Arnaque au Parlement européen de Strasbourg ?
La ville de Strasbourg est dans de sales draps ! Le Parlement européen l’accuse d’avoir tenté de l’arnaquer de 29 millions d’euros lors d’une vente d’immeubles, et d’avoir systématiquement surfacturé depuis vingt-cinq ans les loyers qu’elle percevait pour la location de bureaux. L’affaire fait scandale à Bruxelles et les délices d’une majorité d’eurodéputés qui aimeraient en finir avec les navettes entre la capitale belge et Strasbourg, où se déroulent une fois par mois les sessions plénières. Je le raconte brièvement ce matin dans Libération. Voici maintenant les détails de cette affaire croquignolette.
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut savoir que, depuis plusieurs années, le Parlement s’est lancé dans une politique de rachat systématique des bâtiments qu’il utilise à travers l’Union : comme il a trois sièges (Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg) et des représentations dans les vingt-cinq Etats membres, cela permet d’économiser en loyers et frais financiers et de réaliser des investissements intéressants. Gérard Onesta, le vice-président vert de l’Europarlement chargé de la politique immobilière, chiffre l’économie totale depuis sept ans à environ 600 millions d’euros. Cette fois, le Parlement a voulu racheter deux immeubles de bureaux (IPE 1 et IPE 2, de leurs petits noms) qui jouxtent l’hémicycle flambant neuf de Strasbourg (qui a déjà été racheté en 2004 pour 445 millions d’euros). Depuis 1981, date de leur achèvement, il les louait 10,5 millions d’euros par an à la ville de Strasbourg. En réalité, il s’agissait d’une sous-location : le promoteur et propriétaire est la SCI Erasme, qui appartient à un fonds de pension néerlandais des ouvriers du bâtiment, qui les loue à la ville. Un schéma d’autant plus compliqué que le terrain sur lequel reposent ces immeubles est resté propriété de la ville de Strasbourg qui a conclu, en 1979, un bail emphytéotique avec la SCI Erasme : à l’échéance, prévue en 2047, les immeubles de bureaux lui reviendront en pleine propriété. Le Parlement a donc logiquement proposé à la ville de se joindre aux négociations avec la SCI Erasme, ce qu’elle a refusé. Pour Fabienne Keller (maire de Strasbourg), il s’agit d’une affaire qui ne regarde que le Parlement et la SCI Erasme. Elle s’est simplement engagée à céder pour un euro symbolique le terrain sur lequel sont construits les immeubles (alors qu’ils sont estimés à 4 millions d’euros), une pratique courante, et à ne pas demander d’indemnité pour la résiliation du bail emphytéotique. Le compromis de vente entre le Parlement et la SCI a finalement été conclu pour 136 millions d’euros (120 millions d’euros plus 16 millions de travaux à effectuer pour rendre les immeubles conformes aux normes modernes). Le contrat final devait être signé le 15 mars dernier.
Mais le 7 mars, le Parlement découvre que la ville et la SCI Erasme ont négocié en parallèle dans le plus grand secret. Aux termes de l’accord conclu, la SCI s’engage à verser une indemnité de 29 millions d’euros à la ville pour prix de son renoncement au bail emphytéotique (et donc à la propriété des immeubles). Autrement dit, la mairie a menti au Parlement, puisqu’elle lui fait payer en réalité une indemnité de résiliation du bail. Le sang des parlementaires ne fait qu’un tour : si on soustrait les 29 millions en question, le prix de vente n’aurait pas dû dépasser 107 millions d’euros ! Gérard Onesta décide alors de tout bloquer. Au passage, il découvre que la ville surfacturait depuis 1981 de 25% le prix de la location des deux immeubles qu’elle payait à la SCI. « On nous a dit que c’était une assurance contre le risque de départ du Parlement dont le siège n’était pas définitivement fixé », raconte Onesta. Le problème est que le siège est fixé à Strasbourg depuis 1993 et qu’on ne comprend pas pourquoi la ville, successivement dirigée par la socialiste Catherine Trautmann puis par l’UMP Fabienne Keller, a maintenu ce système.
« Nous voulons la vérité des prix », clame Onesta qui dénonce le « Fort Chabrol » qu’est devenue la mairie. L’eurodéputé populiste, l’Autrichien Hans-Peter Martin, n’hésite pas à parler de « corruption » dans un article publié par le quotidien populaire à grand tirage Bild Zeitung, ce qui lui vaut d’être poursuivi en diffamation par la ville de Strasbourg. Josep Borrell, le président du Parlement a, lui, demandé à l’Etat français d’intervenir « pour trouver une solution ». Le Parlement envisage même de saisir la Cour des comptes européennes et l’Olaf, l’Office de lutte anti-fraude de l’Union. Quoi qu’il en soit, il semble bien que Strasbourg ait traité le Parlement européen comme une vache à lait. Cela étant, on peut se demander pourquoi le Parlement ne s’est pas posé davantage de questions sur le montant des loyers qu’il versait, ou sur le prix qu’il se préparait à payer pour l’achat des deux immeubles...
Jean Quatremer est journaliste
4 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON