En été 2007, le très inspiré ministre de l’intérieur, Wolfgang Schäuble, a présenté une nouvelle version de loi pour élargir les compétences de l’Office fédéral de police criminelle (BKA – Bundeskriminalamt) et limiter les droits fondamentaux de la presse et d’autres catégories professionnelles - une inéquation actuelle bien connue pour apporter encore et toujours plus de sécurité.
Quels droits fondamentaux sont réduits ?
Le « surveillophile » ministre de l’intérieur
[1] n’entend pas respecter le secret professionnel de curés, avocats et députés
[2] : on devrait pouvoir mettre sur écoute - secrètement, cela va de soi - ces professions et activités. Plus de secret professionnel non plus pour médecins, journalistes et travailleurs sociaux qui s’occupent de toxicomanes et de dépendants de substances psychoactives : mise sur écoute et suppression du droit de refus de témoigner. La protection des sources des journalistes est ébranlée
[3].
La loi BKA fournira en aval le fondement juridique d’une nouvelle forme de surveillance déjà pratiquée : le « cheval de Troie fédéral », un virus informatique, fabriqué et utilisé par le service secret et le BKA, est censé transmettre des contenus compromettants d’un disque dur d’un ordinateur connecté à internet, la version contemporaine d’une perquisition classique, avec la différence que la police agira sans justification légale évidente : la surveillance se fera en douce.
Ce fichu « virus fédéral » pose de nombreux problèmes éthiques et sociétaux. Pour beaucoup d’entre nous, l’ordinateur a non seulement remplacé un éventuel journal intime, mais est devenu aussi un système d’archivage administratif et personnel de toute une vie : lettres et textes personnels, photos et vidéos privées, comptabilité du ménage, copies de documents administratifs, courriers électroniques, lettres de motivations, opérations bancaires, achats en ligne, déclaration d’impôt, ..., la liste est longue.
Qui fera l’objet d’une surveillance par le virus informatique fédéral, installé secrètement par la police du BKA ?
Cela peut tomber sur n’importe qui. C’est pour cette raison que ce type de surveillance installe un deuxième virus - cette fois-ci psychologique - dans la tête. Quand l’espace public et privé non surveillé se rétrécit comme une peau de chagrin, les comportements changent, ils ne sont plus libres. L’argument « je n’ai rien à cacher », souvent avancé par ceux qui approuvent la surveillance à tout va, est incohérent. Il est connu qu’une personne qui se sait potentiellement surveillée ne se comporte pas de la même façon qu’une personne qui se croit non surveillée. Sans partir dans une grande réflexion sur la société de surveillance, on se rend bien compte que ce « virus fédéral » est quelque chose de gros, très gros. La pertinence des arguments des partisans de ce moyen d’intrusion dans la vie de l’individu est inversement proportionnelle à sa gravité : la simple mention du mot magique « terrorisme » dispense de toute réflexion et justification élaborée.
On comprend que ce projet de loi provoque des controverses et suscite débats, résistances et manifestations[4]. Plus : il insécurise le particulier et ceux qui sont soumis au secret professionnel. Maintes entreprises sont aussi dans l’embarras, car les outils informatiques qui permettent de tester la sécurité du système informatique, outils indispensables si on tient à se prémunir contre des intrusions, sont dans la ligne de mire de Schäuble : le ministre parano a interdit des soi-disant « hackertools » (outils de hackers) sans trop savoir de quoi il s’agit. (Schäuble a publiquement avoué ne pas avoir de compétences dans le domaine d’internet.
[5]) Un administrateur de réseau doit pouvoir tester si son réseau informatique a des points faibles qui permettent une intrusion, pour pouvoir y remédier. Or, le 24 mai 2007, le Parlement a adopté une loi qui interdit l’utilisation des « outils d’intrusion », qui sont pourtant l’outil de travail quotidien de ceux qui doivent tester la sécurité de leur système.
[6] C’est même le travail de certaines sociétés spécialisées en sécurité informatique, et ces sociétés travailleront depuis cette loi dans le doute de l’illégalité. D’autres envisagent de s’expatrier dans un pays ou l’utilisation de ces outils n’est pas criminalisée. Environ un an et demi plus tard, le 28 novembre 2008, le projet de loi était prêt à être adopté. Après un premier rejet au Bundesrat et quelques modifications cosmétiques, elle fut votée le 19 décembre 2008, pour entrer en vigueur le 1
er janvier 2009.
