Vers la fin des pesticides ?
Nous sommes 80 à l’assemblée générale de Phyto-victimes qui se tient à deux pas de Montpellier ce 21 mai 2016. Trois d’entre nous sont en fauteuil roulant, nombreux sont les malades ou les veuves. D’autres sont là aussi très présents, on ne les voit pas, ils sont morts il y a peu mais ils étaient des premiers jours de l’aventure de l’association qui a démarré il y a 5 ans. Jean-Marie, le local de l’étape, nous dit à l’ouverture que Phyto-victimes c’est « une association qui fonctionne ». Pour l’avoir observée vivre toute une journée, je confirme, ça fonctionne. Il dit peu après : « je suis sous médicaments » comme pour s’excuser d’une petite faute d’attention. Parce que c’est ça la réalité des pesticides aujourd’hui, beaucoup de souffrance, de très nombreux malades, des morts et bien trop peu nombreux ceux qui en parlent.
Nous sommes tous des phyto-victimes
Nous avons eu l’après-midi une table ronde dans laquelle le professeur Charles Sultan a fait effet : « vous n’êtes pas les représentants des victimes des pesticides » a-t-il démarré : « nous sommes tous des phytovictimes » c’est 100% de la population qui est touchée. Et de dire tout de suite qu’on trouve 250 produits chimiques dans le cordon ombilical des nouveaux nés dont les ¾ sont des pesticides. Il ajoute « je suis stupéfait par l’insupportable légèreté des responsables », vrai que c’est incroyable, les choses sont maintenant établies et personne ne bouge, c’est le grand laisser-faire sur ce sujet-là aussi. Les pesticides altèrent les défenses immunitaires, ils modifient l’expression des gènes, « nous avons une spermatogénèse deux fois moins importante que celle de nos pères ». Les enfants d’agriculteurs ont un petit poids à la naissance… augmentation des cas de précocité pubertaire chez les fillettes de 7 ans…
Ne pas se laisser faire
Le professeur Sultan est très remonté, on sent une exaspération chez lui en même temps qu’une vision claire de la situation. Il veut créer un « contre-pouvoir démocratique ». Combien de fois d’un intervenant ou d’un autre, il y a trois médecins Charles Sultan, Jean-François Rossi et Borhane Slama et une docteur en sciences sociales Annie Thébaud-Mony à la tribune, on a entendu qu’on est face à « des institutions qui ne font pas le boulot qu’il faut faire » ? J’ai entendu : « nous voulons briser l’impunité des industriels qui nous empoisonnent ». On nous rappelle que le procès de l’amiante est en cours depuis 20 ans et qu’il n’y a toujours pas eu d’audience. Une femme dans la salle dont on sent l’expérience vécue dira : « le monde médical ne se mouille pas beaucoup, il ne s’interroge pas sur les causes de la maladie »
« Je demande le bannissement des pesticides ».
Le professeur Sultan parle de la période fœtale comme d’une « fenêtre de vulnérabilité », il parle d’un « effet transgénérationnel », il évoque l’appel de Montpellier contre les pesticides de 2013. Il termine sa harangue en disant : « je demande le bannissement des pesticides ». Applaudissements ! On sent chez lui l’homme qui en a trop vu pour rester les bras croisés. Il ajoute : « ce que nous voyons en ce moment sur le glyphosate est une insulte à la science » il finit en disant vouloir : « créer un contre-pouvoir sans aucune attache politique ». Toute la journée la méfiance vis-à-vis du monde politique a planée sur l’assemblée ; Paul François, le président de l’association, disant par exemple que le souci principal des politiques c’est d’être réélu.
une bagarre juridique
Lors de l’assemblée générale du matin, nous pouvions apprendre que Phytovictime est une petite association, il n’y avait que 129 membres en 2015, ce qui est très peu quand on mesure l’importance de l’enjeu. 45 dossiers de victimes sont traités par l’association. Très vite la parole a été donnée à maître Lafforgue, l’avocat qui se bat avec l’association pour arriver entre autre à des reconnaissances de maladies professionnelles. Ils ont obtenus 12 décisions favorables, avec reconnaissance du lien entre la maladie et le travail du malade utilisateur de pesticides. Ces malades sont exploitants agricoles, ouvriers agricoles, technico-commerciaux de coopératives, jardiniers de ville, chercheurs INRA et ouvriers de l’agroalimentaire.
IPP extrêmement bas
L’avocat évoque les décisions négatives de trois comités de médecins (composés chacun de trois médecins) qui refusaient de faire ce lien, les plaignants ont eu gain de cause malgré tout au tribunal. Il nous dit que le taux d’indemnisation de l’incapacité permanente (IPP) est « extrêmement bas… très mal évalué dans le monde agricole ». « Les experts ont réévalué le taux, il ne faut pas se laisser faire par les organismes de sécurité sociale ». « 20 % d’IPP pour parkinson c’est un scandale ». Il faut faire attention aux problèmes de prescription : « il faut surtout en parler tout de suite à l’association ». Il y a aussi la question de l’indemnisation complémentaire : « les préjudices sont considérables, une rente n’est pas suffisante ». L’avocat rappelle la première mondiale de la victoire de Paul François contre Monsanto.
