Pierrot, suite du rapport :
Par ailleurs, la plupart des molécules
actives se transforment dans le temps, générant des métabolites
qui doivent faire l’objet de recherches spécifiques, compliquant
encore davantage la tâche de ceux chargés de suivre l’évolution
des contaminations. C’est en partie le cas de l’atrazine et de son
métabolite (47(*)).
Ces remarques de méthode doivent être
gardées en mémoire.
b) Quelques résultats
La contamination des eaux aux
pesticides est avérée. L’inquiétude de l’opinion, diffuse, se
confirme au vu des analyses, désormais bien connues, sur la
contamination des eaux. Il n’y a pas une agence de l’eau qui ne mette
en évidence « la contamination importante des eaux par les produits
phytosanitaires » (Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse), «
l’augmentation de la pollution par les pesticides » (Agence de l’eau
Adour Garonne), « les contaminations chroniques à certains
pesticides » (Agence de l’eau Loire Bretagne), « la progression de
la contamination par les pesticides » (Agence de l’eau Seine
Normandie)...
Le constat est donc bien connu. Et,
même si l’IFEN n’écrit jamais le mot en raison des difficultés
d’établir des comparaisons dans le temps, la dégradation est
avérée.
Pour illustrer cette évolution, on se
contentera de rappeler certaines mesures tirées des documents qui
ont été remis au cours de l’étude, et qui toutes dépassent 10
ug/l, soit 100 fois la norme applicable aux eaux destinées à la
production d’eau potable pour l’alimentation humaine.
Quelques « records » de contamination
des eaux aux pesticides*,
Substance
Mesures
Source
Atrazine (herbicide du maïs)
2 000 ug/l eau de surface
Audition agence de l’eau Seine
Normandie
Atrazine (herbicide du maïs)
29 ug/l
eau de surface
Etude Corpep sur la contamination des
rivières de Bretagne 2000
Diuron
(herbicide général, usages mixtes
agricoles et non agricoles)
20,2 ug/l
eau de surface
IFEN - Les pesticides dans les eaux -
2000
Isoproturon
(herbicide du blé)
15 ug/l
eau de surface
IFEN - Les pesticides dans les eaux -
2000
Carbendazine
(fongicide pour céréales, fruits et
légumes)
16 ug/l
eau de surface
Agence de l’eau RMC Composés
phytosanitaires dans les eaux - 2000
Tetrachloro méthane
(produit de synthèse)
16 ug/l
eau de surface
IFEN - Les pesticides dans les eaux -
2000
Trichlorobenzène
(intermédiaire pour insecticides)
11 ug/l
eau de surface
IFEN - Les pesticides dans les eaux -
2000
Chlordecone
(insecticide des bananeraies)
10,3 ug/l
eau de surface
Rapport de l’IGAS sur les pesticides en
Guadeloupe
Alachlore
(herbicide du maïs)
24 ug/l
eaux de pluie
Etude pluies en Bretagne - Audition
OPECST
Atrazine
(herbicide du maïs)
13,5 ug/l
eaux souterraines
IFEN - Les pesticides dans les eaux -
2000
* Liste non exhaustive, sélection de
documents remis au cours de la mission de l’OPECST
Cette contamination est d’autant plus
préoccupante qu’elle est
- très répandue sur l’ensemble du
territoire, parfois à des niveaux élevés (48(*)),
- et durable. Des traces de pesticides
se retrouvent dans les eaux de ruissellement (49(*)),
Des traces de pesticides sont encore
détectées plusieurs années après l’arrêt des épandages. Des
traces de DDT et de dieldrine, un insecticide utilisé en bananeraie,
ont été détectées dans les cours d’eau de Guadeloupe... 27 ans
après avoir été interdites !
A l’exception de la toxicité des
pesticides qui sera débattue dans la deuxième partie du rapport,
consacrée à l’eau potable, deux débats doivent être évoqués. Le
premier, récurrent, concerne les responsabilités. Le second
concerne la pertinence de la réponse des pouvoirs publics.
Comment limiter l’utilisation des
pesticides ? Interdire l’usage ou réduire les doses ?