Une anecdote au sujet du « virus fédéral »
Le 18 décembre 2006, Die Linke demande au gouvernement
[7], depuis quand et avec quelle ampleur cette surveillance informatique est déjà pratiquée. Le 28 décembre 2006, le gouvernement répond : «
Nous n’avons pas d’informations à ce sujet.[8] » Dans leur réponse, le gouvernement rajoute toute une liste de décisions de justice qui interdisent l’utilisation d’un programme de type « virus fédéral ». Quatre mois plus tard, la Chancellerie fédérale avoue que
les services secrets, sur l’ordre de l’ancien ministre de l’intérieur Otto Schily, l’utilisent déjà depuis 2005[9]. La légalité de l’utilisation du « virus fédéral » par les services secrets avant l’introduction de la
loi BKA n’a toujours pas été tirée au clair.
Que faire contre la loi BKA ?
Le 27 janvier 2009, le président de l’Union humaniste
[10], le professeur Dr. Fredric Roggan, a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle contre cette loi. La porte-parole du recours est la journaliste et cyberactiviste Bettina Winsemann.
[11] Ce recours est pratiquement une action individuelle. Soutenue par le professeur Roggan, Winsemann cherche à recueillir les moyens financiers pour cette démarche. Combien de fois la Cour constitutionnelle a-t-elle déjà veillé sur le respect de la Constitution et la démocratie... - elle est le dernier rempart devant la toute-puissance de l’État. On pourrait croire que le gouvernement et ses membres seraient les premiers à connaître et à respecter la Constitution de leur pays. Mais non, ce sont les premiers qui la transgressent. Ensuite ils attendent de voir si « ça passe » à la Cour constitutionnelle (si quelqu’un fait un recours). Le traitement d’un recours dure parfois plusieurs années, c’est déjà ça de gagné de non-respect de la Constitution, de non-respect des droits fondamentaux.
La Cour constitutionnelle en Allemagne est une vraie gardienne de la démocratie. N’importe qui peut la saisir, et souvent elle n’a pas accepté des lois en contradiction avec la Constitution. Si elle n’existait pas, on serait mal.
En fait, qu’est le BKA ?
En Allemagne on peut distinguer trois types de polices fédérales :
- La police fédérale - (l’ancienne Protection fédérale des frontières, jusque juin 2005 le Bundesgrenzschutz),
- le BKA et
- la police au Bundestag allemand.[12]
Aujourd’hui, le BKA coordonne la lutte contre la grande criminalité et le grand banditisme de caractère international en collaboration étroite avec les Polices judiciaires des länder. En outre, il protège les institutions de la Constitution.
Nous parlons de ce que signifie BKA : c’est une entité administrative et une police qui lui est subordonnée, avec son ambiguïté éventuelle. C’est la loi BKA (Bka-Gesetz) qui régit le pouvoir, le champ d’action et les missions de cette police. Pour se faire une idée précise de la signification et de la portée de la nouvelle loi, un bref historique de la loi BKA nous sera utile.
Chronologie de la loi BKA
La première version de la loi BKA remonte à 1951. La mission du BKA est la lutte contre la criminalité qui dépasse les frontières des länders. Le BKA centralise et analyse des messages et informations concernant les poursuites judiciaires au niveau national. Il ne peut entrer en action que sur une demande expresse d’une autorité d’un land ou sur l’ordre du ministre fédéral de l’intérieur dans des cas particulièrement graves. Pour traiter ces cas, le BKA dispose d’un service de renseignements et d’anthropométrie judiciaire.
En 1969 un premier changement de la loi BKA a lieu ; il élargit les compétences de cette police : la prévention de la criminalité reste l’affaire des länder, mais le BKA peut aussi être mobilisé par le Parquet Fédéral ou par un juge d’instruction qui agit sur demande du Parquet Fédéral. De plus, les fonctionnaires de police du BKA peuvent être détachés auprès de la police des länder pour les aider à leur demande.
