Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole
« Nous avons un mois jusqu’au Salon de l’Agriculture. C’est un mois pour lancer et mener un choc de simplification. Dans tous les départements, les préfets organiseront des temps pour faire remonter, avec nos agriculteurs, tout ce qui peut et doit être simplifié. » (Gabriel Attal, le 26 janvier 2024 sur Twitter).
Cela fait plus de dix jours que le monde agricole est en ébullition. Le mouvement des agriculteurs, qui en ont marre d'être surchargés de taxes et de paperasses, et qui s'inquiètent de la concurrence déloyale venue de l'extérieur des frontières européennes, a montré sa grande popularité (près de neuf Français sur dix l'approuveraient). Bien que représentant une très faible partie de la population française, les agriculteurs ont souvent une bonne image dans la sacro-sainte "opinion publique" parce qu'ils nourrissent les gens, même si certains, très minoritaires mais très activistes, pensent qu'ils les empoisonnent aussi.
La crise agricole est à la fois une crise de la souveraineté alimentaire de la France et de l'Europe, mais aussi une crise de l'Europe avec une politique agricole commune souvent contestée malgré les 9 milliards d'euros par an de subventions aux agriculteurs français (du reste, les agriculteurs d'autres pays européens sont également en mouvement, mais pas forcément pour les mêmes raisons, par exemple, les Roumains en raison des accords avec l'Ukraine).
Elle consiste principalement à des blocages d'autoroutes ou d'autres axes routiers dans le Sud-Ouest (dont la rocade est de Bordeaux), qui se sont étendus en Bretagne, en Alsace, etc. Le vendredi 26 janvier 2024, mettant la pression maximale au gouvernement, des barrages routiers ont été installés (pour quelques heures) aux abords de Paris, en particulier sur la N118 sur le Plateau de Saclay (du côté de Corbveville), aussi sur l'A10, l'A13, l'A1, etc.
Pensé pour être non-violent et avec la volonté de faire pression sur le gouvernement sans ennuyer le peuple qui le soutient, ce mouvement a malheureusement eu deux victimes le 23 janvier 2024 à cause d'un accident de la circulation, une jeune éleveuse très engagée de l'Ariège, Alexandra Sonac, et sa fille Camille, qui ont été percutées par un véhicule qui a foncé à vive allure contre un barrage (involontairement semble-t-il). 4 000 personnes ont participé à la marche blanche en leur mémoire, organisée au départ du lycée agricole de Pamiers (où l'agricultrice avait été formée) le samedi 27 janvier 2024 à 13 heures 30. Il est important de se poser la question pourquoi Alexandra Sonac, son mari (et sa famille) se trouvaient en pleine nuit en hiver sur les lieux du barrage pour comprendre le niveau très fort de leur engagement dans ce mouvement.
Très attendu, le Premier Ministre Gabriel Attal s'est rendu dans une femme de Montastruc-de-Salies en Haute-Garonne, accompagné notamment du Ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Marc Fesneau et du Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu, pour annoncer les mesures du gouvernement visant à rassurer les agriculteurs. Depuis le début de ce mouvement, le gouvernement a tenu à ne pas engager une confrontation directe avec les agriculteurs, demandant aux forces de l'ordre d'observer une certaine indulgence face aux actions des manifestants (même si l'incendie provoqué à Agen a été très vite fustigé). Le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a indiqué que la ligne rouge est l'atteinte aux personnes et l'atteinte aux biens des personnes. La philosophie du chef du gouvernement, quant à lui, est la suivante : « Nous œuvrerons résolument à la réconciliation entre les agriculteurs et la société. Les agriculteurs souffrent aussi parfois d’être pointés du doigt, incompris ou caricaturés alors qu’ils nous nourrissent. Cette stigmatisation doit cesser. ».
Gabriel Attal a ainsi exposé les dix mesures que le gouvernement proposait pour calmer la colère des agriculteurs. Même si celles-ci peuvent satisfaire un certain nombre de manifestants agricoles, la situation est telle qu'il était prévisible qu'elles n'aient pas suffi à arrêter ce mouvement de fond. Ainsi, il est prévu à partir du lundi 29 janvier 2024 à 14 heures un blocage de Paris, ainsi que de Rungis (son marché de gros), et nul ne peut savoir vers quoi ira cette épreuve de force, ni pendant combien de temps. Pour le gouvernement, il est important que la crise soit éteinte avant le Salon de l'Agriculture le mois prochain, sans pour autant répondre à la totalité des revendications qui se surajoutent au fil du temps.
Mais revenons aux dix mesures pour comprendre comment le gouvernement a reculé dans cette histoire. En effet, le clivage reste et restera entre l'intérêt des agriculteurs et la transition écologique : la marche forcée vers la transition écologique ne peut se faire sans mesures d'accompagnement économiques à la hauteur des enjeux.
1. Mesure très attendue : l'abandon total de la hausse progressive sur le gazole non routier (GNR) agricole prévue dans la loi de finances. L'avance de remboursement arrivera en février au lieu de juin, soit un allègement de trésorerie de 230 millions d'euros.
2. La remise au titre du remboursement partiel de la taxe intérieure sur le produits énergétique (TICPE) sera directement faite sur la facture à partir du 1er juillet 2024.
3. Mise en place d'un fonds d'urgence de 50 millions d'euros pour aider les exploitations avec des élevages touchés par des maladies hémorragiques épizootiques (MHE) avec une augmentation du taux d'indemnisation à 90% au lieu de 80%. Les préfets privilégieront les exploitations en difficulté et qui ont déjà avancé de nombreux frais de vétérinaire.
4. Doublage du fonds d'urgence d'indemnisation des agriculteurs touchés par les inondations provoquées par la tempête Ciaran en Bretagne.
5. Mise en place d'une aide d'urgence de 50 millions d'euros pour la filière bio.
6. Renforcer l'application des lois Egalim sur le partage de la valeur entre les acteurs de la chaîne alimentaire française (en particulier, sanctionner très lourdement les grands distributeurs qui ne respecteraient ces lois, et renforcement des inspections de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes).
7. Mise en place de dix mesures de simplification immédiates, portant notamment sur les délais de recours contre les projets agricoles, ou encore sur les curages des cours d'eau (ce qui viendrait à contredire les mesures proposées le 9 janvier 2024 dans le Pas-de-Calais pour réduire les risques d'inondation), etc. Gabriel Attal a appelé à un mois de la simplification, le mois qui va passer jusqu'au Salon de l'Agriculture, avec du travail de concertation tant au niveau local que national : « Les normes qui gâchent la vie des agriculteurs et la bureaucratisation de l’agriculture doivent cesser. C’est un impératif pour leur permettre de produire pour nous nourrir. » (voir le détail plus loin).
8. Présentation d'un plan pour la viticulture en Occitanie prévue au début du mois de février avec des mesures d'urgence et des mesures structurelles.
9. Paiement accéléré des mesures PAC.
10. Refus de la France de signer l'accord commercial entre l'Union Européenne et les pays d'Amérique latine du Mercosur : « Les accords de libre-échange ne doivent pas se faire sans intégrer la réciprocité des normes et la mise en place de clauses miroirs : elles doivent protéger les consommateurs et garantir à nos producteurs qu’ils luttent à armes égales avec leurs concurrents étrangers. ».
Le détail des mesures de simplification, avec mise en œuvre immédiate, est le suivant (repris exactement sur le site du Ministère de l'Agriculture).
« Pour ce qui concerne la police de l’environnement :
- En construisant un cadre de confiance entre le monde agricole et la police de l’environnement, en assurant un meilleur dialogue, une proportionnalité des peines et leur adaptation en intégrant la bonne foi.
- En instaurant un "contrôle unique" pour qu’il n’y a pas plus d’un passage annuel sur une exploitation dans le cadre des contrôles administratifs.
- Mettre fin au régime d’exception sur les délais de recours en les alignant sur le droit commune, faisant passer ces délais de 4 à 2 mois, notamment pour les procédures ICP et en matière d’autorisation sur les prélèvements en eau pour les projets agricoles.
- Les personnels de l’Office français de la Biodiversité (OFB) dans les départements interviendront sous la tutelle des préfets. Un travail entre l’OFB, les ministères et les préfets sera organisé pour aboutir avant le Salon de l’Agriculture sur les conditions d’évolution des modalités d’intervention des agents de l’OFB dans les exploitations.
- Mettre fin aux incohérences et injonctions contradictoires, par exemple concernant le débroussaillement en mettant en cohérence les mesures visant à la protection des biens et des personnes et les mesures de protection de la biodiversité.
- En lieu et place des multiples règlements sur la haie, un seul cadre réglementaire sera mis en place.
- La simplification du cadre applicable au curage des cours d’eau agricole sera réalisée par voie réglementaire. Le décret sera publié la semaine prochaine. Les délais seront ainsi ramenés de 9 à 2 mois.
Pour ce qui concerne l’eau, ressource stratégique pour la pérennité de notre production agricole dans un contexte de changement climatique. Ainsi :
- Les délais des contentieux relatifs à la gestion de l’eau de l’eau seront drastiquement réduits par la suppression d’un niveau de juridiction, ou par l’application de la "présomption d’urgence" pour purger le contentieux en moins de 10 mois.
- S’agissant de la mise en œuvre des textes européens sur les zones humides et les tourbières, il n’y aura pas de surtransposition et le gouvernement prendra le temps de la concertation. ».
En outre, le Premier Ministre Gabriel Attal s'est rendu ce dimanche 28 janvier 2024 dans une exploitation agricole à Parçay-Meslay puis à la mairie de La Riche, en Indre-et-Loir, pour assurer les agriculteurs que d'autres mesures en faveur des agriculteurs sont en préparation dans les prochains jours ou semaines. Mais ses déclarations n'ont pas convaincu les agriculteurs en colère à cesser dès maintenant leur mouvement.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
Émotion nationale pour Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
José Bové.
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