La désillusion suscitée par la conférence de Copenhague est à la hauteur des espoirs initialement suscités. L’objectif était ambitieux et reposait sur un postulat : que les conséquences à moyen terme des dérèglements climatiques conduisent à une prise de conscience globale incitant à prendre immédiatement des mesures contraignantes. Ceci supposait à la fois une confiance dans les analyses des scientifiques mais surtout l’acceptation par les Etats d’une forme de limitation de souveraineté. Si le premier point n’a pas généré de problèmes majeurs, le second par contre a vu se développer les stratégies spécifiques des grandes puissances. Chine, Etats-Unis, mais également l’Inde sont réticentes, voire hostiles, à prendre des mesures qui les entravent. Ce jeu risque d’encore accentuer la compétition des territoires les uns contre les autres, dans le domaine des normes climatiques comme dans d’autres. Copenhague a donc surtout révélé les limites de la gouvernance à l’échelle mondiale, pour le plus grand profit des forces étatiques et économiques qu’un tel objectif révulse.
Le sommet de Copenhague était annoncé comme un tournant planétaire, un de ces rares moments historiques où l’opinion publique mondiale peut assister en direct aux décisions prises par ses dirigeants en majesté dans l’amorce d’une gouvernance mondiale. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon ne déclarait-il pas au journal danois Berlingske Tidende, à la veille de l’ouverture du sommet : "Nous trouverons un accord - et, je crois, l’accord sera signé par tous les pays membres de l’Onu, ce qui sera historique. (...) Tous les chefs d’Etat et de gouvernement ont le même objectif : empêcher le réchauffement climatique". Or, l’emphase des discours ne peut masquer le dramatique fiasco de ce sommet. Si Kyoto en 1997 amorçait un complexe processus de prise de conscience des enjeux planétaires et des conséquences qui en découlent sur le plan du fonctionnement de l’économie, Copenhague marque une incontestable régression. Et pourtant entre ces deux sommets, les alertes du GIEC étayées sur une modélisation toujours plus puissante, ont été confirmées sur de si nombreux points que le doute sur la réalité des évolutions climatiques en cours ne concernent que quelques irréductibles polémistes. L’échec va cependant bien au-delà des domaines qui étaient censés devoir être traités, il est révélateur d’une nouvelle géopolitique mondiale, attestant s’il en était besoin que les analyses de F. Fukuyama sur la « fin de l’histoire » et la victoire définitive de la démocratie et de l’économie libérale sont une nouvelle fois battues en brèche.
Le basculement du monde résulte du poids pris par la Chine, puissance industrielle majeure mais régime autoritaire maintenant sa population dans une situation de soumission : liberté d’information strictement contrôlée, possibilité d’opposition impossible, absence d’émancipation de l’opinion publique. Cette puissance industrielle a grandement été permise par les délocalisations industrielles multiples qui profitent certes d’un marché local croissant mais surtout des facilités réglementaires offertes par la Chine pour pouvoir réexporter au plus bas coût leurs produits manufacturés vers les pays développés. Une forme de nouvelle alliance se dessine : d’un côté un Etat autoritaire qui voit dans la croissance de son potentiel industriel une capacité de peser sur les affaires du monde, de l’autre des forces économiques ultra-libérales prêtes à profiter de tous les avantages locaux pour accroître immédiatement leurs bénéfices. Pour des raisons différentes, mais finalement complémentaires cette alliance objective n’a aucun intérêt à ce que des mesures contraignantes ne soient prises dans le domaine climatique : la Chine parce que ces contraintes attenteraient à sa sacro-sainte souveraineté, les forces ultra-libérales parce qu’elles ne supportent ni les normes sociales, ni les normes fiscales, ni les normes environnementales, préférant que « le libre-marché trouve de lui-même le plus juste équilibre,… pour le bien de tous ».
Face cette alliance, les forces potentielles étaient nombreuses, outre la puissance de démonstration des scientifiques qui espéraient que leur rationalité pointilleuse suffiraient à emporter les contradicteurs, pouvaient être ajoutés : la mobilisation des ONG révélatrice de la prise de conscience croissante des risques climatiques par les opinions publiques des pays démocratiques, la concertation entre les Etats européens et certains pays émergents (tout particulièrement le Brésil), les espoirs suscités par l’évolution des Etats-Unis. Si les discours des autorités américaines sur la question ont indéniablement changé, les actes sont demeurés similaires. Le jeu de B. Obama, en privilégiant la relation avec la Chine, a davantage consisté à s’appuyer sur les forces d’inertie plutôt que sur celles qui amorçaient un mouvement. Cette position est révélatrice d’une nouvelle forme de dépendance à l’encontre de son principal créancier. Cette situation pourrait n’être que conjoncturelle, ce qui inciterait à un certain optimiste, or elle risque bien davantage de devenir structurelle, les facteurs de la montée en puissance chinoise s’appuyant sur une nouvelle donne économique à l’échelle de la planète. Les atouts de la Chine comme paradoxal paradis communiste de la libre-entreprise ne risquent pas de s’inverser à court terme. L’arbitrage de B. Obama ayant préféré un rapprochement avec la Chine plutôt qu’avec A. Merkel ou L.-I. Lula constitue une faute politique, même si la signature à Copenhague d’un accord contraignant n’aurait pas garanti sa ratification ultérieure par le Congrès.
Les règles du moins du moins-disant environnemental par le refus d’un cadrage global font en conséquence système avec celles qui fragilisent les réglementations sociales, voire démocratiques pour le plus grand bénéfice des puissances autoritaires et des grandes entreprises qui voient dans les délocalisations vers la Chine un double intérêt : bénéficier des conditions que ce pays offre et faire pression à la baisse dans les pays anciennement industrialisés pour accentuer le démantèlement des acquis du Welfare-State. Les enjeux de la conférence pourraient bien dépasser les seules questions climatiques. L’alternative existe à une convergence des ambitions environnementales précédant d’autres formes de convergence envisageables, celle de l’exacerbation des avantages compétitifs des territoires les uns par rapport aux autres, dans tous les domaines. Dans ce contexte, le poids économique et commercial dont dispose encore l’Union européenne, entité où les populations sont les plus convaincues de l’importance des enjeux environnementaux à long terme, lui permettrait d’élever son niveau d’exigence en mettant en place des règles plus strictes, susceptibles de s’imposer progressivement à un plus grand nombre de pays. Il n’est pas certain que la fenêtre de tir dont elle puisse disposer pour faire valoir cette approche soit de longue durée, d’autant que de telles mesures seraient susceptibles d’être dénoncées comme formes de protectionnisme auprès de l’OMC. La conférence de Copenhague a peut-être constitué un tournant historique… mais pas dans le sens initialement espéré.