L’octroi de l’aide juridique aux personnes de faibles ressources revient trop cher à l’Etat. Cette aide est doublement inconfortable pour le gouvernement, car les pauvres l’utilisent pour gagner des procès contre lui. Concernés sont surtout des travailleurs pauvres et des chômeurs relevant de la loi Hartz 4, mais plus général toute personne qui ne dispose que de faibles revenus.
Une justice accessible à tous, que l’on soit riche ou pauvre, c’est bien naturel pour un pays démocratique faisant partie des puissances économiques des G8. Le dispositif qui réalise cette accessibilité est l’aide juridique, un acquis social bien ancré en Allemagne et dans bien d’autres pays. Mais, à en croire le Conseil fédéral, les pauvres en abusent : le 10 octobre 2008, il a décidé un projet de loi
[1] qui vise à rendre plus difficile l’octroi de cette aide permettant aux indigents d’avoir un conseil ou une assistance juridique professionnelle quand ils en ont besoin. Maintenant c’est au Parlement fédéral de s’en occuper.
La justification de ce projet est le coût qui a considérablement augmenté pendant les dernières années. Dans les années 80, cette aide a coûté entre 14 et 18 millions de mark (7 à 9 millions d’euros), or en 2006 les dépenses pour l’aide juridique s’élèvent à 85 millions d’euros.
[2] Ce qui est intéressant à ce sujet c’est que le Conseil fédéral avance seulement l’argument du coût pour l’aide juridique. Il omet de dire deux choses :
1)
C’est l’Etat qui est à l’origine de ces dépenses[3], tout d’abord avec les lois Hartz qui sont mal rédigées et qui laissent un large espace d’appréciation aux administrations, surtout aux
Arge (fusion ANPE et service social) et aux
Jobcenter. Avec leurs décisions concernant l’allocation de logement, l’allocation de chômage, l’aide au chauffage, au déménagement, à la scolarité des enfants des parents pauvres, etc., elles diminuent ou suppriment des aides d’un coup de crayon pour un oui ou pour un non. Pour les citoyens lésés, l’aumône refusée est la plupart du temps existentielle, et faire appel à la justice est la dernière possibilité de limiter les dégâts.
(A titre d’exemple juste une anecdote[4]. On est en octobre 2006. Un salarié apprend son licenciement le vendredi 1er septembre 2006. D’après le paragraphe 37b de la législation sociale III, il a trois jours pour s’inscrire à la Bundesagentur für Arbeit - BA - agence pour l’emploi. S’il ne respecte pas ce délai, il sera sanctionné par une suspension temporaire de l’allocation de chômage. Le salarié s’inscrit le mardi 5 septembre. La BA le sanctionne. Pourquoi ? D’après elle, le licencié s’était inscrit le quatrième jour après son licenciement, c’était donc un "retard". L’ex-salarié fait opposition au tribunal social qui lui donne raison. Le tribunal explique que l’on ne peut respecter le délai que si l’administration est ouverte, or le week-end et les jours fériés, elle est fermée. Par conséquent, le week-end ne doit pas être compté dans le délai des trois jours.
Je ne raconte cette anecdote seulement pour illustrer que le bon sens et un minimum d’intelligence auraient suffi pour comprendre cette banalité. Pourquoi faut-il un procès pour faire comprendre à une administration que l’on ne peut pas communiquer avec elle quand elle est fermée ? Je m’aventure à avancer le chiffre de 50 % de décisions conflictuelles de ce type, des conflits en principe complètement évitables. C’est à l’Etat de régler le problème de défaut de formation - pour ne pas dire de mauvaise foi - de ses agents et d’imprécision de ses propres lois, et non aux citoyens d’en faire les frais.)
2)
Le Conseil fédéral ne mentionne pas les sommes d’argent qui résultent des procès que l’Etat a perdus ou va perdre. C’est l’argent dû aux citoyens dont l’Etat veut se défiler, or c’est une intention inavouable. Mais améliorer ou supprimer les lois Hartz est tout aussi impensable ; réprimer les victimes de ces lois est politiquement plus facile que de changer de politique.
