Aldo Moro, martyr de l’Italie de plomb face au communisme sanguinaire
« Concludiamo quindi la battaglia iniziata il 16 marzo, eseguendo la sentenza a cui Aldo Moro è stato condannato. Portare l'attacco allo stato imperialista delle multinazionali ! Attaccare liquidare disperdere la DC asse portante della controrivoluzione imperialista ! Riunificare il movimento rivoluzionario costruendo il partito comunista combattente ! Per il Comunismo. » (dernier communiqué des Brigades rouges du 5 mai 1978).
L’ancien Président du Conseil italien Giulio Andreotti vient de mourir le 6 mai 2013 à 94 ans. J’y reviendrai plus tard mais la coïncidence a voulu qu’il ait tiré sa révérence trois jours avant un sinistre anniversaire.
Le 9 mai 1978, il y a trente-cinq ans, un de ses prédécesseurs de la démocratie-chrétienne, Aldo Moro, était assassiné d’une balle dans la nuque après cinquante-cinq jours emprisonné par les Brigades rouges. Il a été retrouvé dans le coffre d’une voiture exactement à mi-distance du siège du parti communiste italien (PCI) d’Enrico Berlinguer (1922-1984) et du parti démocrate-chrétien dont Aldo Moro était le président depuis 11 octobre 1976.
Les auteurs de cet horrible assassinat sont aujourd’hui vivants et en liberté en toute légalité, en particulier Mario Moretti (67 ans), qui avait reconnu en 1993 avoir assassiné lui-même Aldo Moro et qui, malgré sa condamnation à la prison à vie, jouit d’un régime de semi-liberté depuis 1998.
Né le 23 septembre 1916, Aldo Moro était un universitaire de grand renom, juriste réputé de la procédure pénale, et l’un des hommes politiques italiens de tout premier plan. Plusieurs fois ministres (notamment aux Affaires étrangères), il dirigea cinq gouvernements italiens, du 4 décembre 1963 au 24 juin 1968 et du 23 novembre 1974 au 29 juillet 1976. Son successeur, en 1976, fut Giulio Andreotti, qui avait, lui aussi, déjà dirigé le gouvernement.
Les élections législatives du 20 juin 1976 attribuèrent la grande partie de l’électorat à deux partis, la démocratie-chrétienne, avec 38,7% (262 sièges sur 630), et le PCI, avec 34,4% (228 sièges). Le PCI faisait un bond de plus de 7% par rapport aux élections précédentes du 7 mai 1972. Mais aucun des deux, avec leurs alliés, n’avait obtenu une majorité absolue.
Le 16 mars 1978, Giulio Andreotti allait prononcer son discours de confiance à la Chambre des députés pour son quatrième gouvernement. Or, pour la première fois de l’histoire politique, c’était un gouvernement soutenu à la fois par la démocratie-chrétienne et par le PCI, dans le cadre du fameux "compromis historique". Aldo Moro, qui dirigeait le principal parti de centre droit, avait déjà intégré dans sa majorité le parti socialiste italien (PSI), ce qui était déjà nouveau. Par la suite, Bettino Craxi (1934-2000) fut le premier Président du Conseil issu du PSI, du 4 août 1983 au 17 avril 1987.
Or, le soutien gouvernemental d’un parti communiste ouest-européen était fortement contesté à la fois par l’Union Soviétique et par les États-Unis (on se rappelle comment les Américains avaient accueilli, quelques années après, en juin 1981, l’arrivée des quatre ministres communistes en France). Ce communisme nouvelle version avait tout pour être combattu. Notamment par les forces les plus extrémistes.
Ce 16 mars 1978, en se rendant à la Chambre des députés, Aldo Moro fut victime d’un véritable guet-apens. Ses cinq gardes du corps furent massacrés, et lui fut enlevé et détenu dans des conditions difficiles pendant cinquante-cinq jours. Les Brigades rouges, à l’origine de cet enlèvement, ont réclamé la libération de certains de leurs camarades criminels (treize personnes en tout). Le gouvernement italien a alors décidé de refuser de négocier avec les ravisseurs. L’histoire s’est terminée tragiquement par la "condamnation à mort" et "l’exécution", autrement dit, le lâche assassinat d’Aldo Moro.
Ceux qui, à l’époque, suivaient les actualités, même en France, ont dû ressentir cette profonde émotion à l’annonce de la conclusion fatale. Le meurtre d’Aldo Moro fut l’un des rares assassinats, avec celui de John F. Kennedy à Dallas le 22 novembre 1963, d’un homme politique de premier plan d’après-guerre.
