Vous avez dit : mouvement du 17 novembre ?
« Poujadisme, n. m. Péj. Attitude politique revendicative, étroitement catégorielle et corporatiste. » (Dictionnaire "Le Petit Larousse").
Qu’est-ce que tu fais samedi prochain ? Moi, je vais faire un peu de poésie à l’Institut du Monde Arabe. Et toi ? Je vais à la soupe au pot. Toi ? Moi, je vais bloquer. Ce samedi 17 novembre 2018 démarre un mouvement qui pourrait être grave pour le pays, un mouvement de colère et de protestation contre les taxes excessives sur le carburant.
Le gouvernement a peur d’un blocage généralisé et durable à la fin de cet automne sur les routes de France. Déjà dans son "itinérance mémorielle", le 9 novembre 2018, le Président Emmanuel Macron s’inquiétait de ce mouvement : « Je me méfie toujours de ces mouvements où l’on mélange tout ! ». C’est aussi pourquoi le Ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a mis en garde, le 13 novembre 2018 dans la matinée, les éventuels participants au mouvement : le gouvernement n’acceptera aucun blocage de la circulation.
La loi est avec lui. Définie selon l’article L412-1 du code de la route comme « le fait, en vue d’entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d’employer, ou de tenter d’employer, un moyen quelconque pour y mettre obstacle », l’entrave à la circulation est un délit passible de 4 500 euros d’amende et de deux ans de prison, ainsi que du retrait de six points sur le permis de conduire. Par ailleurs, une peine complémentaire de suspension du permis de conduire, pour une durée de trois ans au plus, peut être décidée, cette suspension pouvant être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle. Une mise en fourrière du véhicule peut être éventuellement décidée. Qu’on se le dise !
Ce "mouvement du 17 novembre" pourrait être le catalyseur de toutes les colères que les syndicats n’ont pas pu encore incarner depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron. Baisse des APL, hausse de la CSG non compensée pour les retraités et les fonctionnaires, hausse des taxes sur les carburants… sans compter les hausses plus ou moins indépendantes du gouvernement, comme les péages autoroutiers, les PV de stationnement, le gaz, l’électricité, le timbre-poste, etc. ainsi que l’inquiétude du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Cela fait beaucoup, à la longue.
Comme ce mouvement est parti de la base, il est difficile, pour la classe politique, de se positionner clairement. À droite, le Rassemblement national est à fond pour l’encourager. Normal, car ce mouvement est particulièrement adapté à ce qu’on pourrait appeler une forme de "poujadisme". C’est alors la version FN de l’époque Jean-Marie Le Pen, celle où il promettait la suppression de l’impôt sur le revenu (à l’époque, le FN était un mouvement anti-impôts et donc, ultralibéral !). Chez LR, la situation est plus confuse. On soutient timidement sans vouloir vraiment s’engager.
À gauche, la confusion est encore pire. Le PS préfère s’abstenir, mais Julien Dray explique qu’il faut que le PS y participe pour éviter une récupération politique à droite. L’argument est assez tordu ! Chez FI, c’est encore pire. Certains "comprennent" la colère mais ne veulent pas y participer (par exemple, Clémentine Autain). D’autres annoncent clairement leur engagement dans ce mouvement (tout est bon dans les mouvements anti-Macron), sans voir la grande contradiction entre vouloir lutter contre le changement climatique et fustiger la fiscalité associée.
De plus, les organisateurs du mouvement de blocage ont été clairs cette semaine, il s’agit d’exiger du gouvernement qu’il réduise les dépenses de l’État au lieu d’augmenter les taxes. Un discours qui semble très contradictoire avec les envolées lyriques d’un Jean-Luc Mélenchon.
Dans ce mouvement, j’ai l’impression que tout le monde est fautif. Tout le monde, sauf le peuple, évidemment, qui ne fait que subir. Subir les taxes, subir les intérêts politiciens des uns et des autres.
Faut-il faire de l’écologie punitive, c’est-à-dire, n’avoir qu’un seul mot à la bouche pour tenter de répondre aux enjeux écologiques de la planète : taxer, taxer, taxer ? C’est une erreur d’autant plus forte qu’elle est en complète contradiction avec la volonté du gouvernement de libérer les énergies économiques. On libère d’un côté, on cadenasse de l’autre. Peu de chance que les objectifs économiques puissent être atteints avec une telle "schizophrénie".
