Rio+20 n’a pas convaincu
Divisés, les gouvernements du monde se sont donc réunis à Rio en juin dernier, en vue de tracer "une voie pour un siècle durable". A l’issue de ce sommet, chefs d'Etat et ministres de plus de 190 pays n’ont finalement signé qu’une feuille de route, un plan "au rabais", pour définir des Objectifs de développement durable, renforcer la gestion globale de l'environnement et la protection des océans, améliorer la sécurité alimentaire et promouvoir une "économie verte".
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Rio+20, la Conférence des Nations Unies sur le développement durable, a été conçue comme le suivi du Sommet de la Terre de 1992 qui a mis en place des conventions historiques sur le changement climatique et la biodiversité, et pris nombre d'engagements sur l'éradication de la pauvreté et la justice sociale.
A la veille de la conférence, et à l'occasion de la parution de son 5ème Rapport sur l'Environnement, le PNUE (Programme des Nations Unies pour l'environnement) avait une nouvelle fois remué le couteau dans la plaie ! Un constat sans appel : malgré près de 500 objectifs environnementaux convenus au niveau international, le monde n’a fait aucun progrès en termes de durabilité. Les émissions mondiales de CO2 ont augmenté de 48 %, 300 millions d'hectares supplémentaires de forêts ont été défrichés, et la population a augmenté de 1,6 milliard de personnes. En dépit d'une réduction de la pauvreté, une personne sur six souffre toujours de malnutrition.
Mais, alors que les problèmes ont augmenté, la capacité des états à y faire face a diminué parce que l'Europe est affaiblie par la crise économique, les États-Unis connaissent une campagne pour l'élection présidentielle, et le pouvoir des gouvernements a diminué par rapport à celui des sociétés transnationales et de la société civile.
Un "échec aux proportions épiques"
Après plus d'un an de négociations pour le plus grand sommet jamais organisé par les Nations Unies - 10 jours impliquant 45.000 personnes -, le document final L'avenir que nous voulons a dès lors été sévèrement critiqué par les défenseurs de l’environnement ainsi que les associations qui luttent contre la pauvreté. Ceux-ci fustigent son manque de détail et d'ambition face aux défis posés par la dégradation de l'environnement, qui aggrave les inégalités, et par l'accroissement de la population mondiale qui devrait passer de 7 milliards à 9 milliards d'ici à 2050.
Les groupes de la société civile et les scientifiques ont été cinglants sur le résultat. Ainsi, Kumi Naidoo, le directeur exécutif de Greenpeace International, a qualifié le sommet d'"échec aux proportions épiques", précisant : "nous n'avons pas l''Avenir que nous voulons' à Rio, parce que nous n'avons pas les dirigeants dont nous avons besoin. Les dirigeants des pays les plus puissants ont soutenu le 'business as usual', mettant honteusement en avant le profit avant les gens et la planète."
Répondant à ces critiques, le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a déclaré que le document guiderait le monde sur une trajectoire plus durable : "Notre tâche est maintenant de créer une masse critique. Le chemin à parcourir est long et difficile."
En l'absence de Barack Obama, d'Angela Merkel et de David Cameron, les pays du BRICS ont dominé les débats. A leur tête, le Brésil - avec habilité, selon certains délégués - a poussé un texte de compromis, évitant ainsi le conflit et le chaos qui ont marqué la Conférence sur le climat à Copenhague en 2009. Mais cela n'a par contre laissé aux chefs d'Etat présents et aux ministres qu'une fonction cérémonielle, gâchant une opportunité pour les dirigeants politiques de faire pression pour un résultat plus ambitieux.
"Notre document final est une opportunité qui a été manquée. Il contribue pour presque rien à notre lutte pour survivre en tant qu'espèce", a déclaré le représentant du Nicaragua, Miguel d'Escoto Brockmann, lors de la Conférence. "Nous faisons face maintenant à un avenir de catastrophes naturelles en augmentation."
D'autres délégués, exprimant leur déception, ont toutefois affirmé que l'accord pourrait être mis à profit. "Le document n'est pas entièrement à la hauteur de nos ambitions, il ne relève pas les défis auxquels le monde doit faire face. Mais c'est un pas important en avant... Et c'est pourquoi nous l'appuyons. C'est pourquoi nous devons nous engager avec lui", a ainsi déclaré Janez Potočnik, le Commissaire européen pour l'environnement.
Un plan pour des Objectifs de développement durable
Le principal résultat de Rio+20 est donc une feuille de route, un plan, visant à fixer des Objectifs de développement durable (Sustainable Development Goals), mais les négociateurs n'ont toutefois pas réussi à s'entendre sur leurs thèmes, qui vont maintenant être laissés à un "Groupe de travail ouvert" de 30 nations afin d'en décider d'ici à septembre 2013. Et deux ans plus tard, pour 2015, ils seront associés aux Objectifs du Millénaire pour le développement.
