Taxe carbone : comment utiliser le magot ?
Un large consensus se dégage en France sur la nécessité d´un signal-prix pour orienter nos décisions micro ou macroéconomiques dans le sens d´une réduction des émissions de CO2. Le projet de contribution climat énergie ayant été mis sous la tutelle du dogme « à prélèvements obligatoires constants », ce sont les questions de la compensation et de la coexistence avec la TIPP qui dominent les débats.
L´idée de taxe carbone n´est pas nouvelle. A l´annonce de sa nomination comme président de la conférence d´experts des 2 et 3 juillet, Michel Rocard s´est plu à rappeler qu´elle avait été préconisée en 1989 par la mission effet de serre qu´il avait créée quand il était premier ministre. « Cela fait donc 20 ans que l´on en parle et on n´a pas osé parce que c´est une affaire énorme ».
Cela peut en effet devenir une affaire énorme si, à l´instar de la Suède, on en profite pour remettre à plat toute la fiscalité, dont il pointe l´incohérence actuelle : « La TIPP qui freine nos consommations de pétrole (ressource non renouvelable, importée en totalité et dont la consommation crée le changement de climat), ne représente que 3,5% de nos prélèvements obligatoires ; simultanément, la main d’œuvre qui est renouvelable, que nous n’importons pas et dont la sous utilisation coûte budgétairement très cher (sans parler de son coût social non monétarisé) sert d’assiette à 38% de nos prélèvements... »
Taxe carbone ou quotas d´émission négociables ?
Certains, dont Michel Rocard, voudraient faire la peau du système des quotas d´émissions et du marché de permis associé : un dispositif complexe, instable, et qui laisse une trop large place à la négociation et aux exemptions. Il vient d´être reconduit par l´UE dans le cadre du paquet climat énergie, visant une réduction de 20% des émissions de CO2 à l´horizon 2020[1], voire 30% si les autres pays s´engagent suffisamment à Copenhague. Les réalistes rappellent qu´en France ce système qui ne s´applique qu´aux gros émetteurs de CO2, production d´électricité et industrie lourde, ne couvre qu´environ un tiers des émissions. Ils prônent la coexistence entre les deux systèmes dont les domaines d´application sont différents. La Contribution climat énergie (CCE), elle, s´appliquera aux émissions dites diffuses des transports, du chauffage, de l´agriculture et des PME qui représentent les deux tiers du total. Pour celles-ci, les pays membres de l´UE gardent la liberté du choix des moyens. Seul l´objectif est fixé : -14% pour la France et l´Allemagne[2].
Faut-il affecter les recettes de la CCE ou les banaliser ?
Au taux de 32 €/tonne de CO2, les recettes de la Contribution climat-énergie devraient s´élever à 9 milliards d´euros la première année. C´est l´ordre de grandeur du trou à combler dans les finances locales suite à l´annonce par Nicolas Sarkozy de la suppression d´une part importante de la taxe professionnelle. Mais même si l´idée de saisir cette opportunité a été évoquée à plusieurs reprises, il semblerait qu´elle soit maintenant abandonnée.
CCE et TIPP : quelques ordres de grandeur Pour commencer, la tonne de CO2 serait valorisée à 32 €, soit 9 centimes par litre de gazole. A titre de comparaison, la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers) est actuellement de 43 centimes par litre pour le gazole et 61 centimes pour le super. Autre point d´ancrage, la CCE pèserait 17$ par baril en 2010, 52$ en 2020, à comparer au cours du pétrole brut qui a fluctué entre 35 et 145 $ en 2008-2009.
TIPP = Taxe intérieure sur les produits pétroliers |
Réformer la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers), réduire les charges qui pèsent sur la main d´œuvre, distribuer un chèque vert, créer un fonds d´aide à la recherche et à l´investissement, aider les pays en voie de développement… Ce ne sont pas les idées qui manquent. Mais derrière leur foisonnement, on voit s´affronter deux conceptions qui semblent à première vue irréconciliables.
Les uns, dont le point de vue est représenté par Michel Taly, avocat fiscaliste, veulent sanctuariser les recettes de la CCE, arguant du fait que son objectif est particulier. Le fond autonome ainsi constitué serait mieux à même de servir la logique de la lutte contre le réchauffement.