Face à la contamination des eaux aux
pesticides, la première réaction consiste à intervenir sur les
quantités utilisées. Deux voies sont ouvertes : interdire l’usage
ou réduire les doses. Les professionnels craignent, non sans raison,
que les mesures d’interdiction soient plus fondées sur des pressions
médiatiques que sur des raisons scientifiques. Les pouvoirs publics
considèrent, à l’expérience, que les mesures de limitation
partielle n’ont, au mieux, qu’un effet limité. En réalité,
interdiction et réduction des doses sont deux mesures
complémentaires.
c) L’interdiction d’usage
C’est évidemment la formule la plus
radicale. Périodiquement, la commercialisation et/ou l’utilisation
de molécules sont interdites, soit localement (c’est le cas du HCH
bêta et du chlordecone, insecticides utilisés en bananeraies,
interdits en 1987 et 1993), soit temporairement (arrêté
d’interdiction d’épandage de l’atrazine pendant certaines périodes
de l’année ou à proximité de certains sites), soit par une mesure
générale (décision, en 2001, d’interdiction de l’atrazine et de
quelques autres produits phytosanitaires).
Malgré leur apparente simplicité,
l’application de ces mesures ne donne pas toujours les résultats
attendus et se heurte à plusieurs difficultés.
§ Tout d’abord, il y a, le plus
souvent, un délai entre l’annonce de l’interdiction et son
application réglementaire. L’interdiction suit en fait trois étapes
:
- L’avis aux opérateurs, qui notifie
le retrait de l’autorisation ; cet avis est donné non par molécule,
mais par produit (exemple dans le cas de l’atrazine, on compte 34
produits commercialisés).
- L’interdiction de la
commercialisation qui peut être immédiate, ou plus souvent décalée
d’un an, le temps d’écouler les stocks déjà produits.
- L’interdiction de l’utilisation qui,
elle, est aussi le plus souvent décalée d’un ou deux ans, le temps
d’écouler les stocks détenus par les agriculteurs. Dans le cas de
l’atrazine, l’avis de retrait a été publié le 27 novembre 2001,
avec une date limite d’utilisation des stocks fixée au 30 septembre
2003.
Ce délai entre la décision
d’interdiction et le retrait effectif a été parfois critiqué. Il
paraît pourtant compréhensible et justifié. D’une part, le produit
a été utilisé pendant quarante ans et il n’y a pas d’urgence au
mois près. D’autre part, les agriculteurs avaient stocké des
produits et il paraît difficile d’interdire d’utiliser des produits
légalement achetés. Comme dit l’un d’entre eux : « c’est comme si
vous remplissiez votre cuve de mazout et qu’on vous disait, une fois
qu’elle est remplie, que vous ne pouvez plus vous en servir ».
Certes. On appréciera moins, cependant, que quelques semaines avant
l’interdiction, les intéressés procèdent « par précaution » à
des achats massifs d’atrazine.
§ Ensuite, les résultats de
l’interdiction sont souvent assez longs à se manifester. Les résidus
sont encore présents dans les sols traités et dans les eaux brutes.
On ne peut exclure que certains produits soient toujours utilisés
malgré l’interdiction. Les cas sont probablement rares, mais
délibérés. C’est avec beaucoup de franchise que les services
départementaux de Martinique par exemple reconnaissaient que, « a
priori, les produits interdits ne sont plus utilisés ... ». A
priori...
Une mesure d’interdiction bien conduite
appelle en réalité une gestion rigoureuse de l’après interdiction.
Que faire de stocks entreposés ? Les délais accordés pour
l’utilisation ne sont parfois pas suffisants, et les stocks
demeurent. Dans ce même département, un mois avant la visite du
rapporteur, un stock de 6 tonnes de HCH bêta, molécule interdite
quinze ans auparavant, avait été découvert dans un hangar, à même
le sol. L’interdiction doit s’accompagner d’une opération de
récupération gratuite pour l’exploitant.
§ Enfin, on ne peut exclure certains
effets pervers ou inattendus.
Le premier concerne le remplacement de
molécules interdites, soit par des produits relativement
comparables, auquel cas les doses sont multipliées et l’interdiction
est compensée par des apports encore plus massifs d’autres produits,
soit par de nouvelles molécules de substitution, que l’on retrouve,
elles aussi, assez rapidement dans le sol et dans les eaux. C’est le
cas de l’atrazine en Bretagne. Les dernières campagnes de
prélèvement ont détecté des molécules de substitution, déjà
au-delà de 0,1 ug/litre.
Le second effet pervers concerne les
achats massifs par anticipation, une fois l’annonce de l’interdiction
connue.