Comme pour l’amiante
Un autre combat à l’ordre du jour est la création d’un fond d’indemnisation des victimes comme il en existe pour l’amiante et les victimes des expériences nucléaires. L’avocat estime que « les choses évoluent favorablement », « on n’appréhende pas ces questions comme il y a sept ans ». Il y a des difficultés avec la caractérisation des maladies parce que les victimes sont souvent atteintes de maladies rares, peu documentées au plan scientifique.
1 seul jeune met des gants et un masque
Il est de plus en plus souvent fait appel à l’association pour des interventions avec le grand public. 19 interventions ont eu lieu en 2015 avec le grand public et 4 avec les scolaires. Pendant les échanges, Paul François qui est intervenu récemment dans un lycée agricole des Pyrénées orientales dira : « c’est un public extrêmement important à nos yeux parce que ce sont les futures agriculteurs… et à propos de cette dernière intervention : sur les 60 jeunes présents, 20 faisaient déjà des épandages, 1 seul mettait des gants et un masque… C’est en 2016 ! « Ils travaillent comme nous, ils travaillent comme on travaillait il y a 50 ans… je leur dis ne faites pas les mêmes conneries… on leur fait croire que la seule façon de produire c’est l’intensif, l’industriel… les firmes entrent dans les lycées agricoles » dit Paul François.
Allez dans les lycées c’est de la prévention
Ces interventions dans les lycées sont très importantes pour une prise de conscience généralisée. Paul François rapporte que lors d’une intervention un jeune a dit : « Moi mon père je le vois traiter sans mettre de gants, je vais lui en parler ». Avec leur BTS « on leur « donne » le certificat certiphyto sans leur en parler ». Ce certificat pose des questions. Les formations sont très différentes les unes des autres. On entend de la salle : « il n’y a pas de cahier des charges… Une fois qu’on a passé le certiphyto on est sensé avoir reçu toute l’information… ça dédouane l’Etat et les firmes… exploitation au nom de l’épouse, c’est elle qui passe la formation, c’est lui qui applique les produits… ». Il ressort du débat qu’il est important d’instaurer le dialogue entre agriculteurs et riverains. Et si c’est nécessaire « on peut prendre un anémomètre et filmer » dit l’avocat.
Les cas de cancer augmentent tous les ans
Plusieurs fois il a été question de l’association Générations futures qui a joué un rôle déterminant au démarrage de l’association Phyto-victimes. Nous sommes à 385 000 nouveaux cas de cancer par an, ça augmente tous les ans. Le journaliste de Cash investigation qui est intervenu par skype dit : « on a rarement vu un secteur (en parlant des fabricants de pesticides) qui nie tout en bloc malgré les preuves ». Les mots du président de phyto-victimes sont forts à la fin de la journée : « il y a l’omerta chez les paysans, il y a aussi l’omerta chez les médecins ». Lui aussi évoquera la fin des pesticides : « se dire que d’ici 20 ou 30 ans il n’y aura plus de pesticides ».
Interdépendance
Après des années de ravages infligés à la flore et à la faune, voilà les humains touchés au plus profond de ce qu’ils sont. Voilà les humains atteints dans ce qu’ils ont de plus précieux, leurs enfants et leur santé. Et tous de faire la découverte de façon empirique que tout est lié, le vivant forme un tissu sur Terre, interdépendance, première loi d’une science qu’on appelle - l’écologie –. Les bêtes, les plantes, nous, nous sommes ensemble, riches ou pauvres, sauvages ou domestiques, c’est même air, même sol, même eau et tout ce qu’il y a dedans.
Soutenons phyto-victimes
Des pouvoirs publics pas à la hauteur, un corps médical incompétent, des élus sous l’influence des lobbys de la chimie, des industriels d’une arrogance incroyable, des cas de cancers qui augmentent, les enfants touchés dès leur vie fœtale… Il y a fort à parier que le grand coupable de la perte de biodiversité – la monoculture – aberration absolue du point de vue de l’écologie sera pointé du doigt dans les AG prochaines, fort à parier qu’on parlera plus de la bio, que seront invités des représentants de Fermes d’avenir ou de Terre de liens, fort à parier qu’en proportion il y aura moins de paysans dans l’assemblée et plus de citoyens de tous les horizons et professions, que le buffet sera bio et qu’on sera 500 ! Soutenons phyto-victimes et ouvrons tous ensemble de nouveaux horizons pour l’agriculture c’est urgent.
A suivre !
Roland Gérard co-directeur du Réseau Ecole et Nature
Sur la Photo Paul François deuxième en haut en commençant par la gauche et une partie de l'équipe dirigeante de Phyto-victimes.
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON