Êtes-vous invité au couronnement samedi ?
« [Ce sera] probablement l’événement historique le plus important de notre époque au Royaume-Uni. Pas seulement le plus important, mais le plus étrange, le plus bizarre ! » (Nick Cave).
Qu'est-ce que vous faites samedi ? Êtes-vous invité au couronnement ? Non ?! Pourtant, c'est l'endroit où il faut être. Prenez vite un billet pour le TGV (vous n'atteindrez plus Waterloo) et prenez place. Abbaye de Westminster. À Londres. Assez tôt si possible. Il risque d'y avoir des embouteillages.
Évidemment, tout le monde n'a pas la chance d'être invité par Sa Majesté. Pas de coupe-file, pas de passe-droit comme c'est souvent le cas en terre française. Il n'y aura que 2 000 invités, pas un de plus. Une centaine de chefs d'État étrangers (ou de gouvernement). La famille, bien sûr, nombreuse ; plus elle est grande, plus l'avenir du Royaume est assuré. Même les indélicats. Et quelques amis aussi. Plus deux trois personnalités incontournables. Le chanteur australien Nick Cave, par exemple, qui a dû se justifier auprès de ses fans parce qu'il avait été républicain (il habite en Angleterre).
Les oubliés pourront se rendre le lendemain au grand concert du château de Windsor, mais il faudra aussi avoir une invitation, il n'y aura que 20 000 places.
Si vous n'avez pas cette chance, ne l'ébruitez pas et foncez devant votre téléviseur. Ce jour-là, ce sera programme unique : l'image sera la même, étincelante et triste. Seul le son sera différent. Probablement Stéphane Bern pour le service public. Il n'y aura pas Léon Zitrone ni même un clone sur la Une. Évitez une chaîne d'information continue, l'image y est étriquée, coincée de toute part par d'innombrables informations aussi inutiles que bourrées de fautes.
Certains heureux invités pourraient-ils vendre leur invitation sur eBay ? On se doute de la réponse. Pourquoi assister au couronnement d'un roi quand on est républicain ? C'est une question qui paraît presque stupide et pourtant, elle est là. Pourquoi plusieurs millions de républicains vont-ils suivre à la télévision le sacre d'un monarque anachronique ?
Si vous connaissez ou avez connu une fillette de 5 ans qui se rêvait en princesse, vous avez la réponse. Le rêve fait rêver ! À part les quelques heures à son mariage, point de couronnement, point de robe de princesse. Alors, une telle cérémonie, c'est du rêve par procuration, et en ces temps de grisailles (quoique le ciel dise autre chose), c'est toujours bon à prendre.
Et puis, c'est une cérémonie rare. Il n'y a en pas tous les jours. La dernière a eu lieu ...il y a près de soixante-dix ans, le 2 juin 1953. Samedi, c'est le premier couronnement du XXIe siècle. Le quarantième depuis Guillaume le Conquérant le 25 décembre 1066. En gros, une moyenne de quatre par siècle, mais cela devient aussi rare que la comète de Halley. La dernière fois, c'était avec 8 000 invités. On réduit la voilure au fur et à mesure qu'on augmente les audiences des retransmissions télévisées.
La différence sera de taille, pour ce qui est de rêver. En 1953, le héros était une héroïne, une jeune mère de famille d'une vingtaine d'années, à la personnalité déjà très forte, ne manquant ni d'humour ni de tenue, mais cette tenue pour une reine, c'est morne à en mourir. En 2023, nous aurons son fils. Moins ennuyeux mais avec moins de tenue. Ce n'est plus un jeune homme, c'était l'éternel dauphin qui se demandait bien s'il hériterait un jour. C'est maintenant un vieillard qui aura 75 ans après l'été, qui est déjà plusieurs fois grand-père.
Dans le jeu de rôle, Charles n'avait pas le beau rôle. C'était le mari qui trompait la princesse trop belle. Pourtant, c'est touchant, finalement, que les premiers amours deviennent les derniers aussi. Et couronnés ! Il a eu le courage de garder son nom alors que Charles Ier tout autant que Charles II n'ont pas eu un destin très enviable.
Son couronnement sera modeste, d'une sobriété qui sied aux temps difficiles, ceux d'une crise qui n'en finit plus de se prolonger. Une monarchie modeste aussi pour ne pas réveiller le feu républicain qui couve depuis des décennies et que la mère Élisabeth a su presque éteindre.