Il y a un deuxième changement de la loi BKA en 1973. Un an après les agissements de la RAF (groupe terroriste allemand qui se nomme fraction armée rouge) et une vague d’arrestations dans ce milieu, une nouvelle version de la loi BKA est adoptée. Le BKA devient alors
- le centre du réseau d’informations électroniques entre fédération et länders
- le service de coordination pour la collaboration entre fédération et länder
- le centre d’analyse et de statistiques de la police judiciaire
- une institution de recherche pour le développement de méthodes de travail dans la lutte contre la criminalité
Il est précisé que le BKA doit soutenir la police des länder dans le travail de prévention. C’est la pose de la première pierre de l’accès du BKA au travail policier de prévention, et l’obligation de soutenir la police des länder dispense le BKA des demandes officielles du Parquet Général ou du ministre de l’intérieur pour agir. Les champs d’action s’élargissent à l’international, au trafic d’armes, d’explosifs, de drogues, de fausse monnaie, bref au crime organisé international, ainsi qu’aux crimes qui menacent la vie ou la liberté des membres du gouvernement, de la Cour constitutionnelle fédérale ou d’autres personnages politiques et diplomatiques. De plus, le BKA n’a plus besoin d’informer d’autres administrations policières compétentes sur les enquêtes qu’il mène. Le BKA devient une police très autonome qui a peu de comptes à rendre.
Autre élargissement : Au pouvoir du BKA s’aditionne les pouvoirs de la Police fédérale des frontières.
En 1997, la loi BKA subit une grande réforme qui fait du BKA une plate-forme centrale de données, lui donne des pouvoirs de répression et des moyens juridiques et techniques de surveillance. Les nouvelles missions du BKA sont :
- recueillir et échanger des données avec d’autres services
- élaborer un système d’informations de police (recherches de personnes) ; dans ce grand fichier peuvent être enregistrés des accusés, des témoins et des « personnes diverses ». Le BKA peut recueillir des données d’autres services de police ainsi que des données de n’importe quel service public et non public, qu’il soit à l’intérieur du pays ou à l’étranger. Il peut transmettre toutes ces données à des services policiers on non policiers (donc à n’importe qui). La transmission de données nominatives de personnes qui ne sont pas concernées par les enquêtes à toute sorte de services est possible, si la séparation des données est « trop compliquée ».
- enquêter et poursuivre des crimes dans le contexte du terrorisme (§129a[13] : formation, soutien et propagande d’une association terroriste)
- légaliser les moyens techniques de surveillance et leur mise en œuvre (opérations de mise sur écoute, prise de photos), à l’intérieur et l’extérieur d’un appartement, ceci pour écarter des dangers...)
- contrôler et fouiller des personnes, pénétrer et fouiller des appartements sans le consentement de l’occupant, arrestations, intervention d’informateurs non seulement contre des personnes soupçonnées, mais aussi contre leurs contacts (amis, famille...)
- compétence du programme de la protection de témoins
9 janvier 2002 : la loi pour la lutte contre le terrorisme international
Cette loi est une réaction à l’attentat du 11 septembre 2001. Les missions et compétences du BKA sont élargies sur trois points :
- enquêtes sur les crimes de sabotage informatique si la sécurité intérieure de l’Allemagne est en danger
- autorisation à « enquêter pour trouver des soupçons ». C’est un concept pour le moins étonnant : Le BKA n’a aucun élément de preuve, d’indice, même pas de soupçon sur l’existence d’un crime. Alors il fait des enquêtes pour trouver un soupçon. Ce type d’enquête peut se diriger contre n’importe quelle personne qui correspond au critère de soupçon d’un soupçon. (Qui est soupçonné d’être potentiellement un soupçonné ?)
(Ce concept absurde vaudrait la peine d’être examiné sur un point de vue psychologique. Sémantiquement il peut être considéré comme une prémisse de la paranoïa (délire de persécution, de méfiance...) On cherche aussi longtemps que nécessaire pour avoir enfin un soupçon, et quand on aura un soupçon, on peut enquêter sur le soupçon. Plus simplement : on cherche jusqu’à ce que l’on trouve quelque chose. Cela rappelle l’affaire de Tarnac : si on ne peut pas prouver aux inculpés la participation à l’acte de destruction du matériel de la SNCF, on cherche si on ne trouve pas un indice à la participation des incendies volontaires des Anpe. Et si on ne trouve rien de ce côté-là, on cherchera encore autre chose...)
