Les attentes vis-à-vis de la Conférence de Cancun sont modestes. Le momentum qui avait précédé la Conférence de Copenhague s’est perdu et les travaux n’ont que peu progressé sur l’année 2010. Cela ne signifie pas pour autant que Cancun confirmera l’échec de Copenhague. Cela dépendra de la capacité des participants à faire émerger une volonté commune d’action, tout en évitant de reproduire les erreurs commises à Copenhague.
1 - Copenhague ou la re-nationalisation des politiques climatiques
Si l’accord de Copenhague a été, à juste titre, présenté comme un échec, il a surtout marqué un changement de paradigme du système international de lutte contre le changement climatique et fut le révélateur, cruel pour l’Union européenne, de nouveaux rapports de force géopolitiques.
1.1 - Un accord décevant car éloigné de l’idéal européen
L’accord de Copenhague a consacré la rupture avec la logique de gouvernance supranationale contraignante qui avait été instaurée par le Protocole de Kyoto, pour passer à une logique de coordination faible d’engagements nationaux volontaires.
S’il concrétise l’ambition de limiter à 2°C la hausse des températures, l’Accord de Copenhague ne la décline pas en objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qu’il s’agisse d’un objectif agrégé ou d’objectifs répartis entre pays. La définition des objectifs est laissée à l’initiative des pays. Les pays industrialisés ont ainsi été tenus de transmettre leurs objectifs de réduction des émissions au secrétariat de la Convention Cadre des Nations Unies contre le réchauffement climatique, et les pays en développement de communiquer les mesures nationales d’atténuation, ou NAMAs (Nationally Appropriate Mitigation Actions, ou Mesures d’Action Appropriée à l’échelle Nationale) qu’ils comptent adopter.
L’architecture climatique ainsi esquissée est fort éloignée de l’idéal européen. L’ambition de l’Union européenne était en effet que l’accord fixe, dans la logique du Protocole de Kyoto, un objectif global de réduction des émissions, décliné ensuite en engagements juridiquement contraignants pour chacun des pays, dans une logique d’équité et de redistribution entre pays, fonction de la responsabilité et des capacités financières de chacun.
A Copenhague, c’est également l’idéal d’un marché carbone mondial, que nombre d’économistes appelaient de leurs vœux, qui a volé en éclats. La logique de cette approche est d’assurer la fixation d’un plafond global d’émissions matérialisé par le volume total de quotas émis, tout en permettant, par l’échange de quotas, une allocation optimale, d’un point de vue économique, des efforts d’atténuation. La mise en place d’un véritable marché mondial du carbone, qui n’aurait d’ailleurs été que la prolongation et l’extension du Protocole de Kyoto, nécessitait un accord international sur les points les plus sensibles de la négociation climatique : l’objectif global de réduction des émissions, la répartition de cet effort entre un pays et un système d’observance garantissant le respect des règles du jeu.
L’accord de Copenhague constitue ainsi un net recul par rapport au Protocole de Kyoto. Premièrement, l’accord n’est pas juridiquement contraignant et aucun mécanisme d’observance et de sanction ne garantit le respect des engagements. Deuxièmement, un système dans lequel les pays définissent unilatéralement leurs objectifs de maîtrise des émissions ne garantit pas que la somme des engagements permettra d’atteindre l’objectif global des 2°C, ni que la répartition des efforts entre Etats soit équitable. De fait, les déclarations d’objectifs transmises par les Etats au 31 janvier 2010 ont rapidement confirmé cette lacune puisque la somme des engagements ne conduit qu’à une réduction des émissions de 7 à 13% en 2020 par rapport à 1990, loin de la fourchette de 25 à 40% estimée comme nécessaire par le Groupement d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC).
1.2 - Un accord somme toute logique, révélateur des nouveaux rapports de force géopolitiques
L’accord de Copenhague est le fruit logique d’une convergence de vues entre les deux principales puissances économiques et émettrices de gaz à effet de serre, la Chine et les Etats-Unis, sur le rejet d’une architecture contraignante supranationale.
Le texte de l’accord a de fait été négocié dans les dernières heures de la Conférence par une coalition regroupant les Etats-Unis et le groupe des puissances émergentes, le BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine). L’Union européenne, qui pensait s’affirmer par son activisme climatique, comme le chef de file naturel des négociations, est restée sur le bord de la route et n’a pu que valider l’accord qui lui était imposé.
