L’annonce par Nicolas Sarkozy de l’activation prochaine par la France de la clause de sauvegarde, qui permettrait à d’interdire provisoirement le seul OGM cultivé en France, le MON810, a soulevé un vent de fonde dans sa propre majorité. Une réaction apparemment surprenante, qui atteste de la puissance des lobbys dans les assemblées parlementaires.
Entre santé publique et agro-business, de nombreux parlementaires UMP ont choisi, ce sera le deuxième. Chef de file de la contestation et homme du lobby OGM, Bernard Accoyer. Du haut de son perchoir, le médecin savoyard a des besoins existentiels entre une horde députés UMP qui se refusent à être godillots et un président de la République à la main de fer qui occupe seul tout l’espace politique. A défaut de s’attaquer au chef de l’Etat, les députés de la majorité ont préféré se défouler mardi 15 janvier sur le ministre de l’Ecologie. Les questions d’actualité leur ont donné l’occasion d’interpeller un Jean-Louis Borloo, pas très à l’aise de l’opinion de beaucoup, faute d’une réelle maîtrise de son sujet. En se contentant de réaffirmer que les interrogations émises par la haute autorité provisoire sur les effets du MON 810 revenaient à émettre des “doutes sérieux”, il a de lui-même contribué à relancer un débat alimenté par beaucoup de mauvaise foi.
Devenus pour un temps les porte-voix de la FNSEA, principal syndicat agricole, des semenciers et des céréaliers, de nombreux députés élus de la majorité reprochent au président de la haute autorité provisoire d’avoir appelé un chat... un chat. Jean-Louis Borloo a eu beau rappeler que le MON 810 allait être réévalué au cours de l’année sur le plan européen de façon à permettre aux pays de l’Union d’avoir une position homogène “Il y a le principe de précaution qui s’applique jusqu’à la mise en place de la position européenne”, le vers est désormais dans le fruit. Pour la première fois, le gouvernement s’interroge sur l’innocuité des OGM, ce qui met à mal la stratégie de communication d’un lobby qui se démène depuis des années à convaincre l’opinion publique internationale que les OGM sont l’avenir de l’humanité, du quasi-bio par l’absence de traitement pesticides-fongicides qu’ils permettent.
Dans ce contexte, Bernard Accoyer n’a pas mâché ses mots devant les agences de presse : “Il y a un défaut d’informations objectives, il y a une instrumentalisation, il y a de la désinformation”. N’hésitant pas à grossir le trait pour mieux soigner la clientèle agricole et agro-industrielle, le député a ajouté “Un scientifique, un chercheur devant son microscope, fût-il prix Nobel, au journal télévisé de 20 heures sera toujours moins médiatique qu’un ‘faucheur volontaire’ qui vient de détruire une parcelle de culture avec des végétaux OGM au mépris des années de travail, de la recherche, des enjeux alimentaires, biomédicaux et du mépris de ceux qui l’ont plantée”, “C’est ce qui explique qu’une majorité de Français, aujourd’hui, ont pu être influencés par les prises de positions les plus spectaculaires, mais également les moins républicaines et les plus infondées scientifiquement”.
Des propos très proches de ceux du syndicat des producteurs de grandes cultures qui a qualifié de “mensonges et politique politicienne” l’avis du Comité de préfiguration de la haute autorité pour les OGM : “De leur côté, les producteurs de maïs OGM, respectueux des cadres légaux et victimes des fauchages, se sentent injuriés par la légitimation, dans les faits et politiquement, des auteurs de tels actes”.
Singulièrement, ce qui a suscité le plus de remous, c’est une simple bise. Bernard Accoyer, a jugé scandaleux que Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM), secrétaire d’État à l’Écologie, embrasse José Bové devant les caméras de télévision. Le président de la chambre des députés a déclaré craindre que « ces images ne donnent aux Français l’impression que le gouvernement a cédé devant Bové et sa grève de la faim ». En fait, ce très relatif geste de convivialité fait voler en éclat la stratégie du lobby OGM et des productivistes agricoles qui ne ménagent pas leur peine pour diaboliser José Bové et le faire passer pour un individu non fréquentable. Il est d’autant moins accepté que NKM, dont les convictions politiques ne peuvent être mises en doute, est unanimement reconnue pour ses compétences en matière d’environnement.
La bronca des députés UMP derrière son aspect folklorique est néanmoins inquiétante sur le fond. L’ire des parlementaires dépasse la seule question des OGM. Ceux-ci sont excédés par la multiplication des comités d’experts qui “décident à leur place”. Sur le site internet de LCI, le sénateur UMP Jean-François Le Grand, président de la haute autorité provisoire sur les OGM, revient sur la polémique provoquée par ses propos. Notamment sur le fait que quatorze membres (dont 12 scientifiques) du comité se soient désolidarisés de l’avis négatif rendu sur le maïs transgénique MON810. Ils reprochent notamment au président d’avoir employé les termes de “doutes sérieux” alors qu’ils ne figurent pas dans le document final.
Jean-François Le Grand est dubitatif. ”Le texte a été relu ligne par ligne, mot par mot, référence scientifique par référence scientifique. Et il a été validé par tout le monde, y compris par les 14 scientifiques en question. Le comité a mis en avant quatre faits scientifiques nouveaux et 9 questions insuffisamment prises en compte dans l’évaluation des OGM. Que l’on veuille jouer sur la sémantique me paraît curieux comme débat.”
Le discret parlementaire reconnaît cependant une erreur. “J’ai commis une faute lors de la présentation de l’avis aux ministres Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet. J’ai dit : “Voilà le résultat écrit de nos observations” puis j’ai conclu, au regard des faits scientifiques nouveaux et des questions en suspens, qu’il existe des “doutes sérieux”. Cette expression ne figure pas dans le document. Mais le comité constate qu’il n’y a encore pas d’études sur les effets endocriniens, teratogènes et transgénérationnels du MON810 : il y a de quoi émettre des “doutes sérieux” ! On me rétorque que le MON810 est utilisé depuis des années aux Etats-Unis et qu’on n’a pas constaté d’effets particuliers sur la santé, mais aucune étude épidémiologique n’a été menée, faute de traçabilité. Là encore, il y a de quoi avoir des “doutes sérieux”. En tant que vétérinaire, j’estime que le doute doit bénéficier au consommateur. C’est le rôle de la haute autorité de procéder à une évaluation scientifique ; c’est mon rôle de parlementaire de m’associer à la gestion de ce risque. Il ne faut pas répéter avec les OGM les erreurs commises sur d’autres sujets, comme l’amiante ou la mise en marché de certains produits phytosanitaires dangereux pour la santé, sujets pour lesquels on a été sciemment aveugles pendant des années.
La situation est finalement bien résumée par un lecteur du Figaro qui sous le pseudonyme “braconnac” fait part de son sentiment face à toutes ces gesticulations. “La santé mérite bien un peu plus de considération. Un doute sérieux subsiste sur les effets des OGM sur l’homme et la nature. Ce gouvernement avec courage, compétence et prudence n’a pas cédé au lobbying des Américano-céraliers qui nous ont empoisonnés avec leurs pesticides et voudraient continuer avec les OGM. Accoyer n’a pas le niveau scientifique pour dire au gouvernement avec une telle violence et irresponsabilité qu’il n’y a aucun risque. Il appartient au passé et devrait avoir le courage de démissionner s’il n’est pas d’accord avec les décisions du gouvernement qui s’est entouré de l’avis d’experts de haut niveau. Mme NKM dont la compétence n’est mis en cause par aucun expert devrait être à sa place afin d’éclairer les députés UMP et non de provoquer la haine et la division.”