Valorisation de l’environnement au Maroc
De nos jours, la plupart des décisions de planification et de mise en valeur sont prises en fonction de facteurs économiques, obéissant aux forces qui s’exercent dans un système de libre-échange. Si ce nouveau paradigme porte en lui ses propres limites et ses propres risques, il serait utopique de l’ignorer et de fonder nos efforts en faveur de l’utilisation rationnelle de l’environnement sur des valeurs entièrement différentes.
Parmi les ressources naturelles, la forêt joue un rôle essentiel : c’est un écosystème multifonctionnel qui imprime sa marque sur le paysage, tout en apportant une contribution fondamentale à l’amélioration du climat, à la protection contre les risques naturels, au tourisme, etc. Elle revêt aussi une grande importance dans la réduction de la pauvreté en tant qu’élément essentiel du système de production rural, constituant un espace vital fonctionnel avec tous ses produits : bois d’ouvrage et bois de feu, eau potable, fourrage, fruits, gibier, humus, plantes médicinales, etc. Une plus large place est aujourd’hui faite à la gestion durable des forêts, c’est-à-dire à la nécessité de concilier la production de biens et services et la conservation de la base de ressources.
On dit souvent que la forêt marocaine contribue pour près de 2% au PIB agricole et 0,4% du PIB national, Cette contribution ne tient compte que des valeurs de consommation directe réalisées dans le cadre de filières économiques intégrées au marché. Sa contribution réelle est estimée à 10 % du PIB agricole si l’on tient compte des revenus tirés directement par les populations riveraines. La prise en compte des autres aspects écologiques (oxygène, villégiature, protection des eaux, des sols et de la biodiversité...) ramènerait ce taux à des proportions nettement supérieures.
Le déficit en connaissance et la sous-valorisation du rôle économique des ressources forestières au Maroc a des conséquences directes, en particulier :
la pénalisation de la forêt dans la stratégie d’affectation des terres par rapport aux autres formes d’utilisation de l’espèce
l’insuffisance des allocations de ressources financières au secteur forestier au profit de besoins à rentabilité immédiate
le transfert de valeur ajoutée importante générée par les forêts aux autres secteurs de l’économie
une faible incitation à l’investissement privé en forêt
Pourquoi une évaluation ?
Pourquoi, alors, évaluer les ressources naturelles ? Parce que nous savons intuitivement que les ressources peuvent être importantes, mais cela ne suffit peut-être pas pour garantir leur utilisation rationnelle. Beaucoup de ressources naturelles sont complexes et multifonctionnelles, et la manière dont les biens et services fournis par ces ressources affectent le bien-être de l’homme n’est pas forcément claire.
L’évaluation économique est un outil qui aide à prendre les décisions difficiles qui s’imposent. Tout choix, toute option - préserver la ressource dans son état naturel, la laisser se dégrader ou la transformer pour en faire un autre usage - a des conséquences en termes de gain ou perte de valeurs. Ce n’est qu’après avoir analysé et évalué correctement les gains et les pertes que l’on peut décider de l’utilisation d’une ressource naturelle.
L’évaluation des avantages économiques des milieux naturels peut faciliter l’établissement des priorités et le financement des projets de conservation. Cette approche peut également prendre en compte la perception du grand public à leur égard et promouvoir la participation de la population à certaines initiatives de conservation. Elle peut aussi simplifier la conduite des évaluations environnementales et le processus décisionnel qui en découle, en fournissant une valeur de référence avec laquelle il devient possible de comparer d’autres facteurs économiques en vue de déterminer l’importance des effets environnementaux.
La valeur économique totale
Pour apprécier la pleine dimension économique des avantages associés aux milieux naturels, il faut d’abord reconnaître que les avantages non marchands de ces milieux sont tout aussi importants que les produits qu’on peut en tirer. Malheureusement, à ce jour, la société a généralement attendu que les avantages liés aux milieux naturels aient disparu pour en reconnaître la valeur.
Le concept de valeur économique totale (VET) fait la différence entre les valeurs d’usage et les valeurs de non-usage, ces dernières ayant trait aux valeurs actuelles ou futures (potentielles) associées à la ressource. D’ordinaire, les valeurs d’usage supposent une certaine « interaction » entre l’homme et la ressource. La valeur d’option est une catégorie spéciale qui intervient lorsqu’on n’a aucune certitude quant à la future demande d’une ressource et/ou à la disponibilité future de cette ressource. Par ailleurs, il existe des personnes qui, bien qu’elles n’utilisent pas actuellement les zones naturelles, souhaitent, néanmoins, les voir préservées « pour elles-mêmes ». Cette valeur « intrinsèque » est souvent dénommée valeur d’existence. Il s’agit d’une sorte de valeur de non-usage extrêmement difficile à mesurer car les valeurs d’existence supposent que l’on effectue une évaluation subjective sans rapport aucun avec sa propre utilisation ou celle d’autrui, présente ou à venir. Un autre sous-groupe des valeurs de non-usage ou de protection est la valeur d’héritage dans le cadre de laquelle on attribue une grande valeur à la conservation pour les générations futures.