Pour avoir une idée très approximative de quelle somme il peut s’agir, faisons un calcul simple :
En 2007, les tribunaux sociaux ont enregistré 153 858 plaintes contre des décisions Hartz
[5]. Presque la moitié sont couronnées de succès. Imaginons une valeur de litige de 1 200 euros (un litige de 100 euros par mois pour une année, estimation très modeste. Il est probablement plus élevé).
44 % x 153 858 x 1 200 euros = 81 237 024 euros.
Le litige équivaut la somme engendrée par les frais de justice payés par l’aide juridique mentionnée plus haut (85 millions euros).
(N’oublions pas que des banques qui par leur spéculation se sont manœuvrées dans la mouise obtiennent de l’Etat rapidement des milliards ou dizaines de milliards d’euros d’aide !)
Comment cette nouvelle loi va-t-elle rendre l’accès à l’aide juridique plus difficile ?
La loi prévoit un examen plus sévère pour contrôler si le demandeur de l’aide juridique remplit bien les conditions d’accès. Le deuxième obstacle est tout simplement l’argent. Jusqu’alors il y avait une franchise de 10 euros à payer ; elle sera désormais de 30 euros. Pour certains, cette somme peut sembler très modeste, mais il ne faut pas oublier que cela concerne en majorité des gens qui vivent déjà en dessous du seuil de pauvreté, et qui viennent de subir une diminution ou suppression de leurs moyens de subsistance. Dans ces conditions, sortir 20 euros de plus n’est pas négligeable, cela représente un réel frein.
Les députés Montag et Kurth (Les Verts) parlent d’une tentative de rendre difficile voire impossible aux plus faibles l’accès aux droits élémentaires d’un Etat de droit. La vice-présidente Mme Kipping (Die Linke) reproche aux initiateurs du projet de loi de s’être éloigné de la réalité de la vie des gens. En revanche, je n’ai rien trouvé de la part du SPD, cogouvernant dans la grande coalition SPD-CDU/CSU, ce qui n’est pas très étonnant. C’est le SPD sous le chancelier Schröder qui a mis en œuvre cette injustice qui s’appelle Hartz, et ce n’est pas maintenant que le SPD va se détourner de la plus importante régression sociale de l’après-guerre. Tant mieux si on va mener la vie aux "Hartzis" plus dur, penseront les partisans SPD du plan Hartz.
Encore le 17 septembre 2008, la Cour constitutionnelle fédérale a accordé l’aide juridique à une plaignante[6] qui, après une plainte sans succès contre le montant faible des prestations dans le cadre de Hartz 4, veut plaider sa cause à la plus haute juridiction de l’Etat. C’est le forum des sans-emploi qui a donné cette information à Bonn. Les hauts juges ont transmis le recours constitutionnel de la plaignante au Conseil d’Etat, au Parlement fédéral, au gouvernement fédéral, à tous les gouvernements des länder et à la Bundesagentur für Arbeit pour donner à tous les protagonistes l’occasion de prendre position.
Le fait que les plus pauvres puissent saisir la plus haute juridiction de l’Etat pour défendre leurs droits doit déplaire à pas mal de monde.
Un premier obstacle d’accès à la justice contre les chômeurs a été monté le 26.03.2008[7]. Il restreint la possibilité de faire appel en cas d’échec en première instance. L’ancienne loi exigeait un litige minimum de 500 euros concernant des "actes administratifs", et à un litige minimum de 5 000 euros de remboursement. Depuis le 26.03.2008, les sommes minimales s’élèvent à 750 resp. 10 000 euros
[8]. Si aujourd’hui un chômeur a perdu en première instance, estimant avoir droit à un remboursement de 7 000 euros, il peut désormais s’asseoir dessus pour de bon.