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Géopolitique ukrainienne

guerre de Crimée, prise de Malakoff

Comme je l’ai écrit dans un précédent article, les USA-UE ont joué un jeu dangereux en « encourageant » les Ukrainiens à sortir de l’orbite Russe pour rentrer dans celle des USA-OTAN.

Je ne méconnais pas la légitime révolte du peuple Ukrainien contre un système politique corrompu mais ne soyons pas naïfs, sans soutien extérieur de militants aguerris et entrainés, il n’aurait pas pu résister à ces forces de répression, les Berkouts, dont on nous dit par ailleurs qu’elles sont si redoutables.

Les Grecs, les Indignés Espagnols n’y sont pas parvenus. Les Tunisiens et les Egyptiens, l’on fait car leurs armées de conscrits, formées et financées aux USA ont finalement choisi leur camp. Les Libyens n’ont dû leur salut qu’à une intervention massive USA-OTAN qui a laissé un pays exsangue en proie à diverses milices. L’opposition syrienne et ses supplétifs islamistes armés et entrainés par le Qatar ou l’Arabie Saoudite, assistés par de nombreuses forces spéciales internationales n’y parviennent toujours pas…

A Kiev, toutes les médiations ont été systématiquement refusées ou sabotées et les deux dernières se sont traduites par des offensives en règle des bataillons d’autodéfense du Pravyi Sektor et de Svoboda avec des tirs à balles réelles, puis des snipers. Dans ces situations, l’histoire nous a hélas bien souvent enseigné que toutes les provocations sont possibles. Le journal Israélien Haaretz nous apprend même que plusieurs anciens militaires Israéliens avaient formé une milice 'the Blue Helmets of Maidan' combattant aux côtés de Svoboda.

De sérieux doutes apparaissent aujourd'hui (6/03/14) sur l'origine des tirs des snipers de Maïdan qui auraient abattu à la fois des manifestants et des policiers comme le révèle un enregistrement téléphonique-confirmé par l'Estonie- entre Catherine Ashton et le ministre estonien Urmas Paet . Cela ne fera pas pourtant la Une de nos média !

Tout a été fait pour aboutir à l’issue sanglante qu’on a connue, puis à l’arrivée du Zorro européen alors que l’ogre Poutine était largement scotché à Sotchi ! Drôle de coïncidence, la guerre de Géorgie avait débuté le 7 Aout 2008, le jour de l’ouverture des Jeux olympiques d’été en Chine !

Tout cela a d’ailleurs été largement décrit dans nos médias à la manière d’une série B des années 60 : les bons, le méchant, dans une atmosphère romantique, irréelle, un remake de la Révolution Française, BHL en plus et la Révolution en moins.

On trouve chez tous nos grands « experts » géopolitiques (débat chez Taddeï excepté) le même silence sur un quelconque soupçon de guerre froide ou une hypothétique division de l’Ukraine toute rassemblée comme une seule place Maïdan , la même volonté d’escamoter les réalités de l’économie et de la corruption aux mains d’un nombre très restreint d’oligarques de tous bords parfaitement identifiés et le même empressement à décrire l’aspiration unanime de tout le peuple ukrainien à adhérer à l’UE – mais ne nous parlez pas de l’OTAN.

On comprend mieux cette unanimité quand on lit les dépêches de l’ambassade US d’Ukraine sur Wikileaks : tous les dirigeants passés, actuels ou futurs de l’Ukraine défilent dans les salons de l’ambassadeur, avant les élections, après les élections, s’enquièrent de savoir quelles coalitions seraient possibles, souhaitables. Le statut de la langue russe, le rôle du Kremlin, l’adhésion à l’OMC, l’UE, l’OTAN ; tout y est dit, y compris par Yanukovich qui rappelle toutefois à plusieurs reprises la nécessité de coalitions élargies pour éviter une cassure est-ouest.

L’objectif US est lui très clairement affirmé : sortir l’Ukraine de l’influence du Kremlin et l’insérer dans l’UE-OTAN, cet objectif étant naturellement un élément important pour « l’appréciation » de l’Ukraine par la « Communauté internationale ».

Toute cette belle unanimité n’est même pas le résultat d’un quelconque complot, c’est le fruit d’une logique d’appartenance OMC-UE-OTAN dont on ne peut que constater que l’architecte en chef est l’administration US. On comprend mieux alors pourquoi la place Maïdan a vu défiler tant de responsables politiques occidentaux, de l’ancien candidat à la présidentielle US Mc Cain à la porte- parole du Département d’Etat Victoria Nuland (fuck the UE !) en passant par la discrète Catherine Ashton et par Guido Westerwelle chef de la diplomatie allemande début décembre (il n’a plus fait partie de la nouvelle coalition Merkel III du 17/12).

Alors que le manifestant lambda rêve du mirage occidental ou de la réussite polonaise, l’émissaire occidental ne voit que la promesse de nouveaux marchés captifs qui pourront repousser un instant la décrépitude à la grecque qui nous attend tous !

Toujours est-il que, face à la pression des manifestants et à la réprobation médiatique et diplomatique de la « Communauté Internationale », le gouvernement Ukrainien est tombé et que le gouvernement provisoire installé est un « gouvernement orange »-pour reprendre la terminologie utilisée dans les rapports de l’ambassadeur US.

Les USA-OTAN ont donc avancé un pion très offensif,

en ignorant totalement les intérêts bien compris de l’Ukraine car les dépêches de Wikileaks montrent bien qu’ils connaissaient parfaitement les risques de division encourus, division dont la responsabilité dans l’échec de la révolution orange de 2004 est rappelée dans ces écrits. On peut remarquer à ce propos que les risques pris par les USA ne les concernent pas au premier chef ; ce sont les Ukrainiens et l’UE qui ont le plus à perdre dans cet affrontement différé avec la Russie.

La Russie a mis plusieurs jours à réagir face à ce gros rocher envoyé dans son jardin à la fois pour évaluer les perspectives d’action et pour apprécier l’orientation géopolitique du nouveau pouvoir de Kiev. La décision de la Rada de modifier le statut officiel de la langue russe en Ukraine a clairement montré que le pouvoir de Kiev ne recherchait pas un compromis Est-Ouest au sein de l’Ukraine et que les nationalistes de Maïdan menaient le jeu, avec notamment le nouveau ministre de la défense Andrei Parouby .

Les enjeux pour la Russie sont considérables et de plusieurs ordres :

le premier est culturel, historique, il s’agit de défendre la place des populations russophones d’Ukraine et de rappeler les liens historiques entre les deux pays, Kiev étant le berceau du premier royaume russe chrétien de Wladimir ; le second est géopolitique et stratégique, il s’agit de la Crimée, partie intégrante de la Russie jusqu’en 1954 et siège de la flotte russe de Sébastopol que la Russie ne peut accepter de voir passer à terme sous le contrôle de l’OTAN ; le troisième est un enjeu de stabilité, une reculade de la Russie signifierait à terme une déstabilisation d’autres éléments de la Fédération de Russie suivant la théorie de la contagion et des dominos si chère aux USA (pour une fois qu’Attali voyait juste !) et en accord avec la vision géopolitique de l’Eurasie via Zbigniew Brzezinski ; le quatrième est économique car une zone de libre échange Ukraine-UE ouvrirait de fait le marché russe aux produits européens ou américains ( PTCI en cours de négociation) sans contreparties.

Les enjeux sur la Crimée et la stabilité de la Russie sont d’autant plus prioritaires qu’ils s’inscrivent dans une politique d’expansion de l’OTAN perçue comme agressive par le Kremlin ; l’installation depuis 2007 de batteries antimissiles et les diverses tentatives de déstabilisation menées dans les anciennes républiques d’URSS ne sont pas faites pour le rassurer. (cf l’article précédent : « de Seattle à Davos… »)

La réponse du Kremlin est alors celle de l’offensive et du fait accompli :

se rendre maitre de la Crimée sans un seul coup de feu, en jouant sur toutes les ambigüités, les complexités de la situation et en simulant une espèce de contre Maïdan pro Russe : Parlement local investi par des miliciens et appel à un référendum d’autonomie.