Les autres veulent au contraire la verser au pot commun, insistant sur le fait que ce ne serait que le premier pas d´un indispensable verdissement de la fiscalité, rejoignant les remarques préalables de Michel Rocard.
Redistribuer ou aider ?
Cette problématique se décline sur le terrain de la compensation de la perte du pouvoir d´achat pour les ménages. Ainsi, dans la logique d´un fond bien identifié, la Fondation Nicolas Hulot propose de restituer aux ménages la totalité des 3.5 milliards de leur contribution sous forme d´une allocation universelle de 130 € par an. Ce mécanisme, qui n´enlève rien au caractère incitatif de la CCE, doit aider à faire passer une mesure a priori impopulaire, sans coût net pour la collectivité. Les riches qui consomment beaucoup d´énergie seraient perdants, les pauvres a priori gagnants. Dans la logique du pot commun, on se limiterait par contre à des mesures d´accompagnement pour aider les ménages les plus touchés, en particulier ceux qui habitent à la campagne ou dans de lointaines banlieues. Ceux-ci n´ont en effet, en tous cas à court terme, aucune alternative aux longs trajets en voiture ni les moyens de changer leur chauffage individuel, majoritairement au fioul.
La question se pose également pour les entreprises. Faut-il compenser les coûts supplémentaires induits par cette nouvelle taxe ? Celles qui ne sont pas exposées à la concurrence internationale peuvent la répercuter dans leurs prix et transmettre le signal prix aux consommateurs. Mais les autres ? L´idéal serait évidemment que tous les pays de l´Union européenne se rallient à la Suède, un des premiers pays à avoir institué une taxe carbone en 1991, comme l´a souhaité son premier ministre en prenant la présidence tournante de l´UE. En attendant, la solution la plus consensuelle consisterait à abaisser les charges sociales patronales de 0.5 points, un montant équivalent à la contribution des entreprises (5,2 milliard €). Même si cette compensation serait très inégalement partagée[3], elle aurait au moins le mérite, comme l´ont montré les modèles des économistes, de donner un coup de pouce au PIB. C´est le fameux deuxième dividende. La CCE serait ainsi doublement gagnante, pour l´environnement et pour l´économie.
Le CO2 uniquement ?
Le CO2 est le gaz qui contribue le plus à l´effet de serre. Du coup, on a tendance à oublier les autres. Mais il y a fort à parier que cet oubli soit politique, car le CH4 (méthane) et le N2O (oxyde nitreux) sont essentiellement liés à l´activité agricole et que le domaine est sensible. Quelques voix opiniâtres sont heureusement là pour rappeler qu´il serait possible et souhaitable de taxer les engrais, les têtes de bétail et les déchets agricoles.
Un autre sujet de discussion est le traitement de l´électricité. Sa production étant soumise aux quotas d´émissions, elle ne devrait logiquement pas être taxée. Mais si la taxe carbone a été rebaptisée "Contribution climat énergie", c´est aussi parce que certains souhaitent que toute énergie soit taxée, et en particulier l´électricité "made in France" qui émet peu de CO2. La Fondation Nicolas Hulot craint en effet que les français ne se replient trop massivement sur une électricité devenant de plus en plus compétitive par rapport au gaz et au pétrole. Si le prix de l´électricité augmente aussi, les utilisateurs seront incités à l´économiser.
Et maintenant ?
Michel Rocard devrait remettre son rapport au gouvernement le 24 juillet. Celui-ci inscrira-t-il le projet à la loi de finances 2010 ou attendra-t-il 2011, comme l´avait déclaré en juin Jean-Louis Borloo ? On le saura à la rentrée.
Pour en savoir plus
Le site officiel de la conférence d´experts : www.contributionclimatenergie.fr
Le rapport de la commission des finances du sénat sur la fiscalité environnementale
Deux débats méthodiques sur hyperdebat : Faut-il taxer le carbone ? et Contribution climat-énergie : quelles modalités ?
Deux sites de l´association TAxeCArbone : TACA et Arguments pour une écotaxe
[1] Par rapport à 1990
[2] Par rapport à 2005. Pour la totalité des émissions, diffuses ou non.
[3] Le transport routier recevrait en particulier beaucoup moins que ce qu´il contribuerait. Cela explique que la FNTR (Fédération nationale des transports routiers) ait pris position contre la CCE.
Article publié par www.ouvertures.net (membre du réseau Infovox)
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