D'ici là, ces nouveaux Objectifs feront probablement l'objet d'âpres discussions entre les nations (riches et pauvres). Le groupe G77 des pays en développement est persuadé qu'ils devront inclure de forts éléments économiques et sociaux, qui incluent le transfert de financement et de technologie. "Quand l'Union européenne, les Etats-Unis disent 'sol', 'eau', ils insistent généralement sur l'environnement. Mais le G77 insiste pour qu'il y ait également de forts piliers économiques et sociaux Il est nécessaire qu'ils soient meilleurs et plus audacieux que les Objectifs du Millénaire", a ainsi déclaré Bhumika Muchhala, analyste auprès du Third World Network.
Plus de moyens pour le PNUE
Le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) recevra un budget plus important, une plus large adhésion et de plus forts pouvoirs, pour engager la recherche scientifique et coordonner des stratégies globales pour l'environnement.
Achim Steiner, directeur du PNUE, a déclaré qu'il s'agissait d'un agenda pour le changement : "Les dirigeants du monde et les gouvernements ont convenu aujourd'hui que la transition vers une économie verte - soutenue par de fortes dispositions sociales - offre une voie de premier plan vers un 21e siècle durable."
Forum de haut niveau et "Economie verte"
Les espoirs que Rio encouragerait le monde à se diriger vers une "économie verte" ont fondus à la suite des soupçons exprimés par plusieurs pays en développement, persuadés qu'un tel concept n'était qu'une autre façon de plus pour les pays riches d'imposer une approche "one-model-fits-all". Dès lors, l'"économie verte" a été simplement désignée comme un "outil important" que les pays pourraient utiliser s'ils le souhaitaient.
Rio+20 a également établi un "Forum de haut niveau" pour la coordination du développement durable global, dont le format reste toutefois à définir. Il a été convenu de réfléchir à des façons de donner une valeur plus élevée à la nature, incluant des alternatives au PIB comme mesure de la richesse, mais comportant plus de facteurs environnementaux et sociaux, et des efforts pour évaluer et payer pour des "services environnementaux" rendus par la nature, comme la séquestration du carbone et la protection de l'habitat.
Parmi les autres développements - vagues, mais "prometteurs" selon certains -, il convient encore de retenir la reconnaissance par les 192 gouvernements que "des changements fondamentaux dans la façon dont les sociétés produisent et consomment sont indispensables pour assurer un développement durable." La délégation de l'Union européenne a suggéré que cela pourrait conduire à un changement dans l'imposition des taxes, de telle sorte que les travailleurs paient moins et que les pollueurs et les exploitants de décharges payent davantage. Enfin, tous les pays ont "réaffirmé" leurs engagements pour éliminer les subventions à des combustibles fossiles.
Financement
Ces changements vont coûter, mais personne n'a voulu "mettre de l'argent sur la table", ce qui a été pointé par le G77 comme l'une des causes majeures des maigres résultats, alors qu'il réclamait un fonds de 30 milliards de dollars par an pour aider à la transition vers la durabilité. Mais en raison de la grave crise de la zone euro, personne n'était disposé à préciser de montants. Il n'y eût dès lors qu'une promesse d'augmenter le financement, mais de combien et par qui a été laissé à de futures discussions.
Espoirs déçus
Rio +20 n'a pas davantage réussi à garantir les droits reproductifs des femmes et à consolider la protection des océans de la planète. Un plan pour le sauvetage des eaux profondes - en dehors des juridictions nationales - a ainsi été bloqué par les Etats-Unis, le Nicaragua, le Canada et la Russie. Au lieu de cela, les dirigeants se sont contentés d'affirmer qu'ils allaient faire plus pour empêcher la surpêche et l'acidification des océans. Cette reculade a été qualifiée de "profonde déception"par L'Union Internationale pour la Conservation de la Nature.
En définitive, les initiatives et le dynamisme sont venus en marge des salles de négociation, par exemple au sein d'un "Sommet des Peuples" de 10 jours. Ainsi, des accords significatifs ont été passés pour investir dans les transports publics, des engagements ont été pris par les sociétés pour une comptabilité verte, et des stratégies ont été convenues par des villes et des organes judiciaires sur la réduction des impacts environnementaux.
"Il y a de vraies solutions aux problèmes que les gouvernements ont été incapables de résoudre, et ces solutions ont été exposées toute la semaine à Rio, mais pas au Centre de conférences", a ainsi déclaré l'économiste philippine Lidy Nacpil, coordinatrice de Jubilee South, le réseau des coalitions contre la dette à l'oeuvre dans plus de soixante pays.
Cette faiblesse de leadership observée dans les salles de négociation incite déjà la société civile à repenser ses stratégies. Sharan Burrow, la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale, a ainsi déclaré qu'une "alliance rouge/verte serait désormais la seule façon d'avancer." Selon elle, si le modèle de développement actuel ne change pas, "nous allons voir une dislocation économique plus grande que celle à laquelle nous faisons face maintenant. Il y aura davantage de guerres autour de l'eau et l'énergie, nous avons donc besoin que le travail et l'environnement avancent ensemble."
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