Partageant une appétence faible pour tout cadre supranational contraignant, considéré comme une ingérence internationale dans leurs affaires intérieures, et une prudence sur les incidences d’une maîtrise des émissions sur leur croissance économique, les BASICs, au premier rang desquels la Chine, et les Etats-Unis, ont trouvé un modus vivendi autour d’un système d’engagements nationaux volontaires qui ne préempte pas leurs politiques climatiques nationales et ne les soumet pas à un pouvoir supranational.
L’Union européenne s’est ainsi retrouvée isolée dans sa logique fondée sur une gouvernance mondiale forte du climat.
Au-delà de la mise en échec de la position européenne et de l’affirmation du poids des pays émergents sur la scène internationale, au détriment de l’UE, l’Accord de Copenhague souligne la difficulté de passer d’une logique de souveraineté nationale à la logique de solidarité internationale que requiert la protection du bien public mondial qu’est le climat. Les négociations climatiques appellent à une transformation des relations internationales puisqu’elles ne pourront être couronnées de succès que lorsque la logique traditionnelle de souverainetés nationales aura été dépassée.
1.3 - La Conférence de Copenhague a néanmoins conduit à des avancées non négligeables
Au côté des échecs mentionnés précédemment, la Conférence de Copenhague a néanmoins permis quelques avancées majeures.
La principale avancée de Copenhague est l’affirmation d’une volonté commune des pays industrialisés de mobiliser des ressources financières significatives à destination des pays en développement. Cette promesse d’un transfert financier Nord-Sud se décompose en deux engagements.
- Les pays industrialisés se sont tout d’abord engagés à apporter des financements précoces (fast-start) à hauteur de 30 milliards $, sur la période 2010-2012. Ces fonds, qui doivent être nouveaux et additionnels, permettront de soutenir les pays en développement dans la préparation de leurs politiques d’atténuation et d’adaptation post-2012.
- L’Accord prévoit également une aide financière des pays industrialisés aux pays en développement croissant progressivement pour atteindre 100 milliards de $ en 2020.
Deuxième avancée, dont les bénéfices ne seront sûrement visibles qu’à plus long terme, la Conférence de Copenhague a souligné la magnitude des enjeux économiques, sociétaux et environnementaux posés par la lutte contre le changement climatique et la nécessité pour tous les pays de passer à l’action, tant sur l’atténuation des émissions que sur l’adaptation. La Conférence de Copenhague fut marquée par une mobilisation historique de l’ensemble des acteurs de la lutte contre le changement climatique (gouvernements, collectivités territoriales, partenaires sociaux, société civile, ONGs, etc.). Paradoxalement, l’échec des négociations sur la gouvernance internationale et les engagements de réduction des émissions a souligné l’importance de l’élaboration des politiques climatiques nationales et des initiatives partant du terrain. L’autre avancée de Copenhague est donc de bâtir un second pilier, complémentaire à celui de la gouvernance, qui articule les actions des pays en développement (les fameuses NAMAs) avec l’apport de financement par les pays industrialisés et les transferts de technologie.
Si la plupart des pays (139) ont confirmé leur soutien à l’Accord de Copenhague, des défiances persistent, sous-tendues par trois motifs : le manque d’ambition des engagements de réduction des émissions pris par les pays industrialisés, le refus par un certain nombre d’entre eux d’un cadre juridiquement contraignant et, enfin, la crainte, suscitée par la négociation de l’accord entre les principales puissances économiques, de basculer vers un mode de négociation hors Convention, limité aux plus grands pays.
2 - Les principaux enjeux des négociations climatiques après Copenhague : construire par le bas un cadre mondial cohérent de lutte contre le changement climatique
2.1 - La prolongation du Protocole de Kyoto et la question de l’architecture internationale de lutte contre le changement climatique
La première période d’engagement du Protocole de Kyoto arrivant à échéance à la fin de l’année 2012, la question du devenir du Protocole de Kyoto et d’une seconde période d’engagement se pose de manière aiguë, d’autant que la Conférence de Copenhague n’a pu déboucher sur aucun texte faisant consensus pour la période post-2012.
Or le protocole de Kyoto et son système de quotas d’émissions souverains est porteur d’une valeur institutionnelle et symbolique très forte.
