Le vivant fait face aux mêmes problèmes que les robots : le besoin de se mouvoir dans un environnement complexe et ce avec des ressources limitées. Le premier robot littéralement contrôlé par un blob voit le jour en 20088. Cette technologie fonctionne avec un slim, un robot et une interface. Les mouvements de l'ensemble se calquent sur le comportement d'un véritable blob et permet à un robot de se mouvoir sans utiliser d'intelligence artificielle.
Une approche un peu plus exotique vient s'ajouter à la liste des nombreuses recherches menées sur le blob. Dans un papier intitulé Hey physarum ! Can you perform SLAM ?9, des scientifiques s'intéressent à l'application de ses facultés à un robot autonome. Le robot n'utilise qu'une caméra omnidirectionnelle dans un environnement inconnu. Il s'inspire de la propagation, du processus de recherche de nourriture et de la capacité à se repérer dans l'espace du blob. La machine arrive alors à construire et améliorer la carte de son environnement et à adopter une stratégie de mouvement optimale.
Le blob pourrait aussi s'avérer d'une grande aide dans la lutte contre la pollution. En 2016, une équipe de chercheurs a fabriqué le premier biocapteur à cellule entière a partir de celle d'un blob10. Un biocapteur est un dispositif détecteur semi-biologique. L'exemple le plus commun est l'analyseur de glucose sanguin, un capteur fonctionnant avec une enzyme réagissant avec le glucose présent dans le sang. Le dispositif mis au point par les scientifiques permet un stockage de long-terme d'un capteur capable de détecter le 2,4-Dinitrophénol, une substance cancérogène et extrêmement polluante. Physarum est sensible a certaines concentration de ce composé chimique et la réalisation d'un capteur de toxicité de long terme et potentiellement portable est une avancée majeur dans la détection et le contrôle des contaminants. La cellule de blob peut être stockée dans le capteur, asséchée, et retrouver tout son potentiel une fois réhydratée.
Le blob est un organisme à la fois primitif et à la fois inspirant. Ses capacités extraordinaire permettent de nouvelles perspectives à de nombreux champs de recherche et la bio-inspiration semble être un domaine très prometteur bien qu'encore balbutiant. La nature est un monde infiniment complexe par sa diversité et, à la fois, une source intarissable d'inspiration pour le futur.
Bibliographie
1 Nakagaki, Toshiyuki, Hiroyasu Yamada, et Ágota Tóth. 2000. « Maze-solving by an amoeboid organism ». Nature 407 (6803) : 470‑470. https://doi.org/10.1038/35035159. https://www.nature.com/articles/35035159
2 Dussutour, Audrey & Latty, Tanya & Beekman, Madeleine & Simpson, Stephen. (2010). Amoeboid organism solves complex nutritional challenges. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America. 107. 4607-11. 10.1073/pnas.0912198107. https://www.researchgate.net/publication/41416816_Amoeboid_organism_solves_
complex_nutritional_challenges
3 Reid, Chris R., Tanya Latty, Audrey Dussutour, et Madeleine Beekman. 2012. « Slime mold uses an externalized spatial “memory” to navigate in complex environments ». Proceedings of the National Academy of Sciences 109 (43) : 17490. https://doi.org/10.1073/pnas.1215037109. https://www.pnas.org/content/109/43/17490.short
4 http://www.cnrs.fr/fr/le-blob-capable-dapprendre-et-de-transmettre-ses-apprentissages
5 https://www.lemonde.fr/planete/article/2012/02/10/le-martin-pecheur-tgv_1641324_3244.html
6 Tero, Atsushi, Seiji Takagi, Tetsu Saigusa, Kentaro Ito, Dan P. Bebber, Mark D. Fricker, Kenji Yumiki, Ryo Kobayashi, et Toshiyuki Nakagaki. 2010. « Rules for Biologically Inspired Adaptive Network Design ». Science 327 (5964) : 439. https://doi.org/10.1126/science.1177894. https://science.sciencemag.org/content/327/5964/439
7 Sun, Yahui, Pathima Nusrath Hameed, Karin Verspoor, et Saman Halgamuge. 2016. « A physarum-inspired prize-collecting steiner tree approach to identify subnetworks for drug repositioning ». BMC Systems Biology 10 (5) : 128. https://doi.org/10.1186/s12918-016-0371-3. https://openresearch-repository.anu.edu.au/handle/1885/153324
8 Tsuda, Soichiro & Artmann, Stefan & Zauner, Klaus-Peter. (2009). The Phi-Bot : A Robot Controlled by a Slime Mould. Artificial Life Models in Hardware. 10.1007/978-1-84882-530-7_10. https://www.researchgate.net/publication/39998417_The_Phi-Bot_A_Robot_Controlled_by_a_Slime_Mould
9 Tsuda, Soichiro, Stefan Artmann and Klaus-Peter Zauner. “The Phi-Bot : A Robot Controlled by a Slime Mould.” Artificial Life Models in Hardware (2009). https://www.semanticscholar.org/paper/The-Phi-Bot%3A-A-Robot-Controlled-by-a-Slime-Mould-Tsuda-Artmann/8940198ad859b1af24440766851923937ac8ff46
10 Tsuda, Soicdhiro & Zauner, Klaus-Peter & Morgan, Hywel. (2016). Long-Term Storable Microfluidic Whole-Cell Biosensor Using Physarum polycephalum for Toxicity Prescreening. 10.1007/978-3-319-26662-6_8. https://www.researchgate.net/publication/314592988_Long-Term_Storable_Microfluidic_Whole-Cell_Biosensor_Using_Physarum_polycephalum_for_Toxicity_Prescreening
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