Ce fut le pape Paul VI lui-même qui présida la messe d’enterrement d’Aldo Moro. Ce dernier, qui avait noué des liens d’amitié très anciens avec Aldo Moro, à l’époque de la lutte contre le fascisme, est lui-même mort quelques semaines plus tard, le 6 août 1978.
Après cet assassinat, la question du "compromis historique" fut définitivement écartée et les Brigades rouges définitivement discréditées auprès de ceux qui voyaient une juste cause dans leur (détestable) action. Au cours de leurs attentats terroristes, les Brigades rouges ont commis près de cinq cents meurtres entre 1969 et 1989.
Le pire, c’est que si la plupart des activistes ont pu être arrêtés et condamnés par le gouvernement italien, certains ont quand même réussi à trouver refuge… en France, grâce à la tolérance insensée de François Mitterrand.
Pendant la captivité d’Aldo Moro, le Ministre de l’Intérieur s’appelait Francesco Cossiga (1928-2010). Il l’avait été dans le cinquième gouvernement d’Aldo Moro et dans les troisième et quatrième gouvernements de Giulio Andreotti. Le 11 mai 1978, il démissionna, deux jours après la découverte du corps d’Aldo Moro, et, très affecté, se déclara « politiquement mort ».
Après les élections législatives du 3 juin 1979, Francesco Cossiga succéda toutefois à Giulio Andreotti à la tête du gouvernement italien du 4 août 1979 au 18 octobre 1980 avant d’être élu Président de la République du 29 juin 1985 au 28 avril 1992. Francesco Cossiga fit adopter une série de mesures pour rendre plus efficace la répression contre le terrorisme rouge, notamment le 15 décembre 1979 en prolongeant la détention provisoire des personnes soupçonnées de terrorisme et en autorisant les écoutes téléphoniques. C’étaient des lois anti-terroristes comme il a pu y en avoir également en France (à l’époque de la loi Sécurité et Liberté défendue par Alain Peyrefitte).
Il existe encore beaucoup d’ombre et de doutes sur la raison principale du meurtre d’Aldo Moro. Certains accusent les États-Unis d’avoir tout fait pour faire échouer les négociations avec le commando (que certains soupçonnent même d’avoir été infiltré par la CIA). D’autres considèrent que l’élimination de l’aile de centre gauche de la démocratie-chrétienne laissait à Giulio Andreotti l’hégémonie de sa tendance anticommuniste. Francesco Cossiga aurait reconnu que le gouvernement italien avait préféré lâcher Aldo Moro plutôt que laisser le PCI avancer ses pions, même si celui qui faisait le plus peur aurait paradoxalement été Bettino Craxi, le chef du PSI.
Cependant, rien n’a jamais été démontré et les neuf communiqués des Brigades rouges montrent à l’évidence que c’était bien au nom du communisme qu’Aldo Moro, supposé représentant des "forces impérialistes", a payé de sa vie la stupidité de cruels terroristes…
Aldo Moro martyr, vraiment ? Il fait désormais l’objet, depuis le 26 septembre 2012, d’un dossier d’instruction (un procès canonique) pour une éventuelle béatification par l’Église catholique. Pour étayer les faits, les défenseurs de la cause d’Aldo Moro ont rapporté qu’il avait montré devant témoin une attitude de pardon vis-à-vis de ses ravisseurs et que le cardinal Francesco Colantuono (disparu en 2003) lui avait attribué sa survie lors d’un attentat au Zimbabwe.
Quant à Enrico Berlinguer, mort prématurément le 11 juin 1984 d’une attaque cérébrale, il n’aura jamais réussi à placer le PCI au pouvoir. Ce n’est que bien après les aventures berlusconiennes qu’un ancien du PCI est devenu Président du Conseil (Massimo d’Alema, du 21 octobre 1998 au 25 avril 2000) et qu’un autre ancien du PCI est devenu Président de la République (Giorgio Napolitano, depuis le 15 mai 2006).
Quant au nouveau Président du Conseil Enrico Letta, il est peut-être celui qui a réussi pour la première fois à concilier les deux grands partis, dans un héritage du compromis historique.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (8 mai 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Giorgio Napolitano.
Enrico Letta.
Giulio Andreotti (à venir).
Le compromis historique.
Retour sur un assassinat, trente ans plus tard.
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