Le Protocole de Kyoto est en effet aujourd’hui l’unique instrument juridique contraignant de l’architecture climatique internationale. Trente-neuf pays développés, représentant près de 30% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, se sont ainsi engagés à diminuer de 5.2% leurs émissions sur la période 2008–2012 par rapport à 1990. Dans le cadre du Protocole, chaque pays a reçu une allocation initiale de permis d’émissions, les Unités de Quantité Attribuées. En vertu du mécanisme d’échange instauré par le Protocole, ces permis peuvent être cédés lorsque le pays se trouve dans une situation excédentaire (excès de permis par rapport au niveau des émissions) ou acquis lorsqu’il se trouve dans une situation déficitaire.
Le Protocole de Kyoto constitue la clé de voûte de l’architecture climatique internationale souhaitée par l’Union européenne. Il permet de fixer un plafond global et strict d’émissions, matérialisé par le volume global de quotas alloués, de répartir, par les allocations initiales, la contrainte carbone entre les Etats et de laisser ensuite le soin aux Etats de concevoir leurs politiques climatiques et de se redistribuer la contrainte par les échanges de quotas.
Le Protocole de Kyoto est également un outil de gouvernance essentiel, fondé sur des outils de reporting, de vérification et d’observance robustes, qui garantissent la lisibilité et la comparabilité des engagements et des réalisations des Etats.
La fin du Protocole de Kyoto acterait donc la disparition d’un acquis majeur des négociations climatiques, méthode de régulation universelle fondée sur le diptyque quotas et prix, certes perfectible, mais néanmoins précurseur d’une gouvernance internationale crédible de la lutte contre le changement climatique.
Or le Protocole de Kyoto ne peut guère compter, pour sa pérennité, que sur les exigences des pays en développement et sur le soutien, prudent et conditionnel, de l’Union européenne. Les Etats-Unis restent réfractaires à ce qui est perçu comme un outil d’ingérence internationale, auquel la Chine n’est pas assujettie, et ne ratifieront jamais le Protocole de Kyoto. Le Japon et le Canada, la Russie, qui ont ratifié le Protocole de Kyoto, ne défendent pas une seconde période d’engagement à ce Protocole. De fait, aucun de ces pays ne souhaite s’imposer des engagements légalement contraignants, auxquels ne seraient soumis ni la majorité des pays émergents, ni les Etats-Unis. Cette réticence se double de plus pour le Japon, pays extrêmement respectueux de ces engagements, de la crainte de ne pouvoir s’y conformer, et pour le Canada, du rejet total d’un Protocole qu’il a, dans une logique condamnable, choisi de ne pas respecter lors de la première période d’engagement.
Deux scénarios principaux se dégagent donc quant à l’architecture climatique après 2012.
Le premier est celui de la prolongation du Protocole de Kyoto sur une seconde période d’engagement. Elle conduirait à la coexistence de deux régimes distincts pour les pays industrialisés, avec d’un côté le Protocole et de l’autre un régime « Copenhague » sans permis d’émissions souverains et sans système d’observance.
S’il devait continuer à exister, le Protocole de Kyoto devrait se réduire à un périmètre proche de celui de l’Union européenne ou de l’Espace Economique Européen
[1], auquel pourrait venir s’ajouter l’Australie. La pérennité du Protocole de Kyoto ne serait pas justifiée par un principe d’efficacité, puisque le Protocole ne couvrirait plus que 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, mais par la volonté de pérenniser cet instrument, afin qu’il puisse servir, à plus long terme, de fondement à une architecture climatique mondiale rénovée fondée sur une gouvernance forte et un système de quotas souverains.
La prolongation du Protocole de Kyoto sur une deuxième période nécessitera de régler la question du surplus massif de permis d’émissions dont bénéficient les pays d’Europe de l’Est et qui risquerait de porter atteinte à l’intégrité environnementale de la seconde période d’engagement
[2]. Une clarification des règles relatives à la comptabilisation de l’utilisation des terres, et de l’évolution du couvert forestier sera également nécessaire afin d’assurer la robustesse du dispositif.
Il semble dans tous les cas illusoire de tabler sur une continuité du Protocole de Kyoto après le 31 décembre 2012, puisqu’elle supposerait une ratification qui avait pris, pour la première période d’engagement, huit ans. Une période de vide juridique devrait donc inévitablement s’ouvrir.