L’incohérence du gouvernement, c’est de préférer taxer, ce qui est facile, à construire de nouvelles solutions, ce qui est long, difficile et demande de l’imagination.
Ceux qui, chaque jour, prennent leur voiture pour aller travailler, ceux-là, ils ne l’ont pas choisi, parce que rouler, cela coûte déjà cher. Cela veut dire qu’ils n’ont pas d’autres solutions, qu’ils soient dans des banlieues peu desservies par les transports en commun (dans la région parisienne, le gouvernement croit-il que les automobilistes passent deux heures chaque matin dans les bouchons pour leur simple plaisir de l’automobile ?) ou qu’ils soient dans des zones rurales également peu desservies. Le résultat de la taxation supplémentaire, ce ne sera pas un changement de comportement, puisqu’il n’y a pas d’autre choix, donc pas une amélioration dans la réduction des gaz à effet de serre, mais seulement l’allégement du porte-monnaie.
L’autre incohérence, c’est de vouloir taxer les carburants. Deux incohérences mêmes. C’est sûr que les années 1970 ont voulu faire une société du tout-automobile. Les années 1990 ont encouragé le diesel sur l’essence. Taxer encore plus le diesel, c’est d’une part une sorte de "trahison" de la part de l’État qui l’avait longtemps encouragé. D'autre part, c’est peu cohérent pour lutter contre le changement climatique puisque le sans-plomb ferait, a priori, plus de dégâts que le diesel à cet égard. Mais cela se discute et dépend de l’âge de conception des moteurs.
Plus généralement, taxer l’utilisation des moteurs thermiques (car c’est cela en définitive), cela peut paraître pertinent à moyen ou long terme pour lutter contre les gaz à effet de serre, mais il faut aller jusqu’au bout des conséquences : cela signifierait-il que tous les moteurs automobiles doivent être, à terme, électriques ? Si oui, cela reviendrait à dire qu’il faudrait sans doute à peu près doubler notre capacité de production électrique, c’est-à-dire, accroître de façon massive notre parc de centrales nucléaires. Le veut-on réellement ?
L’autre absurdité du système, c’est de se rendre compte tardivement que les personnes les plus modestes vont être impactés massivement par cette taxation et de vouloir faire des corrections. Comment ? En leur allouant une aide, pardi ! Mais cette aide, versée par l’État, voire les collectivités territoriales, voire les employeurs (les entreprises), il faudra bien qu’elle soit financée. Et qui payera à la fin de la chaîne ? Le contribuable ou le consommateur. C’est-à-dire l’automobiliste qui devra alors payer doublement : sa taxe et celle d’une très faible partie de la population. Le pire, c’est que l’État récupèrera une partie de cette aide, qui sera imposée, au même titre que les taxes spéciales sont soumises à la TVA ! Une maison de fou, ce système fiscal français !
Mais reprenons plus précisément l’argument du gouvernement rappelé par le Premier Ministre Édouard Philippe le mardi 13 novembre 2018 devant les députés en séance de questions au gouvernement : « Nous assumons l’adjonction d’une taxe carbone à la TICPE, puisqu’il avait été annoncé pendant la campagne par le Président de la République (…). Le montant de cette taxe se situe entre 7,5 et 7,8 milliards d’euros. À quoi sert cet argent ? Il sert, pour une large part, à faire basculer la fiscalité pesant jusqu’à présent sur le travail vers la pollution, la transformation et le dérèglement climatiques. C’est un choix politique. Nous considérons, et je pense qu’au fond, chacun de nos concitoyens peut le comprendre, qu’il est certes peu populaire, mais parfaitement justifié, de dire que la fiscalité doit plus peser sur la pollution que sur le travail. Cette transformation est loin d’être simple, mais nous l’assumons. (…) Changer de système engendre toujours des difficultés, mais nous avons la conviction que ne rien faire contre les émissions de dioxyde de carbone et ne pas s’engager fermement pour accompagner les Français et lutter contre l’utilisation des véhicules qui provoquent et accélèrent le changement climatique ne seraient pas à la hauteur des enjeux. ».
