Affaires troubles de la CIA en Bosnie
Predrag Ceranic, ancien chef des services secrets serbo-bosniaques se met à table.
Predrag Ceranic était un agent du renseignement de la République Serbe de Bosnie. Ancien collaborateur de Radovan Karadzic, il a rompu avec ce dernier en 1997.
Le mois dernier, il a été démis de son poste par le haut représentant de l’ONU pour la Bosnie-Herzégovine, Miroslav Lajcak, parce que soupçonné d’être à l’origine de la fuite permettant au criminel de guerre Stojan Župljanin, recherché par le TPI, d’échapper à la police serbe. En désaccord avec cette décision et doutant des vraies raisons de son licenciement, l’ex-agent se livre au journal Slobodna Bosna (Bosnie Libre).
Il raconte qu’en 2000, alors qu’il était chef des opérations du renseignement serbo-bosniaque, la CIA s’adresse à lui pour retrouver deux véhicules volés à Tuzla que leurs jeunes agents auraient laissés dans la rue. Ils contenaient du matériel dernier cri dont les Américains craignaient qu’il ne tombe aux mains des Russes. Ceranic a mis ses meilleurs hommes sur le coup et les véhicules furent rapidement retrouvés à Novi Grad.
Mais les fonctionnaires ont aussi trouvé que les véhicules n’avaient pas du tout été volés à Tuzla, mais à Podgrad, près de Pale, ancien état-major de Radovan Karadzic, recherché par le TPI pour crimes contre l’humanité. Deux agents de la CIA auraient alors réussi à s’approcher de la maison du criminel de guerre, vite repérés par des gardes qui les prirent à revers, les désarmant avant de les abattre. Les armes furent récupérées, l’équipement et les effets personnels dissimulés et les véhicules vendus en Bulgarie.
Les renseignements serbo-bosniaques retrouvèrent l’équipement et en informèrent aussitôt les Américains. Mais ceux-ci ne montrèrent curieusement que peu d’enthousiasme pour récupérer ce matériel de pointe dont ils craignaient pourtant qu’il ne tombe en des mains des renseignements russes.
Du coup, Ceranic soupçonne les Américains de se livrer en Bosnie à un autre jeu que la simple traque des criminels de guerre. Ce jeu durerait encore aujourd’hui parce que, déclare-t-il, « les têtes tombent ». Il se dit prêt à réitérer sa déposition devant une commission du Sénat américain.
Pourquoi la CIA fait tout pour garder secret leur malheureux essai de capturer Karadzic, où ils perdirent deux agents, quand certains les soupçonnent justement de protéger ce criminel de guerre ? En effet, on parle beaucoup en ce moment du « gentleman’s agreement » entre Karadzic et Richard Holbrooke, le négociateur américain lors des accords de Dayton en 1996. Ce dernier aurait promis à Karadzic la protection en échange de son retrait de la vie publique. Alors, quelles sont les « têtes qui tombent » ? Ceranic parle-t-il des dommages collatéraux d’une guerre intestine à la CIA, entre ceux qui ont une réelle volonté de capturer les criminels et ceux qui veulent honorer l’accord entre Holbrooke et Karadzic ?
Mais Ceranic nous livre en parallèle une autre histoire : celle de l’arme nucléaire que Karadzic voulait acheter aux Russes en 1995, pour en finir à sa manière avec la guerre en Bosnie. Il avait en effet acquis d’un marchand d’armes libérien et pour la somme de 6 millions de dollars, une valise contenant une « bombe à neutrons portative ». Restait à en verser 60 après vérification du contenu.
Toutefois, après avoir reçu le container à Pale, Karadzic découvre qu’il contient en fait une sorte de gel, alors qu’il s’attendait à voir quelque chose ressemblant à des balles de ping-pong. Il envoie ses aides à Moscou pour qu’ils y vérifient qu’il s’agit bien d’une bombe à neutrons, dont le principe actif serait un matériau appelé « mercure rouge ». A leur retour, il s’avère que Karadzic avait acheté une valise de... gomina pour 6 millions de dollars !
A l’appui de son histoire, Ceranic produit un document montrant que l’ancien ministre de la Défense des Serbes bosniaques, Milan Ninkovic, avait effectivement retiré 6 millions de dollars en 1995 à Banja Luka.
Ces révélations tombent dans le contexte orageux créé par l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Serbie et la radicalisation de la République serbe de Bosnie. Il devient en effet de plus en plus fréquent d’y croiser les portraits de Karadzic, de plus en plus considéré comme un héros par la population.
Rappelons tout de même que Karadzic, « grand poète » à ses heures, est recherché par le Tribunal pénal international pour (entre autres) crimes contre l’humanité, et pas seulement à cause de ses poèmes...
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