Les vignerons du vivant
Les crises, qu'elles soient économiques, sociales ou écologiques, ont des racines communes. Il y a comme un air de changement avec ses vignerons qui ont entrepris de prendre cette phrase au pied de la lettre..
L'idée initiale est belle et généreuse : former en alternance 12 jeunes au métier de vigneron avec une dimension agro-écologique clairement affirmée.
Les apprentis d'Auteuil, une maison familiale, un groupe de vigneron motivés se rassemblèrent autour de ce projet.
Les préjugés sont forts. Nous pensions former des jeunes...
La suite de l'histoire mériterait que vous vous offriez quelques minutes pour en connaître les conséquences surprenantes.
Nous pensions arriver sur une terre sans âme, sans terroir, sans typicité. C'est un peu exagéré, surtout au cœur de ces grands crus médocains. Mais, dans l'air du temps, il y a comme une espèce de fatalité, et même de préjugé à l'encontre des vignerons.
Nous pensions que le vin était devenu à l'image de ce que nous sommes : stériles, uniformes, presque hors sol.
Nos travaux sur les mycorhizes nous ont enseigné que les racines sont perméables et que tout ce qui se trouve à l'extérieur pénètre à l'intérieur. Ces travaux nous ont appris que la richesse du milieu est un élément de la typicité du vin. Et lorsque tout s'uniformise, que tous les vignobles se ressemblent, qu'en penser, qu'en dire ?
Peut-être que le néant ou les doutes de l'extérieur se retrouvent à l'intérieur ?
Peut-être que l'alchimie du terroir s'est compensée différemment ?
Peut-être qu'une chimie bien plus maîtrisable bouleverse l'ordre des choses ?
Invités par Jean Baptiste Cordonnier, nous nous sommes prêtés à cet exercice de réflexion.
Anthonic, le bien nommé fut le domaine de nos investigations.
« Nous », c'est « La Belle Vigne », un groupe d'experts issus de la « cellule nationale agronomique ».
Et parce qu'il faut bien commencer par quelque chose, nous avons délibérément adopté un point de vue singulier : celui du carbone.
Nous trouvons moins de 2 % de Matière Organique dans le sol, alors qu'il y a 30 ans, nous en avions encore le double.
Une aussi grande variation a de grandes conséquences. Quelque chose ne fonctionne plus bien.
Relaté par Konrad Schreiber, le diagnostic est encore plus amer, mais les solutions pas si complexes que cela à appréhender.
Juste enherber : spontanément ou par des couverts végétaux sophistiqués.
Chacun, en fonction de ses connaissances et de ses croyances pourra facilement l'expérimenter. Si tout le monde semble d'accord pour recouvrir le sol en hiver, tout le monde semble presque aussi d'accord pour dire qu'il n'en faut plus en été.
On pourra commencer par des plantes annuelles d'hiver : un blé implanté après les vendanges. Il sera sec dès le mois de juillet, puis roulé et procurera un abondant paillage protecteur pour l'été.
C'est curieux : le blé se marie à la vigne, comme le pain, au vin. Il y a des symboles qui ont la peau dure.
Puis on pourra tester d'autres plantes, d'autres communautés végétales : à chacun d'expérimenter son mélange, sa façon de le semer et sa façon de couper, coucher ou broyer le couvert.
Mettre le couvert, c'est permettre au sol de se mettre à table, de se nourrir de se développer et même de s'affirmer.
Et puis Alain Canet : passer de l'annuel au vivace, du temporaire à la permanence. Les arbres, les buissons refont leur apparition dans le vignoble.
D'abord sous forme de haie, sur le pourtour ou en écran lorsqu'on se rapproche des habitations.
Puis au cœur, en substitutions de quelques rangs.
Là aussi, à chacun d'avancer à son rythme, à sa vitesse, en fonction de ses propres expérimentations et observations. Peut-être faudra-t-il modifier les densités sur le rang ? Peut-être faudra-t-il repenser les tournières ? Peut-être faudra-t-il renégocier les cahiers des charges de nos appellations. La prudence est de mise, mais l'expérimentation s'impose.
Et puis Marc André Selosse, du Muséum : un arbre génère une biomasse importante dans les sols, par eux même, leurs racines, leurs feuilles mortes, par les rameaux que nous taillons pour nourrir le sol, mais également par leurs prolongements racinaires : les myriades de mycorhizes et de mycélium qui parcourent le sol dans sa profondeur et dans son étendue.
L'arbre permet une agradation rapide. Il répare le sol et rétablit ses fonctions fertilitaires.
Ce n’est pas tout : n'oublions pas que la vigne est née à la lisière des forêts. C'est ce que les vrilles nous rappellent lorsqu'elles s'agrippent au premier support à la recherche d'une hypothétique branche.
C'est ce que de petits arthropodes nous apprennent également : l'arbre fournit le gîte à de nombreux auxiliaires, la vigne leur fourni ces nombreux parasites.
Mais attention : la lisière n'est pas le cœur de la forêt. Les essences qui la composent ne sont pas tout à fait les mêmes. La vigne pourra souffrir à côté d'un chêne pédonculé. Quelles plantes composent vos lisières ? Quels arbres se comportent en pionnier ? A chaque parcelle, à chaque terroir, une réponse : un érable champêtre, un frêne, un peuplier tremble, ou une aubépine, un cormier, un orme et pourquoi pas un fruitier de l'immense famille des rosacées dont le pêcher dit « des vignes » fut figure de proue en son temps.
Arrive Marceau Bourdarias, et ses propositions de taille douce. Chaque année, la vigne se régénère à la surface de celle de l'année d'avant. Chaque cep se retrouve enveloppé d'une couche nouvelle de tissus entièrement renouvelés. Les nouveaux bourgeons se génèrent à partir de ce nouveau bois. Ils y sont connectés.
Et voilà l'explication d'un malheur si souvent rencontré : à chaque taille, lorsque le vieux bois est malencontreusement coupé, tous les vaisseaux se vident de leur substance et se nécrosent. La vigne ne vit plus que de sa surface. Mais lorsque la taille n’intervient que dans du bois de l'année, le vieux bois reste comme encapuchonné de cette peau vivante. Il gardera la faculté de stocker de précieux nutriments qui permettront la résistance au froid hivernal, la reprise de végétation, la floraison, et finalement la vigueur de la plante dans son élan vital.
Comme le sol, la plante elle aussi stocke du carbone. Et lorsqu'elle peut encore le stocker dans son vieux bois de 2, 3, 4 ou même 5 années, c'est 5 fois plus de capacités à résister que nous lui offrons.
Arrive le soir, le temps du partage, des discussions, et des rêves aussi.
Et si c'était vrai, comment m'y prendrais-je ?
Ce sont les jeunes, les apprentis des domaines qui concluent les observations, au travers de leurs regards aiguisés sur le terrain avec leur maître d'apprentissage. Croiser les regards, c'est s'autoriser à voir différemment, à envisager qu'une autre perception de la réalité soit possible.
Cette taille, ces arbres, ces couverts végétaux, tout ceci concourt à la même chose : stocker du carbone. Mais c'est quoi le carbone ?
Le Carbone c'est de la Vie. Et stocker le carbone, finalement c'est accepter d’accueillir de la Vie en abondance.
Créer des corridors pour que la Vie puisse nous rejoindre,
Créer des liens pour que la chauve-souris qui tourne autour de la mare voisine ait l'idée de venir se nourrir au-dessus de ma vigne,
Créer des ponts pour que les bestioles nées dans le cœur de la forêt puissent arriver jusqu'au cœur de ma parcelle et recomposent un sol riche et fertile.
Permettre à ce prodigieux élan vital de pénétrer dans ma vigne, dans mon cep, dans ma grappe et dans mon vin : fruit de la Terre et du travail du Vigneron.
C’est surement tenter de se réconcilier avec cette Terre qui a tant à nous apporter.
Ce que nous ont appris les apprentis, c'est que chaque domaine expérimente des choses, c'est que chaque domaine a des résultats, quelques fois splendides. Toutes les techniques, toutes les idées, tout est là, tout est prêt. Il ne manque qu'une seule chose : une vision commune.
Et pour nous tous : de voir 30 châteaux réunis à Anthonic est un présage merveilleux.
Le rêve devient réalité.
Beaucoup s’accordent à penser que la crise sociale et la crise écologique ont la même racine.
Nous vivons une belle démonstration que ces deux aspects peuvent être abordés simultanément : améliorer nos pratiques agraires et créer du lien social.
La Nature, les jeunes et les vignerons se retrouvent dans une joyeuse aventure commune.
Chacun y a trouvé quelque chose : la nature y gagne en biodiversité, les jeunes et les vignerons d’heureuses perspectives. Il y a comme un air de bonne humeur dans ce pays médocain.
Notre vigne pleine de Vie sera aussi une vigne de bons vivants
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