Un don du ciel à jamais disparu
Le pétrichor.
Mes chers petits fils, au crépuscule de ma vie j’aimerais vous faire partager le plus beau de mes souvenirs d’enfance, celui qui m’accompagnera jusqu’à mon dernier souffle de vie. Je conserve encore l’espoir d’en profiter à nouveau, de jouir de ce bonheur fou, de ce plaisir simple et pourtant si puissant. Hélas, le Monde est devenu fou, la Terre se perd dans les tourments que lui infligent des hommes toujours plus avides de richesse, toujours plus indifférents à la catastrophe qu’ils provoquent.
Essayez mes chers petits de fermer les yeux et de tenter de comprendre ce que ce vieux fou veut vous faire partager. Vous êtes au soir d’une journée chaude. Les hirondelles, vous ne le savez peut-être pas mais c’était des oiseaux noir et blanc qui venaient passer l’été chez nous, s’abritaient dans les maisons et les granges avant que celles-ci ne soient calfeutrées si méticuleusement qu’y installer un nid leur devint impossible. Les hirondelles donc, volaient bas, à la quête de moustiques, ces malheureux animaux qui causent en partie notre malheur.
D’autres hommes, travaillant la terre, non pas avec la sagesse et l’amour des générations qui les précédèrent mais simplement avec la volonté terrifiante de la plier à leur désir de productivité, à leur envie de rentabilité à l’extrême, inondèrent le pays de pesticides et de substances toutes plus nocives les unes que les autres. Ils le firent avec la complicité de certains élus qui, sans doute pour des motifs inavouables, votèrent pour le maintien de l’usage de ces poisons.
Les moustiques disparurent, les mauvaises herbes aussi, les oiseaux également, quelques humains suivirent le même chemin, empoisonnés eux-aussi mais mourant à petits feux, dans des douleurs épouvantables, des cancers toujours plus sournois. La terre, fatiguée des traitements imposés devint stérile d’autant plus que la pluie se mit elle aussi à changer de rythme.
L’eau du ciel ne tombait plus aussi régulièrement. Nous connûmes de longues périodes sans la moindre goutte d’eau. Les rivières devenaient de misérables filets d’eau, les maisons se fissuraient, les canaux étaient à sec, les plantes dépérissaient. Ce merveilleux pétrichor ne réjouissait plus nos fins de journée torrides. D’ailleurs l’été, elles étaient toutes torrides, une chaleur tropicale qui d’année en année n'était plus insupportable.
Puis soudain des cataractes, des trombes d’eau tombaient du ciel. En l’espace de quelques heures, les nuages déversaient tout ce qu’ils avaient jalousement conservé. Les terres, incapables de boire tous ces flots, dégorgeaient, les rivières devenaient soudain des torrents furieux semant la mort et la désolation. Nous ne pouvions même pas profiter, même l’espace de quelques instants de cette odeur unique de la terre chaude, soudain mouillée délicatement.
Quand j’avais votre âge, un liquide huileux était secrété par les plantes, une protection pour lutter contre les périodes sèches. Ce pétrichor était ainsi absorbé par le sol et les roches argileuses.
Ce mot d’ailleurs est porteur en lui même de la force de son pouvoir. Il est la combinaison du mot pierre et de sang des dieux en grec. Cet incroyable parfum dont nous nous enivrions lors de l’orage d’été, était donc un cadeau du ciel.
Nous étions fous de joie. Oubliant la pluie, nous sortions pour profiter à plein nez de ce bonheur olfactif, combiné naturellement avec la fraîcheur bienfaitrice que nous apportaient l’ondée et le radoucissement de l’atmosphère. Nous chantions sous la pluie. J’appelais cette eau du ciel, un Aquadiau et j’en fis même le nom d’un groupe avec lequel j’allais raconter des histoires et des contes, quand quelques humains encore, acceptaient d’abandonner leurs tablettes et leurs téléphones pour écouter des gens chanter et parler.
C’est ce plaisir innocent d’un parfum tombé du ciel et cadeau des Dieux et de la Nature que j’aimerais vous faire toucher du cœur. Mais comment transmettre avec des mots ce qui s’est évanoui à jamais dans la fournaise d’une planète totalement déstabilisée par nos folies. Les sols qui autrefois étaient travaillés par des agriculteurs pris aux pièges de la productivité et des banques, sont devenus des centres commerciaux gigantesques, des parcs d’attractions absurdes, des aéroports monstrueux pour que se poursuive plus encore la destruction de notre planète bleue.
Pire encore, dans les campagnes, les hommes virent avancer le désert. Les terres jadis nourricières, devinrent stériles. Vous seriez surpris de découvrir mes petits fils adorés, que nous nous nourrissions autrefois des produits de cette terre. Nous mangions des fruits et des légumes, des plantes qui poussaient par la grâce d’une nature encore clémente.
Voilà vous savez pourquoi votre vieux grand-père, à chaque fois qu’il pleut, met le nez dehors, cherche désespérément quelques effluves qui pourraient lui rappeler son enfance. Ce n’est pas moi qui suis fou, ce sont tous mes semblables qui ont agi de manière déraisonnable au point de faire de ce paradis d’autrefois, un enfer terrifiant. Les Dieux ont renoncé à nous montrer la voie de la sagesse. Le pétrichor est un don du ciel à jamais disparu.
Olfactivement vôtre.
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