Le Ru d’Oison
Ruisseau de mon enfance
Ce tout petit ruisseau d'à peine 3 kilomètres de cours fut le fil bleu de mon enfance. Il a accompagné mon chemin qui me mena jusqu'à la Loire, façonnant une personnalité qui avait besoin d'une rivière pour s'épancher. Ru, il le fut d'autant plus qu'il fut le guide sur le chemin de mon école communale, apportant ce lien mystérieux entre l'enseignement que nos maîtres nous dispensaient et celui que la nature nous enseignait.
Il faut bien admettre hélas, qu'à l'époque, la Loire et son histoire ne furent jamais au programme d'une instruction publique qui avait sans doute d'autres chats à fouetter. Heureusement pour moi, il y avait les livres de Louis Martin, pour rattraper cette lacune. Mais revenons au fil de l'eau et de ce charmant petit ruisseau.
Je découvre en effectuant une recherche pour la circonstance qu'un érudit local propose que cet Oison vienne du Celte : étymologie incontournable désormais pour vous ancrer dans les origines, signifiant Gué. Voilà qui me réjouirait si ce terme en celte pouvait se plier à une quelconque ressemblance phonique. Hélas, nous sommes bien loin du « Ritu » gaulois qui donna ce point de passage sans trop se mouiller les pieds.
Pourtant, la magie du ru d'Oison pour beaucoup d'entre nous passa d'abord par son petit gué rue de la Tuile, au mitant d'un chemin en terre battue joignant la rue de la Blanchisserie qui sera l'étape suivante à la Route de Coullons. Nous nous régalions de franchir ce passage à bicyclette, faisant jaillir des gerbes d'eau. Nous étions alors des aventuriers bravant les éléments.
En ce temps-là, le ru d'Oison dont l'origine probable vient du Berry et de cette Oie, gardienne de la tradition et grande joueuse devant l'éternel, avait encore assez d'eau pour mouiller nos chaussures et nos braies. Pas de quoi fouetter un chat, c'était une époque où les enfants n'étaient pas en sucre.
Puis, suivant son cours, il passait derrière quelques maisons dont l'une que je jalousais tout particulièrement. Je m'imaginais vivant là, organisant un petit barrage, afin de pouvoir pêcher du fond d'un jardin que naturellement je ne pouvais avoir sur le boulevard. Puis le ru rejoignait la rue de la Blanchisserie après avoir servi à irriguer des jardins sur son cours. Je me souviens d'une maraîchère, y jetant un seau métallique pour laver les légumes qu'elle venait d'arracher pour me les vendre. Dans cette rue trônait en majesté un lavoir, aujourd'hui condamné à la fermeture et aux eaux basses.
J'ai déjà raconté ce lieu où ma mère allait laver la laine des matelas et disposait pour cela de la planche la plus en aval. Je me souviens surtout de Paulette, l'une des dernières à battre le linge tandis qu’elle respectait scrupuleusement la tradition des lavandières en battant tout autant de la langue. Elle gardera sa faconde jusqu'à sa mort, même si la pauvre femme dut quitter Sully-sur-Loire pour rejoindre son fils dans les Alpes.
Juste en face du lavoir, il y eut longtemps l'ancien abreuvoir pour les chevaux et les animaux de la Foire. Les nénuphars avaient fait leur ce qui était devenu le royaume des grenouilles. Quelques camarades, plus dégourdis que votre serviteur, faisaient belle récolte de batraciens pour une gourmandise qui aurait été mal venue à la maison. La rampe pavée de l'endroit était véritablement magnifique dans l'esprit du gamin que j'étais.
Le Ru au sortir du lavoir de la rue de la blanchisserie bifurquait pour longer des façades, donnant un petit air de Venise dans mon esprit rêveur. Il courait ainsi jusqu'au lavoir privatif de l'Hôtel du Pont de Sologne, établissement alors réputé dont les servantes se faisaient un devoir de laver les draps dans la rivière pour obtenir une douceur incomparable.
Puis il longeait le chemin des écoliers, celui que nous empruntions presque tous pour nous rendre à l'école communale. De petits ponts, des passerelles plus sûrement permettaient aux riverains de la franchir avec leurs automobiles. Pas de garde du corps, une envie parfois réalisée d'y pousser un camarade ou d'y sauter à pieds joints. C'est encore là que l'un d'entre nous, le plus habile pêcheur du village, prenait des verrons pour les vendre à la pharmacie. Je n'ai toujours pas trouvé la raison de cet achat.
Le ru filait alors vers son dernier destin. La Loire était toute proche. Il y avait encore un lavoir, un ciel ouvert celui-ci, qui l'attendait juste après le pont qui conduisait chez le vétérinaire. C'est là, avec son fils et d'autres camarades que nous fîmes de nous-mêmes, notre apprentissage des choses de la nature avec ces têtards dont la métamorphose nous fascinait. J'ai l'impression qu'il ne doit plus y avoir dans ce pauvre filet d'eau, témoin de toutes nos folies d'apprentis sorciers. Je n'ose croire que la moindre écrevisse ne puisse s'y trouver de nos jours.
Le ru s'accordait alors un virage à quatre-vingt-dix degrés pour plonger dans les entrailles de la terre. Ici comme partout ailleurs, un ruisseau fait désordre. Il convient de le buser et de le cacher à la vue de tous. Il terminera sa route sous les routes et les maisons avant que de sortir au grand jour pour un ultime salut au ciel. La Loire est toute proche, il s'y glisse modestement, ne modifiant en rien son débit de moins en moins souvent impétueux.
Nous avions repéré que cette modeste confluence avait cependant l'avantage d'être un formidable coin de pêche pour les gardons et les ablettes tout en nous dissimulant des regards adultes derrière de hautes rauches. Nous y avons passé de délicieux moments qui pouvaient s'achever par une baignade en toute sécurité. Le Ru d'Oison se fondait dans la Loire et malgré sa modeste contribution, participait ainsi à une nouvelle et grande aventure.
Le Ru d'Oison s'est rappelé au mauvais souvenir des riverains quand après les pluies de mai 2016, il a roulé des épaules et fait bien des misères, lui qui était si calme depuis si longtemps. Un coup de fièvre pour rappeler à tous que malgré nous, les rivières et les petits rus sont encore capables de nous montrer qu'ils existent et qu'il convient de ne pas les négliger.
Ruissellement vôtre
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