Le troisième effet pervers concerne
les exportations aux concurrents. La molécule interdite est aussitôt
envoyée dans d’autres zones de production concurrentes dans
lesquelles la molécule reste autorisée. L’interdiction s’accompagne
alors d’un accroissement de la compétition... Aux Antilles, dans les
trois ans qui ont suivi le bannissement du chlordecone, plusieurs
dizaines de tonnes ont été exportées... dans les bananeraies
d’Afrique et des Caraïbes.
d) La réduction des doses
C’est l’autre solution. La diminution
de la contamination des eaux est attendue d’une réduction des doses
épandues. Ce type de solution a la préférence des fabricants et
des agriculteurs qui préfèrent l’habitude à un produit connu, aux
performances annoncées des molécules de substitution.
Périodiquement, les doses d’épandage
font ainsi l’objet de mesures de limitation. Pour l’atrazine, les
doses sont passées successivement de 2,5 kg/ha/jour à 1,5 kg pour 1
kg/ha/an, avant d’être finalement interdites. Des mesures similaires
concernent aujourd’hui le diuron, désherbant sélectif (1.800
gr/ha/an en 2000, 1.500 gr en 2002, 1.200 gr en 2003) et
l’isoproturon, désherbant du blé (1.800 gr/ha/an en 2000, 1.200 gr
annoncés en 2003-2004).
Ces mesures sont cependant discutées.
D’une part, l’impact environnemental
est souvent très faible. L’interdiction de l’atrazine a été
décidée lorsque les mesures de limitation de dosage ont montré
leur inefficacité. Certes, les pics de concentration diminuaient,
mais la fréquence de détection augmentait. La réduction des
dosages n’avait pratiquement aucun effet sur la contamination des
eaux, compte tenu des délais de transferts de la molécule dans les
sols et dans les eaux. Un dosage est en outre pratiquement impossible
à contrôler.
D’autre part, les utilisateurs peuvent
aussi manifester des réticences à la diminution des doses. Dans la
grande majorité des cas, la diminution des doses réduit
l’efficacité du produit. Dans le cas du diuron, par exemple, il est
établi que le passage à 1.200 gr/ha/an diminue l’efficacité de 15
%. Cette baisse est plus que compensée par les bénéfices
environnementaux attendus. Mais les baisses sur d’autres produits
sont plus difficiles à faire accepter lorsque la diminution du
dosage s’accompagne d’une trop grande perte d’efficacité (la
discussion est en cours sur la diminution du glyphosate, désherbant
total, pour laquelle les fabricants sont très réticents).
Enfin, d’autres solutions sont encore
envisagées. Une formule consiste à calculer le dosage par type de
sol. L’Allemagne notamment suit ce type de démarche et les dosages
sont définis par Land et par sol. Il s’agit d’une approche
extrêmement fine. Le bilan coût/efficacité est cependant
discutable. L’analyse des sols devrait être menée, par région,
voire par parcelle, ce qui conduit à des coûts extrêmement
importants (pour un bassin versant, une analyse de sol est estimée à
1 million d’euros).
Une autre formule consiste à analyser
l’efficacité des mélanges de molécules. L’efficacité d’un produit
peut être démultipliée par l’association avec un autre produit, ce
qui permet de réduire les dosages. Les betteraviers de l’Artois ont
réussi par ce genre de calculs à réduire les épandages d’un
coefficient 10.
En fait, interdiction et réduction ne
s’opposent pas, mais se complètent. L’interdiction de l’atrazine qui
n’est que partiellement justifiée pour des raisons scientifiques a
été très clairement un signal politique fort d’une détermination
des pouvoirs publics à enrayer des contaminations des eaux.
L’interdiction est une mesure radicale qui est toujours possible sur
d’autres produits. Elle a vivement incité les producteurs à
accepter les réductions sur d’autres molécules.
* (44) Annexe 44 - Les pesticides -
Présentation générale.
* (45) Annexe 45 - Données
statistiques sur les pesticides.
* (46) Annexe 46 - Les difficultés
d’établir des comparaisons dans la contamination des eaux aux
pesticides.
* (47) Annexe 47 - L’atrazine.
* (48) Annexe 48 - La contamination des
rivières de Bretagne aux pesticides.
* (49) Annexe 49 - Les pesticides dans
les eaux de ruissellement.
Actualités | Travaux Parlementaires |
Vos Sénateurs | Europe et International | Connaître le Sénat |
Recherche
Liste de diffusion | RSS | Contacts |
Recrutement | Plan | Librairie | FAQ | Mentions légales |
Accessibilité | Liens | Ameli