Le deuxième est celui de la non-adoption d’une seconde période d’engagement, qui conduirait à l’existence d’un régime unique pour tous les pays de l’annexe A, fondé sur la logique de Copenhague.
La disparition éventuelle et / ou temporaire du Protocole de Kyoto ne remettrait cependant pas en cause l’existence des marchés du carbone régionaux, au premier rang desquels le marché européen des quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Fondé par des législations locales, ces marchés sont en effet indépendants du Protocole de Kyoto. La prolongation du marché européen sur la période 2012 – 2020 a ainsi été irrémédiablement actée par le paquet énergie climat adopté fin 2009 sous la présidence française de l’Union européenne.
Quel que soit le scénario, l’apparition d’un régime Copenhague ne reposant pas sur les règles strictes établies par le Protocole de Kyoto présente le risque d’une fragmentation des mécanismes de crédits nuisible à la comparabilité des engagements et des efforts réalisés. En effet, si le Protocole de Kyoto a limité l’utilisation des crédits à ceux issus du Mécanisme de Développement Propre (Clean Development Mechanism ou CDM) et de la Mise en œuvre Conjointe, mécanismes régis par les décisions de la Convention et soumis à la supervision de la CNUCCC, l’apparition d’un régime Copenhague plus souple sera propice à l’éclosion de nouveaux mécanismes, disposant de leurs propres règles. Un bon exemple de ce phénomène est la mise en place, par le Japon, de mécanismes de crédits bilatéraux, vecteurs de diffusion de technologies japonaises, avec différents pays asiatiques. Le risque est donc grand de voir apparaître, hors du Protocole, de nouveaux mécanismes low cost offrant des garanties faibles d’intégrité environnementale qui générerait une inéquité dommageable entre les pays parties au Protocole de Kyoto et les pays soumis au régime Copenhague. Afin de limiter ce risque de fragmentation, un régime de reconnaissance ou de validation internationale des mécanismes de crédits utilisables pourrait être mis en place.
2.2 - La consolidation des engagements des pays industrialisés
L’enjeu est ici de cranter les propositions d’engagements annoncés par les différents pays suite à Copenhague sans cautionner leur absence d’ambition. Le scénario idéal serait donc d’acter les engagements par une décision à Cancun, de dresser le constat de leur insuffisance et d’introduire une clause de révision en 2015.
Ce scénario se heurte néanmoins à la question de la nature juridique des engagements et à une éventuelle disjonction entre un régime Kyoto d’engagements juridiquement contraignants et un régime Copenhague d’engagements volontaires.
2.3 - La mise en place d’un régime de mesure, reportage et vérification robuste, garant de la cohérence des engagements et des actions des Etats
Le régime de mesure, reportage et vérification (MRV) désigne l’ensemble des politiques et dispositifs d’évaluation, d’information et de contrôle des actions conduites par les pays, des résultats obtenus en matière d’atténuation, de mobilisation et d’utilisation des financements.
La question du MRV, et en particulier celle de la vérification (V), cache sous des dehors techniques un enjeu stratégique majeur des négociations climatiques internationales, qui touche au sujet sensible de la souveraineté des Etats. Son rôle est d’autant plus important dans l’approche, retenue à Copenhague, d’engagements volontaires, que celle-ci doit impérativement se fonder, en l’absence de sanctions, sur une logique de transparence, permettant la comparabilité des efforts réalisés et l’exercice d’une pression morale par les pairs, en cas de non respect des engagements. Dans l’approche « Copenhague », le MRV doit devenir un véritable outil de pilotage des politiques climatiques nationales et de l’utilisation des financements ainsi que de coopération entre les Etats.
L’Accord de Copenhague a posé les grands principes d’un système de MRV rénové pour les pays en développement. Si l’accord ne prévoit pas de changement notable pour les pays industrialisés, il renforce les obligations de MRV pour les pays en développement et introduit deux régimes selon que les actions réalisées bénéficient ou non d’un soutien financier international.
- Les actions bénéficiant d’un soutien financier international devront faire l’objet d’un processus de MRV internationalisé et d’un reportage au sein d’un registre dédié, garantissant au pays financeur un suivi précis des mesures qu’il finance.
- Pour les actions entreprises directement par le pays en développement, le résultat du processus de MRV devra seulement être communiqué au niveau international, dans le cadre des communications nationales réalisées tous les deux ans. Pour ces actions, l’accord de Copenhague a écarté le principe d’une vérification internationale des mesures prises, qui aurait été jugé par nombre de pays en développement, comme une atteinte majeure à leur souveraineté nationale.
L’Accord de Copenhague a également proposé la création d’un registre des mesures d’atténuation (NAMAs) mises en œuvre par les pays en développement. Un tel mécanisme pourrait avoir une fonction de coordination entre les mesures d’atténuation (NAMAs) des pays en développement et le soutien international (financements, transferts de technologies, assistance technique,…) nécessaires à leur mise en œuvre. Les NAMAs devraient faire l’objet d’une évaluation par un panel technique avant d’être inscrites au registre. La création d’un registre présente le double intérêt évident d’une meilleure coordination des politiques climatiques et d’une transparence indispensable au succès de l’approche Copenhague.
L’heure est donc maintenant à l’élaboration opérationnelle et à la mise en œuvre de ce système. Des règles et processus communs doivent dont être établis, qui garantissent l’homogénéité des méthodes et des pratiques. La nature du système de vérification international devra être définie, entre un modèle vertical fondé sur une autorité forte et un modèle fondé sur une évaluation par les pairs.
2.4 - La concrétisation des promesses financières faites à Copenhague et la création d’une architecture financière internationale
L’engagement d’aide financière des pays industrialisés aux pays en développement constitue l’avancée concrète majeure de Copenhague. Cette promesse doit maintenant être consolidée et rendue crédible, afin de susciter la confiance des pays en développement et de donner ainsi une impulsion forte aux négociations
Une plus grande transparence sur le dispositif des financements précoces est nécessaire
Sur les 30 milliards de financements précoces « nouveaux et additionnels » promis par les pays industrialisés sur la période 2010 – 2012 pour aider les pays en développement à préparer leurs politiques climatiques, l’enjeu essentiel est celui de la transparence.
Le danger est grand que la réalisation de cette promesse se fasse uniquement par un ré-étiquetage des projets d’aide publique au développement déjà engagés par les Etats. Plusieurs ONG ont déjà tiré la sonnette d’alarme.
*
L’absence de transparence sur les financements mobilisés et un maquillage généralisé de financements existants en financements précoces annuleraient une des principales avancées de la Conférence de Copenhague et porterait un rude coup à la dynamique des négociations.
Les pays industrialisés doivent ici jouer la carte de la transparence et du respect des promesses faites. Une définition commune de la notion d’additionnalité devra être établie, qui clarifie l’effort financier supplémentaire réalisé par rapport à l’enveloppe existante de l’aide public au développement. Les pays industrialisés devront communiquer leur plan de financements précoces, précisant les sources de financement, les volumes mobilisés, l’allocation des financements, et l’articulation avec l’aide publique au développement préexistante. L’impératif de transparence est également de mise du coté des pays en développement récipiendaires : un dispositif de MRV garantissant la traçabilité des fonds devra être mis en place.
Les financements pérennes
La question des financements pérennes et de l’architecture institutionnelle qui les sous-tend est en enjeu essentiel pour la dynamique de la politique climatique internationale, à double titre. Premièrement, la mise en œuvre des politiques d’atténuation et d’adaptation est conditionnée à la perspective claire d’un soutien financier des pays industrialisés aux pays en développement. Deuxièmement, la concrétisation des promesses financières faites par les pays industrialisés est indispensable à la construction d’une relation de confiance avec les pays en développement, elle-même indispensable au déblocage des négociations sur d’autres sujets. Un recul sur le volet du financement ferait de la Conférence de Copenhague un échec quasi-intégral.
L’accord de Copenhague a fixé des orientations politiques claires qu’il faut maintenant concrétiser : objectif de 100 milliards de transferts financiers Nord – Sud nouveaux et additionnels à horizon 2020, identification de sources de financements innovantes, création d’un Fonds Vert par lequel transiteraient une grande partie des 100 milliards de $.