- élargissement de « l’attaque par la mise sur écoute »
Les actions secrètes comme les placements sur écoute, la prise de photos, la vidéosurveillance peuvent être opérées par des personnes qui en ont été chargées par le BKA. (Traduction : par des informateurs, donc n’importe qui pourvu que le BKA l’ait chargé de travailler pour lui. Il n’y a pas de restriction sur l’admissibilité des informateurs.)
Nous voilà arrivés aux pratiques des services secrets.
Le 22 décembre 2006, il y a une nouvelle loi sur la mise en relation de fichiers de la police et des services des renseignements généraux. Un ficher antiterroriste est construit au BKA. Toute administration fédérale et de länder qui s’occupe, de près ou de loin, de délits terroristes aura accès au nouveau fichier antiterroriste. Dans ce fichier sont enregistrés des présumés membres ou sympathisants d’organisations terroristes, des présumés partisans de « violence illégale comme moyen d’imposition d’intérêts politiques ou religieux, ainsi que des présumés contacts à ces cercles de personnes. »
La loi autorise également des « fichiers de projet
[14] » où toutes ces administrations peuvent enregistrer n’importe quelle donnée de n’importe quel suspect. Services secrets et polices ont accès à ces « fichiers de projet ». La frontière entre services secrets et polices s’efface.
17 juin 2008 - achèvement d’une police secrète fédérale
Il s’agit du dernier projet de loi BKA pour « écarter les dangers du terrorisme international par le BKA ».
C’est la loi qui est votée le 18 décembre 2008, qui permet, pour prévenir des délits, de surveiller, observer dans la durée, recueillir des données personnelles (aussi de personnes non impliquées), photographier et filmer, interroger des personnes, jusqu’à l’utilisation d’agents infiltrés sans contrôle, le grand banditisme n’étant même pas exclu.
Elle permet des écoutes téléphoniques, des écoutes secrètes par des micros clandestins dans des appartements de particuliers, l’intrusion secrète sur des disques durs d’ordinateurs personnels, des opérations de ratissage et d’utilisation de données issues de la circulation routière
[15].
Elle permet des mesures de répression, comme l’interdiction aux personnes de circuler sur un lieu, l’arrestation, la fouille de personnes et d’objets, la confiscation d’objets, l’intrusion et fouille d’appartements, d’entreprises et locaux à usage commercial. Toutes ces mesures sont aussi permises si des personnes non impliquées dans les enquêtes sont concernées. Le seuil d’activation de ces mesures du BKA est très bas, car des soupçons suffisent, et certaines mesures sont déjà autorisées pour chercher des soupçons.
[16]
Critiques
« Virus fédéral »
Quand un ordinateur est insuffisamment sécurisé (absence d’antivirus, de pare-feu ou logiciels de sécurité obsolètes), l’attaquant, donc celui qui s’introduit dans un ordinateur, est capable de manipuler des données qui se trouvent sur le disque dur. En Bavière, la manipulation de données non cryptées est même autorisée. Les informations que le BKA obtient seraient de ce fait peu utilisables dans un procès.
Des systèmes d’information peu sécurisés pourraient déjà avoir été manipulés auparavant par d’autres attaquants. Pour cette raison, les informations obtenues par un « virus fédéral » seraient aussi peu exploitables.
Les terroristes peuvent facilement et totalement se soustraire d’une surveillance par un « virus fédéral », en utilisant d’autres accès à des réseaux, combinés avec un cryptage.
Un surveillé qui est conscient de sa surveillance par un « virus fédéral » peut enregistrer des informations fausses.
En infiltrant un réseau de communication, il est possible de nuire à des personnes non impliquées. Cette situation rentre en conflit avec le paragraphe 303a (manipulation de données, sabotage d’ordinateurs)
[17]
Agents provocateurs, agents infiltrés
Le BKA peut faire intervenir des agents provocateurs ou infiltrés qui ne font pas partie du BKA. Ce procédé a montré son inefficacité dans la lutte contre des groupements politiques, comme l’a démontrée la procédure d’interdiction du parti d’extrême droite NPD.
[18]
Obligation d’information
En 2006, 48 personnes avaient été placées sur écoutes. Seulement 6 personnes ont été informées jusqu’à mai 2007 qu’elles ont été écoutées. Chaque administration étatique est dans l’obligation d’informer le citoyen des actions qu’elle mène contre lui. Dans le contexte de la loi BKA il y a des limitations significative de cette obligation. Seulement un an après l’écoute elle doit informer la personne surveillée d’avoir été mise sur écoute. À la fin de l’enquête l’administration peut même renoncer pour toujours d’informer la personne surveillée de sa surveillance.. C’est une régression énorme du droit fondamental d’information.
[19]
Exemples de cas d’application du paragraphe 129a
Le sociologue et chercheur à l’université libre de Berlin, Andrej Holm, est arrêté le 21 juillet 2007 ; il est soupçonné d’appartenir au groupe terroriste « mg » (
militante Gruppe - groupe militant). Déjà en septembre 2006, le Parquet fédéral engage une enquête dans le cadre du
§129a à l’encontre de M. Holm et de trois autres personnes. L’appartement de Holm est mis sur écoute et sur surveillance vidéo 24h/24. Les indices de l’appartenance de Holm au groupe
mg sont déduits de l’utilisation d’un certain vocabulaire, de la recherche de certains mots sur internet dont « gentrification » et « Prekarisierung », et l’absence de son téléphone portable lors d’une rencontre avec un autre suspect est interprétée comme une « rencontre conspirative ». La critique de l’arrestation du chercheur est mondiale
[20]. Le 22 août 2007, la Cour de justice fédérale ordonne la libération de Holm que le procureur général Harms essaie d’empêcher en faisant un recours. Mais la Cours de justice fédérale ne suit pas la demande du procureur général car les indices contre Holm sont sans fondement ; Holm est libéré.[21]
- Arrestation de la journaliste Heike Schrader
Heike Schrader qui vit en Grèce, prend l’avion pour présenter un livre spécialisé dans différentes villes en Allemagne. À son arrivé à l’aéroport de Cologne-Bonn, elle est arrêtée et incarcérée à la prison de Bonn. On lui reproche la participation à un groupe terroriste (encore §129a), dont le but serait meurtre, homicide involontaire, génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre. La journaliste est choquée et ne comprend pas. Le lendemain elle est présentée devant un juge d’une Cour fédéral de justice qui la libère sur caution, mais l’accuse d’avoir été membre du groupe turque DHKP-C de 1996 à 1998. Pour la journaliste, l’accusation est un scandale. Dans cette période, elle avait édité un magazine dans un centre de droits de l’homme à Cologne. La Cour fédérale en conclut qu’elle aurait rencontré des cadres du DHKP-C dont leurs buts principaux auraient été de faire des attentats. Depuis 2001, il y a eu un mandat d’arrêt contre elle, qui aurait été renouvelé en 2005. Schrader, d’après la Cour, aurait été en fuite depuis 2001.
Ceci est incompréhensible et, d’après le rédacteur en chef adjoint de « Junge Welt », c’est un pur mensonge. Schrader publie régulièrement des textes dans plusieurs médias sous son vrai nom, qui se trouve aussi sur de nombreux tracts ; encore en mars 2007 elle est allée en Allemagne. On aurait pu trouver l’adresse de Madame Schrader par une simple recherche sur Google.
Les vraies raisons de cette affaire ont leur origine dans un livre avec le titre « Guantanamo en grec. Torture contemporaine dans un État de droits », présume Schrader qui avait traduit ce livre du Grec vers l’Allemand. Elle voulait présenter ce livre en Allemagne. L’auteur du livre, Xiros, est incarcéré en Grèce depuis 2002 et a été torturé par des « services de sécurité », ce qui lui avait valu un séjour aux soins intensifs pour sauver sa vie. Schrader, qui voyage librement en Europe depuis des années, pense que « l’on » voulait empêcher un débat sur la torture ce qui l’a placé dans la ligne de mire de l’Office fédéral pour la protection de la Constitution. La journaliste, invitée par le parti Die Linke, a présenté ce livre au Bundestag allemand, puis elle a eu des activités sur un salon de livres à Nurenberg. Une fugitive aura probablement un autre comportement.[22]
Heike Schrader est condamnée à un emprisonnement d’un an et dix mois, peine qui sera transformée à un emprisonnement avec sursis de trois ans, dans un désintéressement total des médias. Indymedia nous informe que les juges ont abandonné l’accusation d’appartenance à un groupe terroriste, ils n’ont retenu « que » le soutien à un groupe terroriste. Ce cas révèle le caractère problématique voir critiquable du paragraphe élastique 129a.