Complétant cette réponse au député de Drancy et président du groupe UDI, Jean-Christophe Lagarde, Édouard Philippe a annoncé dans la matinale de ce mercredi 14 novembre 2018 sur RTL toute une série de mesures visant à aider les Français à faire cette transition énergétique. Ainsi, il a annoncé 500 millions d’euros d’aides supplémentaires, l’objectif étant le changement de mode de chauffage (supprimer à terme le chauffage au fioul) et le changement d’automobile. Une prime de 4 000 euros sera ainsi octroyée aux ménages les plus modestes, c’est-à-dire à un million de personnes (je n’ai pas vérifié, mais il me semble qu’il y a en France environ 40 millions d’automobiles, et autant voire plus de foyers, et donc, de logements dont je ne connais pas la proportion chauffés au fioul, mais dans tous les cas, aider un million de Français est dérisoire par rapport à la population impactée).
On pourrait croire que le gouvernement a donc proposé de compenser les augmentations de taxes par les aides… mais le compte n’y est pas ! C’est ce qu’a voulu affirmer Jean-Christophe Lagarde dans sa question du 13 novembre 2018 : « Il y a quelques jours, le Président de la République disait trivialement à l’un de nos compatriotes que "le carburant, ce n’est pas bibi !". Pourtant, les chiffres sont têtus ! 37% de l’augmentation du diesel et 34% de celle de l’essence résultent de décisions prises dans cet hémicycle sur la proposition du gouvernement. "Bibi" est donc aussi responsable des taxes ; voilà pourquoi les Français ont l’impression de l’avoir dans le baba ! ».
Et Jean-Christophe Lagarde de rappeler la faiblesse de la compensation écologique aux taxes : « Entre 2017 et 2019, la hausse de ces taxes que vous avez décidée a rapporté 7,2 milliards d’euros de recettes supplémentaires aux caisses de l’État. Seuls 1,2 milliard d’euros ont été consacrés à la transition énergétique. Il y a donc une différence de 6 milliards ! Rien qu’en 2019, sur les 3,9 milliards d’euros de recettes supplémentaires attendus, seuls 260 millions d’euros seront consacrés à la transition énergétique. Les Français ont l’impression de se faire avoir. Or, pour que ces taxes soient légitimes, elles ne doivent pas les piéger, mais les accompagner, pour leur permettre de rouler et de se chauffer plus propre ; elles doivent financer, dans tout le pays, les infrastructures nécessaires pour atteindre les objectifs de lutte contre le carbone et la pollution. (…) Le produit de ces taxes [doivent] revenir dans les poches des Français. ».
On voit bien qu’avec les mesures annoncées le lendemain sur RTL par le Premier Ministre, le compte n’y est toujours pas. Pourquoi le gouvernement reste-t-il dans une communication qui ne peut être que perçue comme de l’hypocrisie et de la langue de bois n’écoutant pas la colère des Français ? Si le gouvernement avait dit clairement, en l’assumant pleinement, que ces taxes supplémentaires sont pour remplir les caisses de l’État et réduire le déficit budgétaire qui, finalement, n’est pas si faible que cela car le gouvernement peine à réduire les dépenses publiques, ce serait plus clair et plus franc.
D’autant plus que sur le carburant, la perception et les impressions peuvent être mauvaises conseillères. L’éditorialiste économique Emmanuel Le Chypre a en effet calculé, le 7 novembre 2018, le prix du litre d’essence en 1973. Son prix était de 1,69 franc, soit l’équivalent de 1,50 euro d’aujourd’hui, peu éloigné du 1,52 euro le litre de sans-plomb et de 1,51 euro le litre de gazole en 2018. Mais surtout, surtout grâce aux progrès de la technologie automobile, en 1973, le salaire d’une heure de SMIC permettait de rouler 30 kilomètres, tandis qu’aujourd’hui, en 2018, avec une heure de SMIC, on peut rouler …130 kilomètres !…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 novembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le Mouvement du 17 novembre.
Emmanuel Macron.
Édouard Philippe.
Jean-Christophe Lagarde.
La taxation du diesel.
L’écotaxe.
Une catastrophe écologique ?
Amoco Cadiz (16 mars 1978).
Tchernobyl (26 avril 1986).
AZF (21 septembre 2001).
Fukushima (11 mars 2011).
L’industrie de l’énergie en France.
La COP21.
Le GIEC et son alarmisme climatique.
Vibrez avec la NASA …ou sans !
Le scandale de Volkswagen.
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