Il s’agira en premier lieu d’établir une stratégie de financement définissant la répartition des fonds entre les différents objectifs (atténuation, REDD+ - Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation -, adaptation, transfert de technologies, renforcement de capacités) et types de projets. Elle devra être conçue dans le but de favoriser la structuration durable et la solvabilité de filières et secteurs économiques autour d’une trajectoire de développement plus sobre en carbone. Cette stratégie devra donc s’appuyer sur une évaluation fine des besoins de financements. Elle devra enfin définir l’articulation entre financement public et financement privé, dans une logique de complémentarité. Les pays en développement sont majoritairement demandeurs de fonds publics, ressources stables et a priori pérennes. Néanmoins, dans un contexte budgétaire difficile pour la plupart des pays industrialisés, une approche réaliste impose d’élaborer des stratégies de financement utilisant au maximum les financements privés et de n’utiliser les fonds publics que dans un rôle de catalyseur de l’investissement privé ou pour des fonctions que le marché ne pourra prendre en charge.
L’architecture institutionnelle et les règles de fonctionnement du Fonds Vert devront être définies. Plusieurs paramètres de l’architecture institutionnelle posent encore débat : positionnement du Fond Vert par rapport aux institutions multilatérales ou bilatérales de l’aide au développement, lien entre le Fond Vert et la Convention des Parties (la question de savoir si le Fond Vert sera placé sous l’égide ou sous l’autorité directe de la Convention), règles de représentation des pays dans les instances de décisions, accès direct des pays aux financements ou passage obligé par une agence internationale chargée de la mise en œuvre. Deux modèles cadres s’opposent. Le premier est celui d’un organisme centralisé et relativement autonome, garantissant une cohérence forte mais peut-être au prix d’une efficacité moindre. Le second est celui d’une architecture plus souple s’appuyant sur des institutions multilatérales (ex. Banque Mondiale ou Fonds pour l’Environnement Mondial) ou bilatérales (banques de développement comme l’Agence Française de Développement) existantes permettant une opérationnalisation rapide et la réalisation de synergies.
Un enjeu majeur dans la création du Fonds Vert sera d’instaurer une gouvernance robuste, fondée sur des processus rigoureux des projets, d’allocation des fonds, et de MRV qui lui permettra de fonctionner dans un climat de transparence et de confiance.
Alors que la capacité des pays développés à mobiliser des ressources budgétaires additionnelles est largement compromise par la crise financière, la poursuite des travaux sur les financements innovants est le corollaire de la construction d’une architecture financière crédible. L’analyse des différentes sources de financement innovantes
[3] par le Groupe consultatif de Haut Niveau sur le financement de la lutte contre le réchauffement climatique, mis en place par le Secrétaire Général des Nations Unies montre que l’objectif des 100 milliards de $ peut être atteint à condition de mobiliser l’ensemble des sources identifiées. Il n’existe malheureusement pas de solution miracle. L’analyse du Groupe consultatif montre également que les capacités des financements innovants sont fortement dépendantes de l’architecture climatique internationale et de l’ampleur des objectifs de réduction des émissions fixés puisque plusieurs des sources les plus significatives dépendent du prix du carbone, tels le revenu des enchères de quotas et la taxe carbone. Cette dépendance plaide pour la mise en place d’un cercle vertueux d’engagements d’atténuation ambitieux générateurs de ressources financières additionnelles.
2.5 - La concrétisation de la lutte contre le changement climatique et la mise en place de mécanismes cohérents
Les progrès réalisés sur le financement doivent permettre d’insuffler une dynamique forte sur la mise en œuvre des mesures concrètes d’atténuation et d’adaptation et sur l’élaboration ou le renforcement des mécanismes internationaux. La mise en œuvre de projets concrets d’ici 2012 fournira en effet la preuve que les actions de lutte contre le changement climatiques sont réalisables, ce qui favorisera le développement de projets à plus grande échelle. Le soutien financier à la maturation des projets REDD+ et NAMAs est particulièrement indispensable. La question du financement des mesures d’adaptation est centrale, non seulement pour les pays en développement, mais également pour les pays donateurs, comme les dividendes de l’aide au développement seront réduits sans une aide supplémentaire à l’adaptation limitant les effets destructeurs du changement climatique.
Les négociations devront également permettre d’élaborer un cadre et des règles clairs sur l’élaboration des politiques d’atténuation (NAMAs) et des plans d’adaptation, la mise en œuvre des projets et l’allocation des financements internationaux qui permettent aux pays en développement de développer leurs politiques nationales dans un cadre stabilisé. En l’absence d’un système contraignant d’engagements volontaires, des règles et méthodes de travail communes et clarifiées sur les outils sont essentielles pour assurer la cohérence, « par le bas » de l’architecture climatique internationale.