- Condamnation de la journaliste Ingrid Strobel
Der Spiegel écrit[23] : « tout ce qu’on a trouvé contre Ingrid Strobel est qu’elle a possédé un réveil de voyage. » Le procureur demande 7 ans d’emprisonnement, elle serait une terroriste qui aurait voulu organiser un attentat de bombe avec son réveil. Elle fut condamnée à 5 ans d’emprisonnement, au nom du fameux §129a. C’était en 1989. En 1990, la Cour de justice fédérale (BGH[24]) annule la condamnation. L’accusation considérait Strobel comme « une féministe radicale » et une « extrémiste de gauche, qui a soutenu un groupe terroriste ». Mais le soupçon d’avoir acheté un réveil de voyage en vue de faire un attentat à l’explosif ne suffirait pas d’affirmer qu’elle fasse partie des « cellules révolutionnaires », argumentent les juges du BGH.
- La sécurité d’État surveille un groupe antifasciste
À l’aide du §129a, un groupe « antifa » de Bad Oldeslo, surtout Daniel S. et Frank K. sont surveillés pendant deux ans. C’est la totale : écoute de téléphone portables et fixes, émetteurs de localisation, écoutes d’entretiens d’un membre du groupe avec un journaliste, rédaction de tout ce qui se passe dans l’appartement des suspects (« a baissé le son du téléviseur », « allume la machine à café et siffle ‘wind of change’ », « va aux toilettes », « parle en dormant »… de vraies barbouzes !) Après deux années de surveillance totale il n’en reste absolument rien. Le parquet classe l’affaire.[25]
Le fichier antiterroriste
Déjà un contact anodin avec un suspecté d’un contexte de terrorisme peut conduire à l’enregistrement dans le fichier antiterroriste. La conséquence pour ces personnes non impliquées sera une
stigmatisation, car « en cas de danger » n’importe quel service de sécurité pourra accéder à ce fichier.
[26]
La liste des bases de données réunies dans le fichier antiterroriste peut être consultée sur
heise.de.
Succès de la surveillance à outrance au nom du §129a
Moins de trois pour cent des enquêtes qui ont été menées en vertu du paragraphe 129a aboutissent à une condamnation. Les autres 97 pour cent des enquêtes ne sont pour autant pas insignifiants pour la sécurité d’État. Les critiques du §129a ne voient pas son utilité dans la poursuite et la condamnation de terroristes, mais dans la possibilité de surveiller et enquêter sur de grands groupes de personnes, dans l’exploration de courants politiques gênants et dans la limitation des droits fondamentaux des supects.
Reste à espérer que la Cour constitutionnelle place les droits fondamentaux des citoyens plus haut que l’obsession d’un gouvernement de plus un plus sécuritaire, répressif et antiterroriste.
[4] Quelques photos (
l’Etat me fait plus peur que les terroristes, photo n° 7) de la manifestation « liberté et non à la peur », 11 octobre 2008 à Berlin ; manifestations dans 15 pays contre la société de surveillance, dont la
loi BKA fait partie
[12] La «
Polizei beim deutschen Bundestag » - une police peu connue ; elle exerce le pouvoir policier dans les bâtiments du Bundestag allemand. Le président du Bundestag lui seul a le pouvoir du maître de maison, et cette police lui est subordonnée. Leur compétence résulte de
l’article 40 paragraphe 2 de la Constitution.
[13] Les gouvernements n’hésitent pas à faire appel au paragraphe 129a pour contrer des mouvements d’extrême gauche ; l’interprétation de ce qui constitue une affiliation ou une création d’une association terroriste est très élastique.
[14] Ce sont des fichier dans lesquels sont enregistrées toutes les informations concernant un projet (du BKA) de poursuite ou de surveillance
[15] Les données de la circulation routière proviennent de l’enregistrement systématique des plaques d’immatriculation des véhicules sur les autoroutes, des caméras vidéo sur les routes, dans des villes, des radars...
[24] BGH = Bundesgerichtshof