Nantes, capitale du bouchon vert
A quelques jours d’intervalle Nantes a été récompensée pour son environnement, puis placée à la première place dans le classement des grandes villes françaises encombrées. La mairie exulte, puis proteste. Il n’y a pourtant pas de contradictions entre la qualité environnementale d’une ville et les difficultés rencontrées par les automobilistes. Tout s’explique au sein d’une aire urbaine élargie, dont la commune centrale a choisi le tramway et l’imposition d’une zone ’30 km/h’...

Il y avait la vache, la conserverie, la biscuiterie nantaise [source]. Il y a le vignoble, les bateaux, le club de football nantais. Demain, il y aura l’environnement. Oyez bonnes gens, Nantes a été élu capitale verte européenne pour l’année 2013. « Ce label a été obtenu au terme d’un processus très sélectif. Le dossier à présenter aux experts de la Commission européenne était exigeant. Sans surprise, les points forts de Nantes Métropole étaient les transports, la qualité de l’air, la gestion des déchets et notre Plan Climat. La touche nantaise a été la serre volante, que les habitants ont pu voir Place Royale en avril dernier, proposée pour représenter Nantes. » Le maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, s’en félicite. « C’est une belle victoire pour notre agglomération, car ce sont des efforts de vingt ans qui sont ici récompensés, comme le tramway, notre politique d’urbanisme, la politique des déchets ou encore la biodiversité et la qualité de l’eau. » [source].
Quel homme modeste ! Il ne précise même pas qu’il a été élu pour la première fois à ce poste en 1989, à la suite de Michel Chauty. Tous deux ont au préalable été maires de la commune de Saint-Herblain, à l’ouest de Nantes. Le gaulliste (1959 - 1977) y a précédé l’ancien poperéniste, membre de l’aile gauche du PS (1977 - 1989). Le premier a autorisé l’implantation d’un grand hypermarché, l’un des plus vastes de France, le deuxième a lancé la zone commerciale Atlantis avec plusieurs grandes enseignes (Leclerc, Ikea) et quatre-vingts boutiques : sans équivalent dans l’Ouest.
Michel Chauty porte aussi la responsabilité de la construction du grand ensemble appelé Sillon de Bretagne en référence à un système de failles du sud du massif armoricain. Déserté ensuite par des familles s’installant dans des pavillons construits à proximité, le Sillon a progressivement accueilli des populations à problèmes ; et accumulé les difficultés. Les incidents émaillent la vie du quartier, comme ce vigile de supermarché brûlé au cocktail Molotov en 2002 [source] ou cette explosion suspecte en mars 2010. En 2009, l’Agence de Rénovation Urbaine a décidé d’y consacrer près de 100 millions d’euros [source / photo]. La réhabilitation de l’immeuble-quartier s’accompagnera d’un déménagement pour une partie des locataires. On annonce la construction de nouveaux logements HLM [vidéo].
Le nombre d’habitants a été multiplié par huit à Saint-Herblain depuis la Libération : 5.500 en 1946, 12.000 en 1962, 42.000 en 1982 et 44.000 en 2006 [source]. Désormais à Nantes, Jean-Marc Ayrault glorifie à la troisième personne la ville dont il est le maire pour un sixième mandat. Il glisse sur l’explosion démographique de la première couronne nantaise. Pourquoi gâcher la fête ? Nantes sera en 2013 la capitale européenne de l’environnement. « Nantes a beaucoup agi dans le domaine de la préservation des terres agricoles et terres naturelles, en évitant l’étalement urbain, a beaucoup agi pour la protection de l’eau, de la biodiversité, disposant de davantage d’espaces, de parcs et de jardins… » [vidéo].
Deux innovations majeures dans le secteur du bâtiment offrent à Nantes l’occasion de briller encore davantage dans les médias. Antony Torzec rend compte de la première dans La Croix. Ses concepteurs ont réfléchi à l’utilisation de nouveaux matériaux pour la construction d‘une maison, en l’occurrence le rebut ramassé dans la rue, ou à la sortie des grandes surfaces. Inspirés par The Scrap House à San Francisco, ils veulent « sensibiliser le public à la nécessité de réduire la production de déchets. » Des bénévoles ont pendant plusieurs semaines assuré la collecte des matériaux de construction (palettes, métal, papier, tissu, etc.) puis en moins de trois semaines ont bâti une habitation de 70 mètres-carrés, avec trois pièces, cuisine et salle-de-bain. Au début du mois de décembre, un mécène dormira dans la Villa Déchets - c’est son nom printanier - installée temporairement dans le centre de Nantes. Frais et dispos, il donnera ensuite les clefs à Jean-Marc Ayrault « qui l’offrira ensuite à une association de la ville » : les ordures rendues au Père Noël. On reconstruira par la suite la Villa dans le quartier populaire de la Bottière. Elle sera « à la disposition de personnes en attente d’un logement social. » Dont acte.
On contemplera la seconde innovation nantaise au salon de l’habitat durable. Des entreprises scandinaves et finlandaises y vendent des maisons en bois massif. Elles dominent le marché des constructions en Amérique et en Europe du Nord, nous rapporte Mickaël Bosredon de 20minutes, en gommant une réalité géographique essentielle. Car l’hygrométrie dans les hautes latitudes, arides et froides se trouve très en deçà de celle qui prévaut dans une France tiède et océanique. Dans un cas, le bois subit paradoxalement moins d’outrages que dans l’autre. Un commercial sollicité sur le retard français croit toutefois avoir découvert le pot-aux-roses. « Le mythe des Trois petits cochons est passé par là… En France la maison en bois souffre encore d’une image de fragilité. Alors qu’en réalité, en cas de mouvement sismique, elle réagira mieux qu’une maison en parpaing. Et regardez la Scandinavie, dans cette zone où soufflent régulièrement des tempêtes, la grande majorité des maisons est en bois » Pourtant, le nord de l’Europe et de l’Amérique échappent au risque de tremblement de terre. Mais à Nantes, le Sillon de Bretagne peut déclencher des séismes [Un jour d’Isère, au milieu de l’hiver].
La maison tout en bois coûte un peu plus cher que la maison en parpaings. Cette différence pourrait disparaître en utilisant du conifère français. Celui-ci n’est généralement pas d’aussi bonne qualité que les résineux scandinaves et finlandais. Il met deux fois moins de temps à pousser dans les Landes de Gascogne, mais avec une densité moindre. « En serrant les budgets, Maisons Nature et Bois arrive à proposer durant le salon des maisons de 3-4 chambres entre 165.000 euros et 183.000 euros, terrain compris, sur Saint-Herblon ou Redon. Polar Life Hause propose des produits montés ’entre 1.500 euros et 2.000 euros le mètre carré‘, sans le terrain. » Ces maisons en bois séduiront quelques Nantais à budgets ric-rac, comme les parisiens résidant dans la bonne maison de Yann-Artus Bertrand [L’idéal de la hutte] Il leur restera à parcourir cinquante (Saint-Herblon - Nantes) à soixante-dix kilomètres (Redon - Nantes) dans la joie et la bonne humeur. A ce titre, l’un des conjoints pourra travailler à Angers (Saint-Herblon - Angers = 47 km) ou à Rennes (Redon - Rennes = 63 km). Pourront-ils faire leurs courses à Saint-Herblain ? C’est peu probable.
Jean-Marc Ayrault, grand défenseur d’un tramway plus vieux que son élection, a voulu promouvoir les transports en commun et délimiter une zone ’30 km/h’ très étendue [Tartuffe d’Agen]. Il affirme vouloir décourager l’utilisation de la voiture. Mais les automobilistes n’ont pas disparu. Ils peinent simplement à circuler sur les derniers axes autorisés, et se reportent sur la périphérie. Beaucoup de ceux qui habitent à l’extérieur de l’agglomération ne peuvent se passer de leur véhicule. Il en résulte un encombrement permanent longtemps nié par la mairie. L’actualité rattrape justement les responsables nantais. La société de positionnement par satellite Tam-Tam a en effet rendu public un classement des villes françaises de plus de 100.000 habitants.
Dans les villes les plus fluides la presse locale relaie bruyamment le classement, comme le Bien-Public à Dijon ou comme L’Indépendant à Nîmes et Perpignan. Les journalistes concernés n’évoquent que peu la principale limite de l’étude. Si les bouchons se décalent vers la périphérie proche de la ville centrale, la fluidité d’ensemble reste relative. Lyon occupe ainsi la septième place (33,6 % de taux de congestion), Marseille la douzième place (31,9 %) et Paris la treizième place (31,2 %). En revanche, Villeurbanne (33,7 %) - jouxtant Lyon à l’est - Boulogne (33 %) et Argenteuil (32 %) sont plus encombrées que leurs voisines. Montreuil fait jeu égal avec Paris (30,9 %).
Cette restriction faite, il n’empêche que les centaines de milliers de relevés de déplacements de voitures trahissent bien un fait statistique. Crier au complot ne modifiera pas les termes du problème… [Ouest-France]. Un épisode pluvieux a tôt fait de perturber la circulation [Presse-Océan]. Le classement place Nantes en tête du classement (42,4 % de taux de congestion). Le tramway que personne ne songe à démonter reporte la circulation automobile sur des voies naturellement inadaptées. On ne peut les élargir sauf à raser des quartiers entiers, solution inenvisageable dans un périmètre urbain ancien. Mais la densification des banlieues immédiates de Nantes paraît une option possible, même si politiquement impossible à mettre en place. Il est plus facile à un maire de Saint-Herblain de devenir maire de Nantes, que de changer Saint-Herblain au profit de Nantes… Capitale du bouchon vert.
PS./ Geographedumonde sur la Loire-Atlantique : Pacte-à-quatre et Village gaulois.
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