A l’instar de l’Allegrius, le Yann Arthus est une espèce qui se reproduit. Qui se reproduit vite, très vite. Partout, tout le temps, Yann Arthus –et les autres..., Hulot, Al Gore- du sous-ordre des écologistes médiatiques n’en finit plus de sermonner les foules irresponsables d’occidentaux perfusés à l’or noir, prophétisant encore, non sans fatalisme, la fin de ce monde décadent à l’horizon de la prochaine décennie.
Produit incontestable de séduction massive, nécessaire par ailleurs à la reproduction du Yann Arthus, Home -
dont on peut désormais voir les couleurs en ligne-, distribué à sa sortie dans pas moins de 130 pays, est le dernier né d’un génie du discours apocalyptico-environnemental. Miroitant de reflets argentés, scintillant, coruscant à grands renforts de contrastes que l’on croirait photoshopés, Home est de ces leurres sexuels, de ces queues de paon qui, tout comme Darwin en son temps, nous laisse, niaisement béat, totalement dubitatif.
Et c’est parti pour une heure et demie de film –magnifique au demeurant. Les tableaux tant tôt figuratifs, tant tôt abstractifs, magnifiant notre mère la terre de leur palette chromatique s’enchaînent à la mesure d’une liturgie bien convenue. Anesthésié par la collusion de l’image et de l’onirisme d’un chant lamenté tout en trémolos, on a peine à entendre les augures de Yann Arthus qui de son hélico, contemple avec miséricorde et religiosité les souffrances et les cicatrices parcourant la peau d’une déesse à l’agonie.
Peu à peu et entre deux épisodes de transe quasi mystique on saisit la présence d’un message binaire, vraiment lourd, pas très subtil : la Terre est pure, l’homme est son fardeau.
La voix off de Yann Arthus, adepte du tutoiement paternaliste et moralisateur, assène avec force au creux de nos consciences le dit message, bientôt raisonnant et tournant en boucle sur le transistor de nos synapses. L’homme est un nuisible pour la planète, semble-t-il nous répéter à longueur de temps. Et c’est vrai qu’au bout d’un moment, à nous prendre pour Dieu, comme ça, le regard en permanence contre-plongé sur tout ce fourmillement incessant, on finit par le remarquer : Partout l’homme, grouillant, fouit la terre de ses immondes pattes, retourne, déblaie, terrasse, désagrège 4 milliards d’années d’histoire terrestre, et cela en seulement 200 000 ans d’existence –et guère plus d’un siècle d’action corrosive. L’homme occidental prisonnier de ces villes ruches déploie, quadrille, exploite, pompe, arrachant bientôt à la terre les dernières « poches de soleil » qui lui restent.
Il faut voir de là-haut comme le nuisible sapiens sapiens du nord détruit, gaspille et pollue pendant que son comparse, celui du sud, le petit africain, le bangladais ou encore l’indien d’Amazonie, traîne des pieds sous la chaleur croissante d’une Terre qu’il n’a pas souhaité, et qu’aux labeurs quotidiens des champs, il ne fait que prier. Il faut voir comme le nuisible du sud est plus respectueux de son environnement, dépourvu de toute technique productive moderne. Il faut le voir travailler de ses petites pattes, c’est tellement beau –tellement écolo aussi.
Durant une heure et demie, la propagande environnementale ne s’essouffle pas une seconde, Lourdingue, pataude, elle se cristallise à la faveur de vérités trop simplistes sur fond de tensions instrumentales ; une ville tentaculaire, une monstrueuse raffinerie de pétrole, la démesure d’un gratte-ciel de Dubaï, et voilà que la musique s’emballe, que les tambours se mettent à gronder et à se faire le supplétif culpabilisateur d’une voix arthusienne emplie de sagesse. Ailleurs, un troupeau de gazelles, la course d’un éléphant dans la savane gabonaise, les fumerolles incandescentes d’un volcan millénaire, et voilà à l’inverse que l’ascendance de l’Etre se fait, affranchi de la pesanteur par la beauté et hissé en un éclair aux portes de l’Eden.
La Nature reine et vierge plutôt que l’homme et sa Culture nauséabonde. La Nature encore plutôt que la Technique stérilisante. L’antinomie est toute trouvée, et tellement forte.
Le Yann Arthus se reproduit vite, conquérant à grand renfort de litanies catastrophistes éculées et de données statistiques ultra précises, les esprits encore insouciants et élastiques de ces jeunes « en quêtes de sens ». La bonne volonté est là, la méthode est plus discutable.
Derrière le discours écologiste érigé au stade suprême de la pensée morale et unique, les petites et les grandes stratégies marketing se tissent. François-Henri-Pinault le sait : l’investissement écolo aujourd’hui, c’est un truc plus que rentable lorsque l’on veut donner du sens à ses affaires. Au détour du générique, la rentabilité attend. Dans un étrange ballet aérien, les marques du groupe virevoltent, s’entremêlent puis s’agrègent enfin sous nos yeux stupéfaits, dessinant bientôt le titre du documentaire : H-O-M-E.
Le paradoxe est total et le film qui par la suite régurgitera par cent fois ce consumérisme génétique si propre à l’espèce humaine, n’aura finalement plus aucune légitimité à être tout simplement.