Pour un développement durable désenchanté (2)
Lorsqu'on parle d'écologie, tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut changer de comportement afin de sauver la planète. Quant à savoir comment changer nos modes de vie, c'est le désaccord le plus complet qui règne. Faut-il des taxes vertes ? Encourager la décroissance ?...
Cette deuxième partie pointe les contradictions de la notion de développement durable.
Lire la première partie de cette tribune.
Le développement durable : une réponse toute faite et très floue
Plus personne ne conteste aujourd'hui la nécessité de transformer notre mode de vie de manière à ce que nos activités ne constituent plus, à terme, une menace pour notre environnement.
Le développement durable est devenu le mot d'ordre de cette révolution dans nos mentalités et nos comportements. L'idée de base est que l'industrie humaine, dans son fonctionnement actuel, dévaste l'environnement, exploite des ressources qui, comme le pétrole, vont finir par s'épuiser, met en danger la faune, la flore ainsi que de nombreux milieux de vie humains. Tout le monde comprend bien que cela ne peut pas durer. Se développer durablement apparaît comme la solution : prendre en compte la durée et non plus le court terme. Changer le mode de développement pour que nous puissions encore nous développer longtemps...
L'expression de développement durable éveille tellement peu la discussion qu'elle sert aussi bien à éteindre l'esprit critique. Elle ressemble à une panacée, une solution miracle. Les entreprises, les organisations internationales, les partis politiques : tout le monde s'en empare ! A y réfléchir, il semblerait que le développement durable soit un cri de ralliement quelque peu creux. Développer quoi, d'abord ? Et comment ? Dans quelle(s) direction(s) ? Avec quelles limites ? Sans aucune limite ?... Impossible : nous n'avons qu'une seule planète, nos moyens ne sont pas illimités !
Et durablement ? Mais pour combien de temps ? Un siècle ? Deux siècle ? Vingt ans ?..
Faute de poser ces questions minimales, nous sommes passés de la mythologie du Progrès industriel (avec sa déesse déversant les fruits de sa corne d'abondance) à une idéologie de l'économie verte, avec ses rivières propres et ses oiseaux qui chantent au pied des centrales nucléaires. Le développement durable est devenu le nouveau slogan enchanté de notre époque, et, bien souvent, derrière l'unanimité à le reprendre et à en chanter les louanges, une grande volonté de ne rien changer à nos pratiques. On change le discours, on fait de grandes déclarations, et tout continue comme d'habitude.
Michel Puech a mené une critique radicale de la notion dans son livre : Développement durable, un avenir à faire soi-même. Je reprends ici plusieurs de ses arguments.
D'une part, la notion de durable n'a pas de sens. Elle est philosophiquement très pauvre. Elle n'engage à rien car elle est très floue. Il faudrait déjà préférer l'expression anglo-saxonne, qui parle de sustainable development : développement soutenable. Moralement, éthiquement, humainement soutenable : la réflexion en terme de sustainability nous place sur le terrain pratique, celui de l'action. Quel développement pouvons-nous aujourd'hui assumer en conscience, résolument ? Nous nous plaçons dans le présent, dans l'exigence de changement de nos pratiques, tandis que la réflexion en terme de durable ne fait que flatter notre irrésolution : plus tard, on verra, pourvu que ça dure un peu et qu'on puisse remettre à demain...
D'autre part, la notion de développement est elle-même à revoir. Ce qui était auparavant une solution à la misère de l'homme (la pauvreté et la faiblesse de son industrie) est devenue une question : jusqu'où peut-on développer l'industrie sans qu'elle ne constitue une menace mortelle pour l'environnement, donc aussi pour nous, les êtres humains ? Le "développement" n'est plus la solution-miracle à nos problèmes.
Dernière objection, la plus importante : pourquoi n'y aurait-il qu'une seule voie de développement ? Pourquoi tout devrait-il aller dans une direction unique, décidée, éventuellement planifiée ?
On le voit, la notion de développement durable masque davantage les problèmes qu'elle ne les résout.
Des solutions techniques qui font oublier des problèmes humains
La notion de développement durable est trompeuse.
A cela, deux raisons : la première, on l'a vu, c'est que les ressources nécessaires au maintien de notre système de production sont limitées. La seconde -plus importante- c'est que nous n'avons pas nécessairement besoin de nouveaux progrès technologiques pour bien vivre. Nous ne pouvons pas gager notre bonheur sur l'espoir de découvrir de nouvelles sources d'énergies, d'aller sur Mars ou d'inventer un nouveau média de communication encore plus puissant (réseau 5G++, Web 3.0...).
Trouver des solutions technologiques, nous savons tellement bien le faire que nous avons tendance à tout réduire à des problèmes techniques, dans une sorte d'impatience à agir et s'agiter. Nous ne savons pas prendre le temps de la réflexion à froid, des décisions qui impliquent des choix en conscience, d'après des valeurs que nous pouvons défendre. Nous ne comprenons pas que c'est d'abord aux hommes d'évoluer, de faire preuve d'une vraie volonté de changer notre rapport au monde. Faute d'accomplir cet effort, les solutions technologiques ne seront que le prolongement de cadres de pensés en retard sur les problèmes réels.
La conclusion du livre Michel Puech est que c'est aujourd'hui à l'individu de se reprendre en charge, de se réapproprier ses moyens d'actions, en prenant d'abord appui sur ses propres capacités humaines. Des technologies, nous en avons à foisons et nous avons des gens très compétents pour les utiliser. En revanche, de la confiance en nous pour agir et pour changer le monde en nous changeant, nous en manquons beaucoup. Les ressources naturelles sont sur-exploitées mais la puissance de la personne humaine est laissée en friche... Plus que de développement durable, ce dont nous avons besoin, c'est d'individus résolus à agir et à se prendre en charge, sans attendre des mots d'ordres venus de lourdes institutions (privées ou publiques), ni d'injonctions religieuses ou idéologiques.
L'être humain au 21ème sìècle devrait être capable de prendre en charge son monde sans attendre que l'impulsion vienne d'en haut. La tranquillité de notre conscience risque d'en être perturbée, mais la vie humaine ne peut pas se réduire au paisible entretien de la l'activité organique. Ce sont dans les moments de crise que l'homme est amené à se remettre en cause, à s'interroger sur les fondements de son attitude et des conséquences de ses actes. Il y va aujourd'hui de notre façon de nous comporter et d'habiter le monde.
La prochaine partie abordera les thèses de la décroissance et de la simplicité volontaire.
Pour aller plus loin :
Michel Puech, Développement durable : un avenir à faire soi-même, Le Pommier, 2010.
Photographie : lac de Walden (Massachusetts), au bord duquel vécut le philosophe américain Thoreau.
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