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Norman Foster, le génie de l’architecture, s’enlise sur la côte bulgare

Les 400 km de côte que possède la Bulgarie sur la mer Noire se sont rapidement fait dévorer par les investisseurs étrangers. Norman Foster a voulu sa part du gâteau. Fin 2007, lors d’un déplacement à Sofia, il annonce la construction d’un complexe touristique six étoiles prévu pour 15 400 résidents… dans une zone naturelle vierge et protégée ; c’est alors que les ennuis commencent.

La beauté naturelle de la côte et ses deux cents jours de soleil par an ont entraîné il y a quelques années une forte spéculation immobilière qui a aiguisé l’appétit des personnes au pouvoir et des sociétés étrangères. De partout un même spectacle : d’immenses barres de béton construites en un temps record pour accueillir un tourisme de masse, souvent jeune, à la recherche du meilleur prix. Des bâtiments peu respectueux des normes de sécurité, avec des canalisations d’égouts se déversant directement dans la mer où les vacanciers vont se tremper les pieds. Le tout reposant sur un terrain autrefois d’une grande biodiversité acheté à très bas prix à des familles locales dans le besoin financier et souvent peu opposées aux constructions, pensant qu’une économie performante pour la région en découlera par la suite. Malgré leurs prix attractifs ces complexes de vacances géants, victimes de leurs mauvais états et d’un service d’une qualité peu conforme aux brochures de papier glacé distribuées par les tours européens, commencent à voir le vent tourner. Les choses s’emballent lorsqu’en plus de voir fleurir les mécontentements de touristes en colère dans les médias et sur la toile, un vacancier suédois se fait assassiner en 2007. Le 3 juillet 2008, la Sofia News Agency annonce que les ambassadeurs des pays scandinaves (Danemark, Finlande, Norvège et Suède) viennent de rapporter au ministre des Affaires étrangères et au député en charge du Tourisme des cas de violation des droits de leurs citoyens, composant la majorité des touristes en Bulgarie et dont la population a drastiquement diminué. Résultat, toujours selon le même quotidien, cette année les hôtels de la côte sont à moitié remplis.

Et Foster dans tout ça ?

La région de la petite ville de Byala (11 000 habitants), logée sur la côte de la mer Noire à l’est du pays, est en train de vivre une phase critique de son histoire. C’est l’un des rares endroits sur la côte de la mer Noire à ne pas avoir vu de bulldozers et c’est là que devraient bientôt débarquer ceux de Foster et de ses partenaires.

Norman Foster, ce Britannique Londonien de 73 ans, est plus qu’un célèbre architecte, il est devenu en 45 ans de métier une institution à lui tout seul dans le domaine de l’architecture « high-tech » avec un goût poussé pour les réalisations pharaoniques. A son portfolio on lui compte, par exemple, l’aéroport de Hong Kong, la faculté de droit de Cambridge, l’hôtel de ville de Londres, de nombreux ponts et musées, etc. Compte tenu de son âge, il supervise son cabinet d’architecture « Foster + Partners » sans prendre directement part aux projets. Cela peut peut-être expliquer qu’il a donné son aval un peu vite au projet bulgare que son bureau vient de sortir de ses cartons, au risque de ternir sa réputation. C’est Norman Foster qui annonça en personne le 12 décembre 2007, lors de sa visite à Sofia, alors qu’il recevait une décoration pour ses œuvres qui viendra s’ajouter aux quelque trois cents qu’il a déjà reçues de par le monde, les inspirations de son équipe pour la plage de Karadere située à 4 km de Byala. Un site naturel complètement vierge, où la plage de sable fin de Karadere sépare un littoral recouvert par une forêt de chênes sillonnée de la paisible rivière - ayant donné son nom à la plage -, d’une mer Noire aux eaux chaudes et cristallines. Un cadre naturel habité par de nombreuses espèces animales, dont de nombreux oiseaux. Les amoureux de la nature y voient un site exceptionnel accessible qu’à pied ou en kayak où l’on vient étendre son duvet pour une nuit grandiose passée à la belle étoile ; en homme d’affaires, un bijou qu’il faut s’empresser de saisir avant que la concurrence ne le fasse.

Pas question pour « Foster + Partners » de faire des immeubles en carton plâtre. C’est un resort de luxe classé six étoiles, fermé, divisé en cinq villages pouvant accueillir un total de 15 400 résidents et possédant leurs propres parkings souterrains, ainsi qu’une marine et les équipements sportifs classiques, qui a été dessiné.