Elles devront stimuler les travaux sur l’élaboration des nouveaux mécanismes de crédits : mécanismes sectoriels et mécanisme de réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts. Le renforcement du Mécanisme de Développement Propre est également à l’ordre du jour des négociations internationales, dans la perspective d’une plus grande efficacité et d’une lourdeur administrative moindre.
Les négociations climatiques devront enfin repositionner la question sensible des transferts de technologies. Il s’agira de sortir le débat de sa focalisation sur les droits de propriété intellectuelle (DPI), au profit d’une approche plus large visant à favoriser la diffusion auprès des pays en développement des technologies facilitant la réduction des émissions et l’adaptation aux changements climatiques inévitables. Les barrières à l’acquisition de technologies proviennent en effet moins souvent des brevets sur les technologies de pointe, que des faiblesses institutionnelles, éducatives et professionnelles des pays en développement, qui limitent l’accès à des technologies autrement accessibles. Ces obstacles comprennent le manque de structuration des filières, les déficits d’expertise et de formation universitaire et professionnelle, le sous-investissement public et les barrières à l’accès à l’investissement privé. Une nouvelle approche sur les transferts de technologie devrait s’appuyer sur une identification différenciée des besoins technologiques des pays en développement (par l’intermédiaire notamment des Technology Needs Assessments ou TNAs). Par exemple, la création de centres d’excellence au niveau régional bénéficierait grandement aux PMAs, tandis que des investissements visant à diffuser la capture et la séquestration du carbone (CCS) seraient très utiles aux pays émergents tels que la Chine, l’Inde ou l’Afrique du Sud.
3 - Qu’attendre de Cancun ?
Les attentes vis-à-vis de la 16ième Conférence des Parties de Cancun sont modestes. De fait, le momentum politique et social qui avait précédé la Conférence de Copenhague s’est perdu et les travaux n’ont que peu progressé sur l’année 2010.
De plus, le contexte politique et social est moins favorable qu’il ne l’avait été avant Copenhague. Dans un contexte de crise économique profonde, l’impératif écologique a malheureusement tendance à être relégué au second plan. L’impasse dans laquelle se trouve la politique climatique américaine, après l’abandon du projet de loi au Sénat et la défaite des démocrates lors des élections de midterm devrait conduire à une certaine marginalisation des Etats-Unis. Dans le face à face permanent entre les deux pays, la Chine aura beau jeu de souligner l’absence de progrès et de crédibilité des Etats-Unis alors que les efforts concrets réalisés au niveau national par la Chine sont reconnus par la communauté internationale. A Cancun, cette dernière devrait déplorer, une fois de plus, l’absence de leadership des Etats-Unis sur le sujet.
Cancun ne sera donc pas le lieu d’un accord global et historique sur le climat. Il ne s’agira que d’une étape dans le difficile chemin suivi par les négociations internationales.
Cancun ne pourra être un « succès » que si une logique absolutiste de négociation d’un paquet global équilibré est momentanément écartée au profit d’avancées concrètes sur les sujets les plus mûrs. Certains des points ne pourront probablement pas être débloqués à Cancun, qu’il s’agisse de la signature d’un accord juridiquement contraignant, de l’accroissement des objectifs de réduction des émissions ou d’une seconde période d’engagement au Protocole de Kyoto. S’arc-bouter sur leur résolution pour accepter de négocier les autres sujets risquerait de conduire les négociations dans une impasse. Si le paquet global équilibré doit rester le point de mire des négociations climatiques, l’expérience des Conférences et sessions de négociation passées montre l’impossibilité de progrès et décisions simultanées sur l’ensemble des sujets.
Concrètement, plusieurs sujets pourraient faire l’objet de décisions de la Conférence des Parties à Cancun.
- Cancun pourra tout d’abord consolider les avancées réalisées à Copenhague sur le financement. Cancun devrait acter la création du Fonds Verts, esquisser les grands principes de son architecture et de sa gouvernance, avec notamment une composition équilibrée Nord-Sud des instances de décision, et lancer le processus de montage du fonds. La Conférence devra également reconnaître l’importance des mécanismes de financements innovants et initier les travaux additionnels nécessaires à leur mise en œuvre.