Depuis le 8 septembre 2022, Charles III est enfin roi. Il est le roi du Royaume-Uni, mais aussi, entre autres, du Canada, de l'Australie, de Nouvelle-Zélande, de Jamaïque, de Papouasie-Nouvelle-Guinée, etc. Les velléités républicaines de ces pays (souverains) vont probablement reprendre avec la disparition d'une reine exceptionnelle. Charles III risque de se retrouver en syndic de faillite, où il ne fera même plus de la figuration (son tour des royaumes en serait alors allégé). Car ce fut le cas, il y a déjà plusieurs décennies, avec l'Inde, le Pakistan, l'Afrique du Sud, l'Ouganda, le Kenya, le Nigeria, et la Rhodésie (Zimbabwe). Le dernier en date à prendre son envol institutionnel, c'est la Barbade... républicaine depuis le 30 novembre 2021. Ce qui ne remet pas en cause leur appartenance au Commonwealth.
Moins il y a de pouvoir plus il doit être visible : le couronne (celle de saint Édouard), plus de deux kilogrammes sur le crâne, heureusement, réservée seulement le jour du couronnement, le sceptre et l'orbe que la reine Élisabeth II a portés avec majesté et noblesse. Et puis, il y a le trône dont aujourd'hui, en France, il ne reste plus que la foire.
On se demande quand cet anachronisme sera dépouillé de toutes ses inutilités, mais justement, le rêve est un élément moteur dans nos sociétés. On le voit bien en République française où, pour être élu, il faut faire rêver, il faut, comme disait le moins monarchique de nos monarques, réenchanter le rêve français. Avec la famille royale britannique, ce rêve est à chaque phrase, à chaque détour de page d'un journal. Comme si les institutions n'étaient plus qu'une interminable série télévisée.
Le principe monarchique, c'est que le monarque règne mais ne gouverne pas. Il est l'arbitre des élégances, rassembleur du peuple autant que du pays (en France, notre dernier roi n'a même pas été roi de France, "seulement" roi des Français), tenant seulement la chandelle au Premier Ministre tout-puissant. Le problème, c'est qui choisir pour monarque ? En France, on a tout essayé et celui qui a le plus usurpé a aussi le mieux incarné ce pouvoir monarchique, l'empereur Napoléon Ier dont le sacre était probablement la meilleure figure de la grandeur de la France. Grandeur disparue évidemment. Nostalgie... vraiment ?
Et pourtant, dans l'esprit de Bonaparte, l'empire était encore la République. Mais une république qui le célébrait lui, et lui seul. Aujourd'hui, la France se satisfait d'élire un Président de la République tous les cinq ans. C'est le moyen le plus démocratique. Pourquoi choisir un descendant pour monarque ? Avant Hugues Capet, ce n'était d'ailleurs pas systématique, au point de devoir associer le dauphin au trône pour garantir la bonne succession.
Il faudra juste faire attention à un vice de forme. L'empire survient en France quand le Président n'a plus la possibilité constitutionnelle de poursuivre démocratiquement son mandat. Le coup d'État du 2 décembre 1851 a évacué la limite à un mandat présidentiel de quatre ans du Président Louis Napoléon. Il faut se rappeler que ce coup d'État (bien évidemment juridiquement et politiquement toujours condamnable) n'a pas fait beaucoup de victimes par rapport aux autres singularités institutionnelles du XIXe siècle et, surtout, était très populaire : on acclamait l'empereur avant même qu'il ne le soit devenu, le long de son passage pour aller à Longchamp. Cela ne risque pas d'arriver avec Emmanuel Macron, en manque de popularité ...et de descendance !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (01er mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Tony Blair.
Discours de Tony Blair à l'Assemblée Nationale le 24 mars 1998 à Paris (texte intégral et vidéo).
Êtes-vous invité au couronnement ?
Margaret Thatcher.
John Major.
Michael Heseltine.
Audrey Hepburn.
Anthony Hopkins.
Alireza Akbari.
Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
Élisabeth II, la reine des Français ?
Howard Carter.
La BBC fête son centenaire.
Rishi Sunak.
Qui succédera à Liz Truss ?
Liz Truss.
Le temps du roi Charles III.
Je vous salue Élisabeth, pleine de grâce…
Archie Battersbee.
Diana Spencer.
Theresa May.
21 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON