Les abeilles parisiennes n’ont pas le bourdon
Contre toute attente, les abeilles - dont la disparition potentielle menace la biodiversité telle une épée de Damoclès - s’épanouissent mieux en ville qu’à la campagne. Paris produit plus d’une tonne de miel chaque année, et ses ruchers, perchés sur les toits de monuments culturels plus connus pour leurs collections d’art, tournent à plein régime.
Avec une température moyenne annuelle de 13 degrés celsius et une diversité des plantations paradoxalement peu commune dans les zones rurales, Paris est devenue une situation témoin des besoins de l’espèce. Les abeilles semblent en effet moins sensibles à la pollution carbonique émanant des déjections des véhicules qu’aux traitements chimiques infligés aux plantes. Alors que le constat national est morose (en 10 ans, 15.000 apiculteurs ont cessé leur activité en France), les ruches urbaines prolifèrent, que ce soit dû à l’initiative de responsables politiques ou de particuliers. Début mai, le Grand Palais installait des ruches sur son toit, rejoignant ainsi la liste des grandes institutions culturelles parisiennes pratiquant l’apiculture. L’Opéra de Paris, lui, produit 450 kgs par an d’un miel qui n’a rien à envier à son cousin provençal (en vente à la boutique de l’Opéra et chez Fauchon). Des formations sont même proposées au rucher du Luxembourg par la Société Centrale d’Apiculture ; la récolte est en vente à l’automne à l’Orangerie.
Comment expliquer alors des disparitions de ruches pouvant aller jusqu’à 50% à la campagne contre 5% maximum à Paris ? Bien sûr, la biodiversité de la capitale est réelle, et les essaims peuvent butiner allègrement depuis les acacias des jardins de la Villette jusqu’aux tilleuls du bois de Boulogne. Mais la différence tient essentiellement à ce détail : dans les espaces verts urbains, il est interdit d’avoir recours aux produits phytosanitaires par mesure de santé publique vis-à-vis des promeneurs. A la campagne, en revanche, ce ne sont plus, bien souvent, des fermiers que l’on peut voir, mais de grands groupes agroalimentaires qui ont investi les exploitations. Inutile de dire que ceux-ci ne rechignent pas à l’emploi systématique de produits parfois controversés, et même interdits chez nos voisins européens.
C’est le cas du Cruiser, objet de la dernière polémique en date dans le monde de l’apiculture, dont la reconduite de l’utilisation en 2009 par le ministère de l’Agriculture a fait scandale. Ce pesticide a en effet été reconnu dangereux pour les insectes pollinisateurs. D’autant plus que Syngenta, la société qui en assure la production, encourage à l’utiliser « même en absence d’attaque visible de ravageurs », faisant basculer le Cruiser dans le rang des amendements anodins. Pour cette raison, il a été interdit en Italie et en Allemagne. L’UNAF a, fin avril, adressé une lettre ouverte à Michel Barnier, actuel ministre de l’Agriculture, dans le but de faire bouger le dossier Cruiser ; elle est pour l’instant restée lettre morte.
Drôle de pays que la France, qui pendant qu’elle débloque des fonds publics pour le soutien de la filière apicole, autorise un pesticide décimateur de ruches...et dont les abeilles préfèrent les opéras et les pelouses bien tondues des jardins publics à l’insécurité des champs.
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