Comment des sondages sérieux se révèlent illusoires
Il y a quelques jours de cela, prenant son courage à deux mains, le journal le Parisien commandait un sondage à l’institut de sondage CSA, pour tenter de terminer si le « sentiment » des Français, sur le traité de Lisbonne, se révélait en phase avec le vote irlandais, ou bien si au contraire, les Français faisaient corps avec le Président de la République, pour qui, il n’y a évidemment rien à attendre d’autres de l’UE, que le fantastique traité dit de Lisbonne.
Ce sondage faisant apparaître que 56% des Français auraient voté « oui » au traité dit de Lisbonne, si on leur avait permis de s’exprimer, « Sud Ouest » s’empressait, de son coté, de commander un sondage à l’IFOP…Lequel publiait dans la droite ligne, un sondage révélant un tout autre discours : cette fois ci, les Français franchissait la barre majoritaire, en étant à 53% défavorables au traité dit de Lisbonne.
On ne saurait croire que les Français soient à ce point versatiles, qu’ils puissent dire « oui » d’un coté, et « non » de l’autre. Cette contradiction sondagière aura au moins permis de montrer qu’un sondage ne saurait remplacer un sondage, et que si l’on veut vraiment connaître le « sentiment » des Français, il aurait été bon de se préoccuper de cela, avant la ratification, désormais caduque, par le Parlement français.
En réalité, si l’on observe la manière dont ont été réalisés ces sondages, on s’aperçoit rapidement du manque de sérieux des sondeurs, lesquels n’ont même pas respecté les règles essentielles pour obtenir un sondage tenant à peu près la route.
En effet, le sérieux d’un sondage repose en premier lieu sur la désignation d’une méthode ayant fait ses preuves, c’est-à-dire qu’il est important que les sondages (surtout lorsqu’ils portent sur une même question, un même sujet en tout cas) reposent à tout le moins sur une méthode de représentation de la population. L’IFOP et le CSA ayant choisi la méthode des quotas ont peu donc penser qu’il y a effectivement une bonne représentation…Sauf que dans la pratique, et il suffit de le demander à certains sondeurs, l’agriculteur, l’homme de 45 ans, ou l’étudiante, ne veulent pas toujours répondre à une enquête, particulièrement téléphonique. Il faut donc faire « comme si » l’étudiante pouvait avoir par ex vingt cinq ans, ou considérer qu’un viticulteur est un agriculteur, un ouvrier un employé, ou un patron de PME un grand patron du CAC 40. Tous les sondés (et singulièrement les jeunes) qui disposent d’un portable ne peuvent être joints. A l’arrivée, les électeurs les plus modestes, les moins diplômés, les plus jeunes sont quasiment absents des échantillons
Le sérieux d’un sondage, est aussi assuré par la théorie des grands nombres. Pour imager, si vous lancer un dé, six fois, vous avez une probabilité sur six de voir le dé tomber sur le chiffre IV par ex. Plus vous lancez ce dé un grand nombre de fois, plus vous avez en terme de probabilité, une chance de vous rapprocher du résultat désiré. Autrement dit, pour un sondage, plus vous interrogez des personnes, moins vous avez de chance de vous trompez, pour tirer de votre sondage une vision d’ensemble. On estime qu’il faut au moins 1000 sondés pour obtenir un sondage correct, pouvant donner une image de l’opinion commune d’un groupe d’individu à un temps t.
Or, ici, le CSA comme l’IFOP…Basent le sérieux de leur analyse, sur un « taux de représentativité » très insatisfaisant, pour en tirer des conclusions vraiment sérieuses et responsables.
Ainsi, le sondage Ifop pour Sud-Ouest, réalisé par téléphone les 19 et 20 juin, s’est fait auprès d’un échantillon de 960 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas).
De son coté, le sondage CSA pour Le Parisien/Aujourd’hui en France, réalisé par téléphone les 18 et 19 juin (donc un autre jour), s’est fait auprès d’un échantillon de 824 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas).
Dans un cas comme dans l’autre, il y a donc un évident manque de sérieux, dû au constat simple qu’on a ici de très large marge d’erreurs. 40 personnes n’ont pas été sondées pour l’Ifop. 176 pour le CSA. Ces marges d’erreurs sont évidemment importantes…Puisqu’elles modifient très sérieusement le « sentiment » des Français, sur le traité dit de Lisbonne…Même si le taux de représentativité choisi par l’IFOP semble moins critiquable sur ce point, et donc, et même si cela n’est pas confirmé, une valeur peut être plus sérieuse au sondage, qu’à celui du CSA.
S’ajoute à ce manque de sérieux, l’absence de prise en compte « égalitaire » des redressements nécessaires. Ainsi, la candidature de tel ou tel candidat, sera-t-elle plus ou moins relevé, selon le candidat, et selon également l’institut. Pour ex, le chef du FN se voit ainsi « redressé » à chaque élection présidentielle plus ou moins grandement. Tout le monde a pu mesurer, en 2002, à quel point les Instituts avaient prévus l’arrivée de ce dernier au deuxième tour ! Et de même, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont toujours été surévalué, ce qui explique que ces derniers n’aient pas vraiment prévu la « surprise » Bayrou. Cette « cuisine » totalement opaque à laquelle personne n’a accès pour des motifs allégués de « secret de fabrication » ne peut évidemment que fausser le résultat d’un sondage. Quelle est d’abord la valeur scientifique d’un instrument de mesure dont on se refuse à rendre publiques les conditions de fonctionnement ? Et qui peut dire aujourd’hui si éventuellement, les Instituts ont pris en compte le possible malaise des Français à exprimer leur « nonisme » ou au contraire leur « ouitisme » ? Comme ces « redressements » se font à la sauce de chaque Institut, on obtient donc des résultats contradictoires, comme l’actuel sondage, mais par ex aussi ceux traitant de la popularité de l’Exécutif. Si une baisse est perceptible pour le Président, comme pour son Premier Ministre, rien ne permet en revanche de dire que le Président est soutenu par 42%, 21%, ou 37% des Français !
Enfin, les sondeurs occultent une donnée fondamentale : la connaissance. Mais aussi le désir d’expression. On constate en effet depuis plusieurs années, une hostilité de plus en plus grande des Français à être sondé. Il est évident que si l’on interroge les Français sur un traité dont on ne leur a jamais parlé, ni dans la forme, ni dans le contenu, les seules personnes désireuses de s’exprimer, et s’estimant compétentes pour le faire, seront celles intéressées par ledit traité. A l’heure où le pouvoir d’achat est en berne, il est évident que la plupart des citoyens ont autre chose à faire que de répondre à une question finalement sans grand intérêt…Puisque sa révélation n’impliquera aucune introspection, tant nationale qu’européenne.
Si de manière astucieuse, le sondeur, profitant de la faiblesse de son interlocuteur, lui demande s’il est pour ou contre l’Europe, arguant que voter « non » consiste à être contre celle-ci, on peut sans conteste remettre en cause, la « véracité » des sondages.
Le seul sondage qui permettrait de connaître l’avis des Français sur le traité de Lisbonne, s’appelle le référendum. Il n’y en a pas d’autre.
Dessin de Deligne
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