Le tout présenté comme respectueux de l’environnement du fait que les vacanciers seront invités à laisser leurs véhicules dans les parkings souterrains rattachés à chaque village au profit d’un service de navettes électriques. Mais les écologistes bulgares doutent que les matériaux nécessaires à la construction n’arrivent à vélo… ni que la construction du centre ne nuise à l’écosystème local.

Côté partenaires, on sait peu de choses, sinon qu’a été retenue une grosse société bulgare qui se présente comme faisant du “consulting en architecture” dénommée “Projects Ltd” et qui est dirigée par Georgi Stanishev, qui n’est autre que le frère du Premier ministre et chef du Parti socialiste bulgare (BSP), Sergei Stanishev. Un partenaire probablement bien placé puisque la région est par deux fois placée sur la liste "Natura 2000" de l’Union européenne (dont la Bulgarie est membre depuis 2007) recensant les zones environnementales protégées. Dans un premier temps pour la richesse de sa biodiversité en général et dans un deuxième temps comme terre de migration pour de nombreux oiseaux des Balkans.

Une fois le projet maquettisé, il a été vendu à des investisseurs qui eux ne sont guère friands de publicité personnelle, si bien qu’à leur sujet aucune information n’a pu être trouvée, ni dans les médias ni sur internet. Les traces laissées par leurs sociétés anonymes s’arrêtant souvent à la porte de paradis fiscaux.

Mais, un retournement de situation inattendu qui semble provenir de la nature elle-même, à qui personne n’avait pensé jusque-là demander son avis, s’est produit. En effet, il s’avère qu’il arrive à la rivière de Karadere d’origine si calme de sortir de son lit au printemps. Abattre les chênes centenaires qui la bordent produirait d’inévitables glissements de terrains qui n’avaient pas été prévus dans le budget. Après révision, l’addition est estimée à cinq fois son prix initial qui était déjà élevé en raison de l’absence totale d’infrastructures (pas de système de canalisation ni d’électricité). Ajoutons quelques éléments inattendus tels que la forte progression du baril et la mauvaise image que s’est attribuée la Bulgarie auprès des touristes nordiques. Voilà que nos investisseurs retirent leurs billes préférant peut-être Pukhet ou Mallorca et laissant Foster avec ses plans sur les bras.

Mais pas question de mettre les jolis dessins et le potentiel économique qu’ils représentent à la corbeille. Le bureau est aujourd’hui en quête d’un nouvel investisseur, moins frileux. Le temps du repos n’a pas encore sonné pour les amoureux de la nature qui vont devoir continuer de sensibiliser populations, politiques et médias avec les maigres moyens dont disposent les bénévoles de ce petit pays à l’économie fragile où tout peut s’acheter. Des manifestations devant le siège de la maison mère de « Foster + Partners » à Londres sont prévues. Mais ce qui semble être la première des priorités dans la préservation de l’écologie de ce pays de huit millions d’habitants est le soutien d’une Union européenne qui puisse faire respecter ses directives et tenir tête à des géants financiers et à une mafia qui n’est généralement jamais très loin des affaires juteuses. Et ceci non pas seulement en imposant des sanctions financières aux Etats-mauvais élèves, mais en empêchant les constructions et en levant le secret sur qui les financent. Et éventuellement en sanctionnant les responsables politiques souvent de mèche avec le privé, où il y a des sous à se faire et de puissants soutiens à gagner pour les futures campagnes électorales. La Bulgarie paye en ce moment même le prix fort de cette absence, avec le défrichement qui a lieu dans le parc national protégé des Sept lacs de Rila pour y implanter une station de ski. Voir à ce sujet le site de l’association de solidarité française pour la préservation de Rila qui a récemment écrit au président français et aux députés européens français.

Le cas de Karadere est un exemple parmi tant d’autres, si peu médiatisés, où des écohabitats regorgeant d’une grande diversité biologique sont sacrifiés au profit d’une économie sauvage répondant à une demande touristique en plein boum. Les touristes, car ce sont eux qui au final financent tout cela, sont souvent mal informés au sujet de l’endroit où ils vont passer leurs vacances et sur l’impact direct qu’ils génèrent sur la disparition progressive de biodiversité de notre planète.

A méditer en cette période de vacances.


Joan Oji


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1 réactions à cet article    


  • Yannick Harrel Yannick Harrel 16 juillet 2008 17:19

    Bonjour,

    Au final une bonne nouvelle que de ne pas voir dénaturée cette petite portion de la côte Bulgare et d’éviter de lui faire subir le sort de la Côte d’Azur. L’urbanisme sauvage n’est toutefois pas tant le fait des architectes (même s’ils en portent une part de responsabilité) que des responsables politiques qui trop hâtivement prennent en considération le seul intérêt à court terme au détriment de la préservation de sites naturels.

    Cordialement

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