Europe : c’est quoi la démocratie ?

En Grèce, avec moins du tiers des suffrages les deux partis ayant signé le « mémorandum » sont désormais ultra – minoritaires. C’est-à-dire que le peuple grec a lourdement sanctionné la politique de l’austérité, le la paupérisation des larges couches de la population et la braderie du service public comme monnaie d’échange pour le renflouement des banques à travers l’ « aide » à leur pays. Les 72% des bulletins sont allés à des partis qui contestent ce « mémorandum » ; le message est clair, net, et sans appel. Que la loi électorale offre un bonus (50 sièges sur 300) au premier parti n’y change rien : même ainsi, une majorité pro – mémorandum reste introuvable. L’Allemagne, l’UE, le FMI devraient immédiatement, s’il leur restait un minimum d’esprit démocratique (et s’ils étaient moins obsédés par une vision financière de l’économie qui va droit au mur) à en tirer les conséquences.
En France, la victoire de François Hollande faite sur une proposition qui nie la suprématie du marché et exige une renégociation de « pacte de stabilité », associée aux pourcentages au premier tour des partis qui contestent la financiarisation de la politique n’est pas moins éloquente : pour une très grande partie du peuple français le « pacte de stabilité » est perçu comme un « facteur d’instabilité », comme une Hydre de Lerne à têtes multiples qui mène peuples et nations européennes au désastre. Là aussi, le message est net, clair et ne supporte aucune interprétation fantaisiste : si cette politique continue, les pays de l’Europe seront très vite ingouvernables.
Ils le deviennent déjà là où le suffrage universel s’exprime : en Italie, la gauche et les partis dits « fantaisistes » (dénomination donnée par les gouvernants technocrates) ont contribué à la bérézina de la coalition au pouvoir dans la quasi totalité des conseils et des villes italiennes qui étaient en jeu. En Grande Bretagne, il en fut de même, excepté pour Londres qui apparaît, aux yeux de la population comme désormais détaché de la réalité économique, sociale et politique du reste du pays. En Espagne, la fronde des régions gouvernées par l’opposition rend les plans de rigueur difficiles (voir impossibles), introduisant des nouvelles inégalités entre les régions, mettant ainsi en cause la « politique nationale ». En Allemagne, la claironnée popularité de la chancelière est mise à mal par les résultats successifs des élections des Länder, qui présagent un prochain gouvernement de « grande coalition » c’est-à-dire un infléchissement de sa politique. Au Pays Bas, champion de la règle d’or au sein des instances européennes, le gouvernement s’est effondré faute de pouvoir trouver une majorité qui la mette en place, malgré le fait que des sérieuses concessions, à la limite de la décence démocratique, avaient été faites au parti xénophobe et anti européen pour rester au sein de la coalition, la plus à droite de l’histoire des Pays Bas. En Hongrie un parti xénophobe, raciste, précurseur d’une extrême droite décomplexée est désormais au pouvoir, mettant en place des lois que la Commission européenne trouve « inadmissibles » mais dont elle n’a ni les outils, ni surtout la force morale de contester. Et pour cause. Partout où la réalité démocratique frappe à sa porte, elle fait la sourde oreille, cherchant des solutions qui passeraient outre les choix citoyens. On pourrait continuer ainsi avec l’Irlande (au seuil de l’ingouvernabilité et toujours en crise malgré les « réformes » drastiques), la Roumanie, la Tchéquie ou le Portugal. Comme disait Zorba le grec dans le roman de Kazantzakis, « Hé parton, avez-vous jamais vu une si extraordinaire catastrophe ? »
L’Union Européenne s’était lancée avec fougue vers un élargissement démesuré qui cachait mal une fuite en avant essayant d’occulter ses problèmes internes dont le plus important est celui du manque de démocratie : démocratie interne de ses propres institutions, démocratie de ses processus décisionnels, démocratie au sein des pays qu’elle intègre, démocratie au sein de ses outils financiers, rôle anémique de son propre parlement, et bien d’autres. Comme un boomerang, cette fuite en avant donne aujourd’hui des fruits amers : défiance des peuples, éclatement politique, chaos électoral, que l’on peut résumer sans être trop hardis comme une exportation du modèle anti-démocratique européen vers ses propres pays membres. Mais l’Europe a-t-elle quelque chose de plus précieux à montrer que le processus démocratique lui-même ? Peut-elle survivre si elle ne prend pas en considération la volonté des peuples qui la composent ? Peut-elle continuer à se construire contre leur volonté ? Certainement pas et c’est exactement cela qui est en train de se passer sous nos yeux.
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