A quel point les Européens sont-ils... européens ?
Cette année, nous célébrons les cinquante ans du Traité de Rome. Le 9 mai est devenu le jour de la fête de l’Europe en commémoration de la Déclaration de Schuman prononcée en 1950. Celle-ci annonçait la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier qui nécessitait que les gouvernements français, allemand, italien et des pays du Benelux délèguent une partie de leur souveraineté à une haute autorité, supranationale et indépendante.

Dans le traitement médiatique du débat sur la relance de l’UE et de manière plus générale, on a tendance à répertorier les Etats membres selon qu’ils sont proeuropéens ou eurosceptiques. Cette caricature binaire ne laisse pas place à la nuance.
Par ailleurs, on a parfois l’impression que l’attitude d’un gouvernement par rapport à l’UE n’est pas en adéquation avec le sentiment de sa population. Ainsi, la Pologne est souvent pointée du doigt pour son euroscepticisme. Mais, il y a une grande différence entre le gouvernement des frères Kaczinsky et la population qui est parmi la plus euro-enthousiaste (62 % estime que l’appartenance à l’UE est une bonne chose) et qui souhaite que davantage de décisions soient prises au niveau européen ! A contrario, la France désignée comme moteur de l’UE se caractérise par un taux de 50 % d’évaluations favorables auprès de la population (sondage Eurobaromètre d’automne 2006). Les Autrichiens, les Finlandais se trouvent en bas de classement et sans surprise, les Britanniques ferment la marche (1 personne sur 3 satisfaite).
A partir d’une série de domaines, essayons d’avoir une idée plus précise de l’attachement à l’égard du projet européen. Ces domaines relèvent :
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de l’émotionnel : l’appartenance à l’UE est-elle une bonne chose ?
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du vécu au quotidien de l’Europe : fait-elle partie de nos discussions ? Sait-on réellement de quoi il s’agit (à partir de trois questions simples) ?
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du respect des engagements concrets pris envers les autres Etats membres et dans l’intérêt général de l’UE : le degré de transposition des directives liées au marché intérieur (car si les Etats ne remplissent pas leurs devoirs, il y a des « trous » dans le marché intérieur qui ne peut alors fonctionner pleinement), la santé des finances publiques (déficits budgétaires, moyenne sur 2004-2006 ; cf. le vieillissement démographique et les externalités dans une zone monétaire) ;
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de la manière dont on conçoit idéalement l’Europe et qui traduit une volonté d’aller vers davantage de fédéralisme ou de se retrancher derrière ses frontières nationales : veut-on que davantage de décisions soient tranchées au niveau européen en matière de croissance économique (gouvernance économique), de lutte contre le chômage et de protection des droits sociaux (Europe sociale), du rôle de l’UE en tant que promotrice de la paix et de la démocratie dans le monde (Europe politique), d’environnement et de développement durable...
Pour chacun de ces critères, chaque Etat membre est coté en fonction des données publiées par Eurostat, l’Eurobaromètre, la DG marché intérieur.
La multiplication de ces cotations donne un score global qui permet d’établir un classement en fonction de leur attachement relatif (c’est-à-dire par rapport aux autres Etats membres) à l’Europe (1 = le plus européen ; 25 = le moins européen). La Bulgarie et la Roumanie ne sont pas encore intégrées faute de données disponibles.
Les enseignements (voir tableau 1)
- Le Danemark est le pays le plus européen. Il est exemplaire pour la majorité des critères. Mais, on pourrait dire qu’il est « procéduralement » et « intellectuellement » européen ! Dès qu’un engagement est pris, dès qu’une directive est passée, on s’y conforme même si on n’est pas toujours d’accord. Les Danois sont relativement bien informés sur l’Europe et ils en parlent fréquemment entre eux. Cependant, ils ne sont pas « émotionnellement » européens dans la mesure où pour eux, le statu quo est une bonne solution : ils estiment qu’il ne faut pas donner davantage de pouvoirs à l’UE pour régler toute une série de problèmes qui pourtant ignorent les frontières (environnement, santé, croissance, crime organisé...). (NB : les Suédois et dans une moindre mesure les Finlandais présentent le même profil à la nuance près qu’ils se sentent moins européens.)
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La Belgique n’arrive qu’en 11e position. C’est paradoxal dans la mesure où les Belges sont parmi les premiers (4e) à être contents d’être dans l’UE. En fait, deux critères abaissent fortement sa moyenne : la Belgique fait partie des pays dans lesquels un grand nombre de personnes ne parlent jamais de questions européennes dans leur cercle familial, d’amis, etc. Un comble pour le pays qui abrite la capitale de l’Europe et d’où a émané la mobilisation sur la directive Bolkestein (« le soufflé est retombé »). Aussi, notre pays se caractérise par d’importants manquements par rapport au respect des directives « marché intérieur ». Soit le Royaume enregistre des délais de transposition très longs, soit il transpose mal ce qui nous conduit devant la CJCE... Sans cela, la Belgique serait en 4e position !
