Le « réchauffement climatique » face à la vague de froid
Commençons par une information tirée d’un journal :
Le verdict est tombé avant même la fin du mois : après une bonne vingtaine de jours de froid, le début de l’hiver 2010 a été, dans l’hémisphère Nord, l’un des plus glaciaux depuis longtemps. C’est l’occasion de faire le point sur les causes et sur les effets d’un épisode pénible, qui s’inscrit dans le contexte général d’un refroidissement climatique aux conséquences multiples. Et qui promet de se répéter de plus en plus souvent.
Vous vous dites sans doute que l’auteur de ces lignes n’est qu’un climato-sceptique qui prend ses rêves pour des réalités. Même si, pour lui faire plaisir, l’on admet que des phénomènes solaires et océaniques vont refroidir la Terre à l’échelle des dix ou vingt prochaines années, la réplique claque comme un coup de fouet : la météo n’est pas le climat. Un hiver plus rigoureux ici ou là n’a rien à voir avec une tendance climatique, mais seulement avec la variabilité naturelle.
Le climat doit s’étudier sur de plus longues périodes, voilà pourquoi… mais au fait, où avais-je la tête : je n’ai pas donné la référence du passage ci-dessus. Il faut dire que je l’ai un tout petit peu déformé. La citation exacte est en réalité la suivante :
Le verdict est tombé avant même la fin du mois : par sa température moyenne record et après une bonne vingtaine de jours de canicule, le mois de juillet 2006 a été, au moins en France, le plus chaud de tous les mois de juillet depuis l’invention du thermomètre. C’est l’occasion de faire le point sur les causes et sur les effets d’un épisode pénible, qui s’inscrit dans le contexte général d’un réchauffement climatique aux conséquences multiples. Et qui promet de se répéter de plus en plus souvent.
Ces mots sont tirés d’un article du Nouvel Observateur publié en ligne le 3 août 2006, dans le contexte de la canicule de 2006. Tiens tiens…
Les médias ne cessent de nous rappeler que la vague de froid de ces dernières semaines « ne remet pas en cause le réchauffement climatique », et encore moins son « origine humaine », précisément en vertu de cet argument tout à fait exact : la météo n’est pas le climat. Une telle unanimité en faveur de cette distinction entre météo et climat laisserait penser que, le cas du Nouvel Observateur mis à part, les médias ont eu la même prudence lors des canicules de 2003 et 2006 ? C’est loin d’être le cas même si, pour être honnête, beaucoup de journalistes ont alors eu soin de préciser l’absence de tout lien causal. Une manière courante de présenter les choses a été quelque chose comme : « La canicule de 2003 ne peut pas être directement reliée au réchauffement climatique, mais ce type d’événement donne à voir ce qui se produira de plus en plus souvent à l’avenir. » Techniquement irréprochable, une telle présentation produit tout de même une association d’idées très forte. On peut s’interroger sur la manière dont cette présentation a été assimilée, surtout lorsque, cas fréquent, l’absence de lien causal entre les deux n’est pas clairement indiquée.
Bon, dira-t-on : tout cela relève, au pire, de quelques maladresses journalistiques. Nul doute que les propos officiels des experts ont été, comme il se doit, beaucoup plus prudents. Certains l’ont été, en effet. Mais pas tous, loin de là. Petit florilège :
Les répercussions des changements climatiques sont généralement observées à l’échelle régionale ou locale et sont souvent le résultat de phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes. C’est le cas de la sécheresse survenue en Chine en 2006, la pire depuis 50 ans, qui a touché des dizaines de millions de personnes. L’Europe a été frappée en 2003 par une vague de chaleur qui a fait de nombreux décès (sic) dus à la chaleur et à la pollution de l’air, dont 14 800 victimes en France seulement.
« Nécessité de s’adapter : la science du climat est-elle prête ? », par Xuebin Zhang et al., Bulletin de l’Organisation Météorologique Mondiale, avril 2008.
Tempêtes, canicules, inondations, la France n’est pas épargnée par le changement climatique.
Le GIEC prévenait déjà dans son rapport 2001 que « Les augmentations les plus fortes de stress thermique sont attendues en milieu urbain aux latitudes moyennes et hautes (tempérées), particulièrement dans les populations dont les logements ne sont pas adaptés et qui ont peu accès à la climatisation. » La canicule de 2003 est à l’origine d’environ 15 000 décès en France, et il a été établi plus récemment que le surplus de décès au cours du même été pour l’ensemble de l’Europe a été de 70 000.
Questions de santé publique n°1, mai 2008, Institut de Recherche en Santé Publique.
Le réchauffement climatique a déjà commencé à provoquer des bouleversements dans le monde y compris en France (canicule, inondations, tempêtes, etc…).
Plaquette de présentation de l’Institut de Modélisation et d’Analyse des Géo Environnements et de Santé, Université de Perpignan, 2007.
Nous sommes en train de bouleverser le climat de notre planète et nous ne savons pas véritablement où nous allons. Ce dont il faut prendre conscience, c’est qu’il y a des événements atmosphériques, des événements météorologiques, des paroxysmes qui se produisent régulièrement. La canicule de 2003 a dépassé les limites habituelles. Ceci va se reproduire systématiquement (…)
Table ronde « Canicule, cyclone, inondation… », Journée du Développement Durable, 2004.
La France entière a été touchée par la canicule de 2003, qui est un signe tangible du réchauffement climatique global.
Le dérèglement est en marche, il n’y a aucun doute, on est au début du processus.
Hervé Le Treut, Laboratoire de météorologie dynamique du CNRS (cité par le Nouvel Observateur), à la fin de la canicule de juillet 2006.
Bon, dira-t-on à nouveau : la crédibilité d’une théorie scientifique ne se juge pas de cette manière. Seuls comptent les articles scientifiques dûment publiés dans les revues spécialisées. Puisque la météo n’est pas le climat, il ne doit donc y avoir nulle part, dans ces revues spécialisées, d’association faite entre la canicule de 2003 et le « réchauffement climatique d’origine humaine », n’est-ce pas ? Eh bien… si. La « très sérieuse revue Nature » (selon l’expression consacrée) a publié en décembre 2004 un article de Peter Stott et al. dont une traduction française du titre est : « Contribution humaine à la vague de chaleur de 2003 en Europe ». L’article (payant) est ici. Morceaux choisis (et traduits), non exhaustifs :
L’été 2003 a été probablement le plus chaud en Europe depuis au moins l’an 1500 (…). C’est une question mal posée que de demander si la vague de chaleur de 2003 a été causée, dans un sens déterministe simple, par une modification des influences externes sur le climat — par exemple l’accroissement de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère — car presque n’importe quel événement météorologique de ce type aurait pu se produire par accident dans un climat non modifié. Cependant, il est possible d’estimer de combien les activités humaines ont pu accroître le risque qu’une telle vague de chaleur se produise.
En utilisant comme seuil la température moyenne estivale qui a été dépassée en 2003, (…) nous estimons très probable (niveau de confiance supérieur à 90%) que l’influence humaine a au moins doublé le risque de vagues de chaleur (…)
Nous concluons de cette étude sur les moyennes décennales de températures estivales qu’il est très probable que le forçage anthropique passé est responsable d’une fraction significative du réchauffement observé de l’été européen.
Il se peut que nous ayons sous-estimé la fraction de risque attribuable [aux activités humaines] d’une vague de chaleur en 2003…
Voilà donc une belle convergence scientifique entre météo et climat à propos de la canicule de 2003. Pourtant, allez savoir pourquoi, j’ai du mal à imaginer un article dans Nature dont le titre serait « Contribution humaine à la vague de froid de 2010 dans l’hémisphère Nord ».
Moralité :
Les jours où il fait froid
Blâmez la météo.
Les jours où il fait chaud
Craignez pour le climat.
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