- Cancun devra également permettre de clarifier le cadre de mises en œuvre des mesures nationales d’atténuation (NAMAs) et d’adaptation en définissant des règles communes, en concrétisant les moyens de financements précoces indispensables à leur élaboration (les 30 milliards de $) et en définissant les modalités de leur utilisation. Cancun pourrait également décider de la création du système de registre permettant de recenser les actions (NAMAs) mises en œuvre et d’assurer la coordination avec le soutien international et lancer les travaux préparatoires à sa création.
- Une décision sur le mécanisme REDD+ apparaît possible ; elle acterait les grands principes sur lesquels un consensus avait été trouvé à Copenhague. Un texte de négociation était déjà très avancé à Copenhague et il comportait des progrès réels dans la construction d’un consensus : description claire des principes qui doivent guider les actions, confirmation d’une vision large des activités forestières incluant aussi la préservation et l’augmentation des stocks de carbone forestiers (vision REDD+, c’est-à-dire concernant la quasi-totalité des forêts de la ceinture intertropicales qui représentent la moitié des forêts mondiales), respect des populations forestières ou prise en compte de la biodiversité.
Entériner ces décisions à Cancun permettrait de relancer la dynamique des négociations. Surtout, des avancées claires sur ces sujets démontreraient l’engagement des pays industrialisés et stimuleraient, sur le terrain, le lancement d’initiatives opérationnelles dans les domaines de l’atténuation et de l’adaptation.
La Conférence de Cancun devrait également clarifier la question de la prolongation du Protocole de Kyoto et de l’architecture climatique post-2012, même s’il faudra a priori attendre la prochaine Conférence à Johannesburg, pour qu’un accord formel soit le cas échéant signé sur la prolongation du Protocole.
Sur ce point chaud des négociations, l’Union européenne, en s’engageant unilatéralement en faveur d’une seconde période du Protocole de Kyoto, pourrait se replacer au centre des négociations. Une telle décision ne présente en effet que des avantages. En actant au niveau international des engagements juridiquement contraignants déjà pris au niveau européen, l’UE assurerait la sauvegarde du Protocole de Kyoto et ferait la preuve de son engagement aux yeux des pays en développement, attachés à la pérennité du Protocole.
Enfin, un des principaux enjeux de la Conférence est la pérennité même du processus de négociation onusien. Un échec à Cancun affaiblirait le processus onusien au bénéfice d’instances plus restreintes comme le G20 / G28 ou le Forum des Economies Majeures.
La Conférence de Cancun doit être celle d’un espoir retrouvé. Il est pour cela indispensable que l’ensemble des pays se place dans une logique pragmatique de construction, pas à pas, de l’architecture climatique internationale esquissée à Copenhague, et ce en dépit de ses faiblesses intrinsèques. Cancun devra en consolider les fondements et, en donnant des perspectives claires, insuffler une dynamique forte faite d’actions concrètes et d’initiatives locales. Pour cela, les Parties à la Convention, au premier rang desquels l’Union européenne devront accepter de faire le deuil, que l’on espère momentané, d’une approche universaliste contraignante fondée sur la logique Kyoto.
[1] Union européenne, Norvège, Suisse, Islande, Liechtenstein et Monaco.
[2] La fixation de l’objectif de réduction pour la première période d’engagement ayant été faite sur la base du niveau d’émissions de 1990, l’effondrement de l’économie des pays d’Europe de l’Est dans les années 90, et la réduction drastique des émissions qui s’en est suivi, a mécaniquement engendré un surplus massif de permis d’émissions pour ces pays, de l’ordre de 10 milliards de tonnes, soit 20 fois les émissions de la France. La possibilité d’utiliser ce surplus de permis pour remplir leurs engagements ou sa cession à d’autres pays, diminuerait considérablement le niveau d’effort requis.
[3] Revenus des enchères de quotas d’émissions, taxe sur les projets issus des mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto, taxe ou marché de permis sur les transports maritimes et aériens internationaux, taxe carbone, taxe sur la production d’électricité, réorientation des subventions aux énergies fossiles, revenus issus de la taxation des énergies fossiles, taxation des transactions financières, ressources des institutions budgétaires internationales
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