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Bonne dernière, l’Espagne. Les Espagnols se sentent viscéralement européens mais sans trop savoir pourquoi (cf. connaissance de base sur l’UE, discussion sur des sujets européens). En dépit de l’image qu’on peut avoir du pays, ce ne sont pas les Espagnols qui vont prendre des initiatives pour faire avancer l’UE (2e critère).
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Le couple franco-allemand présenté comme le moteur de l’UE pendant de nombreuses années est relativement homogène des deux côtés du Rhin. Ces pays sont relégués en bas du classement aux 20 et 21e places, juste devant le « grand ennemi de l’Europe » : le Royaume-Uni ! Les Français et les Allemands sont dans une position intermédiaire concernant leur évaluation de l’Europe. Ils sont en moyenne un peu plus fédéralistes mais pas beaucoup plus. Leurs connaissances sur l’Europe sont relativement mauvaises mais les Allemands en parlent beaucoup contrairement aux Français.
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Certains nouveaux Etats membres sont, en dépit des quinze années de dures réformes qu’ils ont traversées pour rejoindre l’UE, toujours attachés au projet européen. Ainsi, certains se situent parmi les plus positifs de leur participation à l’UE : Lituanie (2e), Pologne (5e), Slovaquie (8e). Les autres critères leur sont parfois moins favorables, en particulier le critère budgétaire. Malgré cela, Chypre, la Slovaquie, la République tchèque et la Slovénie restent parmi les plus européens (3e, 4e, 7e et 8e respectivement).
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Les Pays-Bas qui ont avec la France rejeté le Traité constitutionnel se déclarent parmi les plus positifs envers le projet européen (3e !), ils en parlent d’ailleurs beaucoup mais leurs connaissances ne sont pas d’un haut niveau.
Ceci dit, certains critères peuvent ne pas rendre fidèlement compte de la manière dont l’Europe est appréciée, respectée. Ainsi, les Etats fédéraux auront plus de difficultés que les autres à boucler un budget en équilibre parce qu’outre le gouvernement fédéral, les entités fédérées disposent de certaines compétences. Idem pour la transposition des directives relatives au marché intérieur quand plusieurs gouvernements doivent procéder à l’exercice de la transposition.
Aussi, dans les petits Etats, il est normal que l’UE soit plus présente dans les discussions parce que l’influence d’un pays dépend de sa taille. Cela risque également d’impliquer que le pays en question souhaite que l’UE s’affirme davantage via un plus grand nombre de décisions prises à ce niveau.
Les critères sont alors recalculés en fonction d’une pondération afin de tenir compte des difficultés liées aux Etats fédéraux et de la taille du pays. Les pondérations peuvent jouer.
Quelques enseignements rectifiés (voir tableau 2)
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Comme la Belgique cumule ces deux éléments, l’introduction de la pondération lui est globalement favorable même si l’élément « taille » la pénalise pour le critère « discussion sur l’UE ». Elle arrive au 2e rang juste après le Danemark qui reste à sa position de « leader ».
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La correction fait grimper l’Allemagne de 13 places pour arriver 7e. Le décalage avec la France apparaît nettement.
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L’Italie rétrograde à la dernière position et bien que l’Espagne soit un Etat fédéral, elle reste dans le fond du classement. Le caractère îlotier peu concerné par l’Europe du Royaume-Uni ressort encore plus.
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La Slovaquie (5e), Chypre (6e), la Lituanie (9e) figurent parmi les mieux classés.
Conclusions
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Les plus européens ne sont pas toujours ceux qu’on croit ou qui se présentent sous cette étiquette (et inversement).
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Le terme même de « proeuropéen » peut s’appréhender de différentes manières : se réfère-t-on au classement global ou aux critères individuels d’évaluation de l’appartenance à l’UE, de sa volonté de voir une Europe fédérale émerger ?
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On pourrait affiner en parlant de « loyauté fédérale », « loyauté envers l’UE » : on s’y conforme même si on n’est pas d’accord ou qu’on ne ressent pas d’attache forte pour l’Europe (Danemark). L’Europe apparaît alors de plus en plus comme un projet pragmatique au détriment d’un projet de long terme impliquant de grandes ambitions politiques.
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Ces deux tableaux présentent un classement différent. La vérité doit se trouver quelque part entre les deux. Ceci dit, il y a quand même des constantes que l’on prenne ou non les pondérations en considération. Au sommet : Danemark, Grèce, Luxembourg, Slovaquie, Chypre, République tchèque. Au fond : France, Italie, Royaume-Uni.
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Ce genre de constat pourrait avoir des incidences le jour où il faudra trouver des partenaires pour lancer des coopérations renforcées ou pour créer des alliances politiques.
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