Bunga bunga à la trappe ?
À l’heure de l’omniprésente exigence de rigueur budgétaire frappant les catégories les plus fragilisées du pays, dans une Italie submergée par une vague de scandales sans précédent, plus grave encore dans son ampleur que lors de la célèbre opération Mains propre, il est en effet peu probable que ce Grand Marchandage contribue à endiguer la crise de légitimité morale et politique dont souffre dramatiquement, depuis plusieurs décennies déjà, l’appareil d’Etat transalpin.
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La reprise des débats judiciaires relatifs au Rubygate, ainsi que les récents témoignages de jeunes participantes aux soirées Bunga Bunga, ne doivent pas masquer une vérité alarmante : le procès mené par les instances judiciaires milanaises pourrait, par volonté politique, ne pas être mené à son terme. Le gouvernement dit technique de Mario Monti négocie en effet depuis plusieurs semaines avec les partis politiques de centre-gauche et de centre-droite qui le soutiennent, dont le Parti de la Liberté de Silvio Berlusconi, une refonte de l’ensemble des textes visant à lutter contre les différents délits de corruption. Dans ce cadre, un marchandage politique est actuellement en cours afin de tirer Silvio Berlusconi hors des griffes de ses juges en contrepartie du maintien de son appui parlementaire à l’équipe Monti.
Le procès qui se tient en ce moment à l’encontre de l’ancien Premier ministre couvre deux délits : la concussion (une forme d’abus de pouvoir) et la prostitution de mineur. Bref rappel des faits : le soir du 27 mai 2010, Silvio Berlusconi apprend par Michele De Conceicao Santos Oliveira, prostituée brésilienne bien connue des services de police, que Karima El Mahroug, dite Ruby Rubacuori, l’adolescente avec qui il entretient des rapports sexuels tarifés et qui prend part, comme au moins trente-deux autres filles, à des activités de prostitution dans ses résidences personnelles est arrêtée. Connaissant le caractère imprévisible de la jeune femme – en fugue de plusieurs maisons de placement, objet de deux plaintes pour vol et dépourvue de tout document d’identité –, M. Berlusconi craint qu’elle fasse des révélations pénalement concluantes et qui, par la même occasion, terniraient définitivement son image d’homme public. Il abuse alors de sa qualité de président en exercice du Conseil des Ministres pour que l’adolescente soit confiée à une de ses proches, Nicole Minetti, une conseillère régionale co-organisatrice desdits festins érotiques avec Emilio Fede (un journaliste de la Galaxie Berlusconi) et Lele Mora (un manager proche de paysage audiovisuel dirigé par la famille Berlusconi), au lieu d’être dirigée vers une institution d’accueil comme l’avait expressément prescrit la magistrate en charge du dossier. Il est en effet avéré que Silvio Berlusconi a ce soir-là appelé le chef de cabinet du Préfet de police et inventé un prétendu lien de parenté entre la jeune Marocaine et Hosni Moubarak, le président égyptien, afin d’arriver à ses fins. « Si vous ne la libérez pas », a-t-il prétendu, « nous risquons un conflit diplomatique avec l’Egypte. »
En agissant de la sorte, M. Berlusconi a conduit des agents de l’État à contourner la décision du parquet et à confier une mineure sans documents ni domicile fixe, sans source de revenus officielle et sur laquelle pesaient des soupçons de prostitution à une étrangère, et ce sans l’accord de ses parents. Par ailleurs, dès les prémisses de l’enquête se feront jours d’importants soupçons concernant l’existence d’un véritable système visant à recruter des jeunes femmes disposées à se prostituer lors de soirées organisées dans les résidences privées de Silvio Berlusconi. Cet autre volet de l’affaire fait aujourd’hui l’objet d’un procès parallèle, le Ruby bis, à charge de trois autres accusés cités ci-dessus, amis proches du Cavaliere, Nicole Minetti, Emilio Fede et Lele Mora.
Les faits sont donc d’importance. L’inculpation la plus grave pesant pénalement sur Silvio Berlusconi est relative au délit de concussion, pour lequel l’article 317 du Code pénal prévoit une peine pouvant aller jusqu’à douze années d’emprisonnement. C’est cet aspect du procès qui fait aujourd’hui l’objet de négociation entre le centre-gauche, le centre-droit et le gouvernement Monti. L’objectif, nous l’avons dit, est de garantir la stabilité de l’exécutif actuel jusqu’à l’échéance naturelle de la législature, à savoir 2013. Pour y parvenir, l’appui des soixante à septante parlementaires encore fidèles à Silvio Berlusconi est indispensable. La capacité de nuisance de l’ancien premier ministre est donc encore considérable, d’autant que personne n’aurait intérêt à se lancer dans une campagne électorale aux résultats totalement imprévisibles au vu non seulement des exigences financières imposées par l’Union européenne, mais aussi du climat politique délétère pesant aujourd’hui sur la péninsule.
C’est dans ce cadre qu’un accord politique semble se dégager pour fondre le délit de « concussion » dans celui d’ « extorsion » qui requiert, pour être opposable, des actes de menaces et de violences. Or, il va de soi que M. Berlusconi n’a pas exercé d’actes de violence ni même de menace pour obtenir la libération de la jeune prostituée le soir du 27 mai 2010. Il a tout simplement abusé de sa position de pouvoir pour exercer une pression. Si le gouvernement Monti avalisait ce grand marchandage et supprimait de facto du Code pénal le délit de concussion, le Cavaliere serait ainsi tiré d’affaire pour ce volet du procès. Demeurerait alors uniquement sur pied le volet « prostitution de mineur », qui prévoit toutefois des peines largement inférieures et un délai de prescription bien plus court. Autant dire qu’il s’agirait ni plus ni moins d’une nouvelle loi ad personam, cette fois d’inspiration tripartite. Par ailleurs, le siège des débats ne pourrait plus être Milan, où a eu lieu l’abus de pouvoir (le Commissariat), mais serait transféré à Monza, où a été commis le délit de prostitution de mineur (la résidence de Silvio Berlusconi). Tout serait donc à refaire.
Dans ces conditions, comment exiger, comme le souhaitait récemment Mario Monti, que les Italiens s’identifient aux institutions de la République si rien n’est mis en œuvre pour mettre fin au règne de l’amoralité ? À l’heure de l’omniprésente exigence de rigueur budgétaire frappant les catégories les plus fragilisées du pays, dans une Italie submergée par une vague de scandales sans précédent, plus grave encore dans son ampleur que lors de la célèbre opération Mains propre, il est en effet peu probable que ce Grand Marchandage contribue à endiguer la crise de légitimité morale et politique dont souffre dramatiquement, depuis plusieurs décennies déjà, l’appareil d’Etat transalpin.
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