Comment la droitisation de l’Europe s’autoalimente ?
En 2004, une étude européenne[1] coordonnée par un centre de recherche autrichien montrait l’existence d’un lien entre une détérioration des conditions de vie et de travail en Europe et la montée des partis extrémistes, populistes et eurosceptiques. Elle mettait également en évidence la menace que cela représentait en définitive pour la poursuite de la construction européenne.
Pourtant, en dépit de cet avertissement, les politiques libérales à l’origine d’un malaise social persistant n’ont cessé de se déverser sur l’ensemble de l’Europe ainsi qu’en témoignent les illustrations suivants.
L’ex-directive Bolkestein dont le principe du pays d’origine avait nourri le mythe du plombier polonais et qui avait fait couler beaucoup d’encre est finalement entrée en vigueur, même remaniée. Dans le même temps, des arrêts de la Cour européenne de Justice (Laval, Viking et Rüffert) ont relativisé les garanties offertes par les conventions collectives et ont considéré que le droit de grève ne se justifiait qu’à partir du moment où il était « proportionné ». Dans la foulée, aucune majorité n’a pu se dégager dans les institutions européennes pour éviter que le droit social ne soit subordonné à la libre circulation des personnes, des biens et des services.
La flexicurité, concept combinant flexibilité du marché du travail pour les entreprises et sécurité du travail pour les salariés, qui n’était qu’une des dimensions de la Stratégie Européenne pour l’Emploi est monté en puissance si bien qu’elle a cannibalisé cette Stratégie. Or, ce concept, bien plus restrictif que ladite Stratégie qui aborde notamment la qualité du travail et fixe des orientations pour les Etats membres, a davantage penché du côté de la flexibilité.
L’impossibilité de parvenir à un accord sur la révision de la directive sur le temps de travail est un autre symptôme de cette époque marquée par cette volonté de flexibliser. Le Parlement européen refusa en avril dernier de céder face à l’intransigeance du Conseil des Ministres. Une majorité de ceux-ci se cramponnait au maintien de la dérogation à la limite des 48 heures de travail hebdomadaires. Ils insistaient également pour que, contrairement à la jurisprudence de la Cour européenne de Justice, le temps de travail passif (un pompier dans sa caserne ou un médecin en attente d’une intervention) ne soit pas considéré comme temps de travail effectif. Faute d’accord, leur jusqu’au-boutisme leur vaudra une action en justice car 23 d’entre eux ne respectent pas la législation européenne actuelle.
Entre 2004 et 2008, le nombre de travailleurs occupant un emploi temporaire ou un temps partiel alors qu’ils auraient souhaité mais n’ont pu décrocher un emploi permanent (CDI) a augmenté respectivement de 10 % et de 52 % dans la zone euro ! Soit, pas moins de 4,7 millions de travailleurs qui, avant même la crise, étaient mécontents de leur sort car aurait voulu un contrat pour sortir de la précarité ou « travailler plus pour gagner plus ». Ils en ont été empêché car le mot d’ordre est qu’il faut convertir les frais fixes des entreprises en coûts variables pour leur permettre de s’ajuster au plus vite aux nouvelles conditions du marché ou exigences des actionnaires avides de dividendes et de plus-value…
Là où cette étude de 2004 prend tout son sel est qu’elle a été cofinancée par la Commission européenne, elle-même, la même Commission à l’origine de ces projets législatifs et autres plans d’action… Elle a donc joué avec le feu car en appliquant son agenda libéral, elle a attisé la méfiance envers la construction européenne (faut-il rappeler à quel point la directive Bolkestein a plombé en France le débat sur la ratification référendaire de feu le Traité constitutionnel ?). En cela, l’équipe du Président Barroso a détourné la Commission de son rôle établi par le Traité qui est d’être la gardienne de l’intérêt communautaire…
Les derniers sondages en vue des élections européennes semblent confirmer les conclusions de l’étude. En effet, ils indiquent une consolidation des partis d’extrême-droite, eurosceptiques, populistes et souverainistes à l’image du parti islamophobe de Geert Wilders, du British National Party, du FPÖ anciennement présidé par Jörg Haider (source RTBF belgique). C’est inquiétant car ce groupe, fort des 13 % de sièges qu’il occupe aujourd’hui même au Parlement européen joue un rôle d’arbitre entre les conservateurs et Tories britanniques (36,7 %) et les socialistes (27,4 %). Il sera vraisemblablement l’un des deux grands vainqueurs des élections européenne et un clou de plus dans la tombe de l’intégration européenne.
L’autre groupe victorieux serait la droite européenne. Bien que la droite au sens large domine l’Europe comme elle ne l’avait jamais fait jusqu’ici, elle serait encore renforcée à l’issue du scrutin du 7 juin (cf. graphique qui résulte d’un examen de la composition du Parlement européen et de la Commission européenne ainsi que du résultat des élections dans les Etats membres afin de déterminer le rapport de force entre « gauche » et « droite » au Conseil des Ministres[2]). Pourtant, elle n’est pas sans responsabilités dans l’avènement de la crise, les subprimes américains n’ayant servi que de détonateur : sous couvert du « mieux légiférer » hissé comme priorité de l’activité européenne, on n’a en fait plus légiféré et jusqu’à récemment, refusé de contrôler les fonds spéculatifs, les parachutes dorés et plus largement les marchés financiers. D’où les excès que l’on a connu et dont tout le monde paie la note, même si les 8,5 millions de travailleurs qui seront licenciés en 2009 et 2010 n’avaient jusque-là jamais entendu parler de CDO, de vente à découvert ou d’effet levier !
Par ailleurs, 19 Etats membres sont aujourd’hui dirigés par une coalition menée par des partis de droite qui ont montré leur incompétence à élaborer un réel plan de relance européen ambitieux et convaincant. Aucun ne souffrirait d’une perte d’électeurs.
Dominant le Parlement européen et le Conseil européen, la droite risque d’avoir toute latitude pour reconduire le mandat de José Manuel Barroso à la tête d’une Commission européenne pas du tout désavouée, bien au contraire… La boucle est bouclée et une certaine idée de l’Europe – jadis portée par la démocratie-chrétienne – probablement condamnée.
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