Dans une économie concurrentielle, lorsque le mécanisme des prix n’est pas faussé, on peut présumer que les prix du marché reflètent la disposition à payer certains biens et services. Ils devraient être des mesures exactes des valeurs d’usage direct associées principalement à la cueillette de ressources. Toutefois, utiliser les prix du marché à cette fin pose deux problèmes. Premièrement, les prix du marché peuvent être faussés par des interventions délibérées ou une concurrence imparfaite : contrôle des changes (qui est plus un problème des pays en développement), prix plafond ou soutien aux prix (en particulier dans le secteur agricole), subventions ou taxes, situation de monopole, etc. Dans ce cas, on préconise souvent l’application de prix de référence. Ce sont des prix réels « ajustés » de manière à éliminer toute distorsion causée par des politiques ou des imperfections du marché et à refléter la disposition réelle à payer. Le deuxième problème vient de ce que de nombreuses valeurs des milieux naturels ne sont pas directement reflétées dans les prix du marché. C’est le cas pour toutes les fonctions écologiques, les ressources récoltées pour l’usage personnel des ménages, la plupart des services de loisirs et toutes les valeurs de non-usage.
Méthode d’évaluation ?
Les méthodes de valorisation de l’environnement se proposent de mesurer la modification du bien-être des individus, associée à une amélioration ou à une détérioration de la qualité des services rendus par l’environnement. Elle se manifeste par la somme d’argent que les gens accepteraient de payer, soit pour jouir des services rendus par l’actif naturel, soit pour conserver ce droit pour les générations futures ou par simple altruisme tout en sachant qu’ils n’en retiendront jamais un avantage direct. Ces méthodes porteuses d’avenir commencent à révéler le rendement du capital investi en vue de protéger les milieux naturels ainsi que les avantages qui risquent d’être perdus si ces milieux devaient se dégrader.
L’application de ces méthodes varie selon les pays. Aux USA, certaines techniques sont officiellement reconnues et intégrées dans l’analyse coûts-bénéfices de toute réglementation proposée par l’administration. Ces méthodes sont également reconnues par les tribunaux américains pour évaluer les dommages subis à l’environnement. Plusieurs pays d’Europe (Grande-Bretagne, Allemagne, Norvège, Hollande, Danemark...), de façon moins officielle, intègrent ces méthodes pour évaluer les bénéfices de protection de l’environnement et mettre en place une politique de gestion des actifs naturels. Au Maroc, l’application de ces méthodes reste à l’état embryonnaire, et le nombre de travaux utilisant ces techniques est très faible.
Les principales méthodes d’évaluation de l’environnement se présentent comme suit :
v L’évaluation monétaire des effets physiques : elle permet d’évaluer toute modification dans l’environnement en observant les changements physiques intervenus et en estimant la différence qu’ils entraîneront dans la valeur des biens et services.
v L’estimation des dépenses de protection : elle exploite la relation de parfaite substituabilité qui existe entre un bien et la qualité d’un actif naturel. La détérioration de la qualité de l’environnement oblige les gens à effectuer des dépenses supplémentaires pour maintenir leur niveau d’utilité constant.
v La méthode des prix hédonistes : elle est fondée sur l’idée que le prix d’un bien est fonction de plusieurs caractéristiques parmi lesquelles on trouve la qualité de l’environnement. Les individus expriment leurs préférences en acceptant de débourser une somme d’argent supplémentaire pour en bénéficier.
v La méthode du coût de trajet : elle considère la relation de complémentarité qui existe entre une activité, généralement récréative, et un actif naturel. Elle se base sur l’idée que les dépenses (coût du temps et de voyage) engagées par les individus pour se rendre sur un site expriment en quelque sorte leurs préférences pour ce site.
v La méthode d’évaluation contingente : c’est une méthode directe de révélation des préférences qui se base sur la reconstitution d’un marché hypothétique. Elle consiste à interroger une population sur son consentement à payer (ou à recevoir, s’il s’agit d’une compensation) pour bénéficier d’une modification (ou renoncer à) de la qualité de l’environnement.
Une étude menée sur la fréquentation récréative du site Ramsar de Sidi Boughaba, proche de Kénitra, a révélé que la valeur récréative de la réserve, en utilisant la méthode du coût de trajet, est de 3 429 887 dhs par an, alors que le consentement à payer moyen (CAP) des visiteurs, établi par la méthode d’évaluation contingente, est de 5,50 dhs par visite.
Conclusion
L’un des objectifs principaux de la protection de l’environnement est fondé sur le concept du développement durable. Nous devrions laisser aux générations futures « un capital » identique à celui dont nous jouissons aujourd’hui. Il est aujourd’hui admis que la voie qui mène à un développement durable passe par une meilleure intégration des facteurs économiques dans les prises de décisions relatives à l’environnement, en particulier par le recours aux techniques économiques pour l’évaluation des projets et des politiques. De nombreux effets sur l’environnement ont des causes économiques, et la compréhension de ces facteurs peut être un préalable à la définition de la politique de l’environnement.
Les méthodes de valorisation de l’environnement contribuent, de diverses façons, à faire progresser ce concept. En effet, elles permettent de corriger certaines défaillances du marché et des politiques, de pénaliser les projets entraînant des effets externes négatifs sur l’environnement, et d’établir des prix « verts ».
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