Pourquoi un recours massif à la finance ne permettra pas une transition écologique durable
Depuis la fin des « Trente Glorieuses » (1975) le mode de production capitaliste (basé pour l'essentiel sur une propriété privée des moyens de production et la liberté du marché) peine à construire un nouveau modèle, encore plus élaboré et cohérent, pour la production et le drainage de « richesses » ou prétendues comme telles.
La crise environnementale – autre face de cette crise sociale et politique – peut-elle vraiment être dépassée par un nouveau* (!) « Sommet climat » à Paris ? Mettre les organismes financiers aux premiers rangs des sauveurs attendus de la planète est-il possible et suffisant face à la gravité de la situation ?
Les objectifs officiels de ce Sommet sont de motiver épargnants et prêteurs intitutionnels ou physiques, canaliser des fonds qui ne se dirigent pas spontanément vers les nouveaux secteurs jugés (à tort) à risques ; rattraper le retard vis-à-vis de la COP 21.
Malheureusement, selon nous, trois caractéristiques de notre système financier l'empêchent structurellement de prendre en compte l'environnement et de lutter contre le réchauffement climatique : l'existence de taux d'intérêt ; l'attente d'une rémunération par les propriétaires du capital ; enfin l'inévitable spéculation, dès lors qu'il y a disjonction entre production et consommation.
Des gadgets, des pizzas ou des écoles ?
1 Les taux d'intérêt sont censés traduire - entre autres - le déséquilibre entre un présent certain et un futur incertain, risqué, et donc de rémunérer les propriétaires prêteurs du capital. L'inverse du taux d'intérêt, le taux d'actualisation, permet de mesurer la valeur actuelle d'un bien futur. Plus les taux montent plus le futur se déprécie. Les biens à tres faible durée de vie sont alors privilégiés. Ainsi une incroyable ivresse consommatoire de gadgets s'était développée au coeur des « trente glorieuses ».
En principe, revenir à des taux bas, proches du taux de croissance démographique (si tant est qu'elle existe) devrait permettre de moins dévaloriser le futur et donc de respecter la planète de demain, les grands projets environnementaux redevenant possibles. Mais bien d'autres conditions que les taux d'intérêt interviennent, comme l'ampleur des inégalités et l'accès à un emploi stable, ce qui est loin d'être le cas.
Structurellement un taux de rentabilité (% de retour sur investissement) est toujours comparé aux divers taux d'intérêt ; son niveau est aussi comparé d'un secteur à l'autre. L'agriculture, la sidérurgie, le textile dans les pays « développés »… ont des rentabilités tres faibles par rapport aux fast food. En économie de marché les investissements se dirigent donc vers les secteurs les plus rentables, délaissant des activités souvent socialement fortement utiles.
Une correction de cet état de fait ne peut se faire par de simples déclarations médiatiques.
Finance et green-washing
2 La monnaie n'est pas un simple moyen d'échange entre biens et services
Depuis la révolution industrielle et l'extension du salariat (forme achevée de division du travail) la création monétaire, par le recours au crédit, est à la base de l'investissement. Dans ce contexte quelle compensation offrir aux propriétaires du capital (retour sur investissement) pour des investissements dans des biens collectifs tels que le solaire, les paysages etc. ? La notoriété et le sponsoring ont leurs limites.
Tout logiquement, le green washing a déjà bien commencé ses ravages, encourageant des biens privatisables soi-disant écologiques, sinon des gadgets. Il n'est pas anodin que la forme d'utilisation de l'énergie solaire qui a le plus le vent en poupe est le solaire « actif » (panneaux photovoltaïques par exemple), alors que le solaire « passif » (murs Trombe, maisons orientées au sud, convenablement…) n'est pas ou peu connu (sauf de personnes qualifiées de « marginales »).
Chercher à préserver la vie sur terre revient à tout mettre en œuvre pour protéger l'existence même des biens collectifs, océans, atmosphère... au lieu d'en faire des poubelles. A ce sujet la renonciation (sinon l'interdiction) à la mise en exploitation de gisements pétroliers ou minéraux ne nécessite pas d'immenses ressources financières, mais une force politique bien réelle, ce qui n'est pas le cas.
Le scandale du marché au CO2
3 La spéculation est devenue un bien (noter le terme !) en lui même, recherché sinon convoité.
Logiciels, écoles de marketing et médias ont érigé les pratiques spéculatives en autant de données majeures d'un fonctionnement normal des activités sociales, économique et culturelles. La désaffection des études médicales des généralistes ne fait que traduire cette attitude spéculative d'attente d'une « belle carrière ». Il n'a pas fallu longtemps pour que la spéculation s'empare follement du marché du CO2 et conduise à des dérives mafieuses
En 2017 la Chine aura émis pour plus de 16 milliards de « green bonds », suivie par la France (15 milliards) ; ce rush sur ces « produits financiers » ne fait que reflèter une juteuse opération... financière, pendant que l'air, l'eau… sont empoisonnés.
Nucléaire : la pire des énergies fossiles
Si dans l'immédiat cette industrie ne contribue pas directement au réchauffement de la planète, indirectement c'est tout autre chose. L'ampleur des chantiers de BTP (souvent de plus de 10 ans), l'hyper centralisation (surveillance, transports…) génèrent des recours aux énergies primaires (gas-oil) ou secondaire (électricité).
Ajoutons les risques terroristes, les risques de malfaçons (cf. la cuve de Flamanville), les risques sismiques, les risques d'erreurs humaines (Fukushima), la durée du démantellement… et enfin la formidable hypothèque déchets radioactifs.
Enfin souligner l'incroyable silence des grands médias à propos de la nature profonde du nucléaire. A aucun moment le terme d'énergie fossile n'est avancé ! Proner un recours aux véhicules électriques est le type même de fausse bonne solution face au réchauffement climatique.
Petite évidence : spéculer sur la valeur des déchets radioactifs n'est pas pour demain !
En guise de conclusion
Dans l'urgence, un recours à la finance, à court ou moyen terme est-il possible, nécessaire et souhaitable ? On peut craindre, comme le montre la théorie des dominos, que faire appel au système bancaire pour protéger la nature ne génère une sorte d'effet cliquet, et que les biens « verts » marchands, ne deviennent les seuls visibles sur la scène économique, au détriment des biens non marchands, essentiels à la vie.
Actuellement les marges bénéficiaires du bio sont souvent deux fois plus fortes que les produits courants… Mais si c'est pour aller faire ses courses en voiture et pousser des caddies sur d'immenses parkings, où est le progres ?
Pour les grands et tres grands chantiers, qui ne sont pas ou plus rentables (filière EPR) ce n'est que grâce au soutien à plus de 80 % de l’État (donc nos impôts…) que cette supercherie peut durer.
A l'autre bout de la chaîne, pour les petits projets, la collecte de fonds locaux (crowfunding) peut aider, tout en sachant que certains réseaux sont plus éthiques que d'autres. Rien à voir en tous cas avec les sommes pharamineuses avancées par les plus grands noms du système bancaire, ou par l’État, pour des contructions hasardeuses, inutiles sinon dangereuses.
* en 2018 aura la COP 24 en Pologne, à Katowice… Encore une grande messe ?
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