Bien sur que cela ne trompe personne et que le scénario Maïdan est autrement mieux construit et combiné sur la durée (vive le Smart Power démocratique d’Obama !) mais on reste dans un formalisme minimal de droit international éventuellement défendable dans le contexte historique particulier de la Crimée.

Il sécurise ainsi ses deux objectifs essentiels et marque la ligne rouge à ne pas franchir ; cette fermeté lui permet également de renforcer le camp russophone de l’est et de rappeler les risques réels de division du peuple Ukrainien (même indépendamment de la Russie !).

Je pense que dans la Géopolitique des Echecs, il n’avait que ce choix là possible ou alors passer pour le dindon de la farce et subir tous les épisodes à venir de la stratégie des dominos.

Que peut-il se passer maintenant ?

Deux options sont possibles pour l’Ouest qui doit maintenant jouer son pion ; la négociation sur l’Ukraine et la Crimée en ménageant les susceptibilités de chacun ou la surenchère offensive plus ou moins directe.

La négociation est certainement l’option la plus souhaitable et les faux semblants de Poutine permettent de le faire en sauvant les faces de chacun ! Cette négociation peut être à géométrie très variable mais la décision de l’UE ce jour (05/03/14) de débloquer 11 Md € pour l’Ukraine ne me parait pas aller dans le sens d’une progressivité raisonnable et semble relever davantage de l’émotion du moment toujours mauvaise conseillère.

La surenchère offensive peut être également multiforme  :

on peut par exemple commencer par débloquer 11 Md € au vaillant peuple de Maïdan agressé et envahi par le barbare Poutine puis rappeler l’annexion des Sudètes par Hitler et ne pas céder devant le dictateur comme à Munich en 1938. On peut se référer également à la guerre de Crimée de 1854 de l’alliance France-Angleterre-Empire Ottoman (l’OTAN de l’époque ?) contre l’empire Russe mais les objectifs cachés étaient alors de savoir à qui allait profiter le futur dépeçage de l’Empire Ottoman. On sera cependant vigilant le 25 mars, date du cent soixantième anniversaire de la déclaration de guerre à la Russie.

On peut soutenir un mouvement de résistance armée et de harcèlement des troupes russes en Crimée en utilisant les mouvements nationalistes Ukrainiens et Tatars assistés de discrètes forces spéciales ; il est à craindre alors que le conflit déborde de Crimée et induise une amorce de guerre civile en Ukraine. Un affrontement direct Ukraine-Russie semble hautement improbable.

Des sanctions économiques et financières très dures contre la Russie seraient contreproductives pour l’Ukraine et l’UE qui se verraient alors privées du gaz russe. Dans le contexte économique actuel cela entrainerait l’éclatement d’une nouvelle Crise financière mondiale majeure.

On peut craindre aussi l’ouverture de crises secondaires multiples sur d’autres fronts géopolitiques pour créer un effet de saturation : la crise actuelle au Venezuela en est un exemple et on peut penser que la Syrie et l’Iran pourraient être le théâtre de dangereuses escalades.

La triste histoire de l’ex Yougoslavie nous a montré jusqu’à quel point la stratégie des dominos de l’Otan pouvait aller, au nom de la démocratie et des droits de l’homme, mais en soufflant sur les braises des nationalismes et en fournissant armes et bagages aux plus belliqueux. La situation en Crimée est en quelque sorte celle d’un Kosovo inversé et nous montre à quel point les notions de souveraineté et d’autodétermination sont à géométrie variable.

Je crains fort que l’on ne s’oriente vers un pourrissement et un harcèlement en Crimée avec l’ouverture prochaine de crises secondaires en Syrie et Iran.

Puisse l’avenir me donner tort !

La transition énergétique n’est pas pour demain mais la Big One Crise n’est plus très loin.

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10 réactions à cet article    


  • Aiane Aiane 6 mars 2014 15:40

    Excellente analyse et je partage vos craintes. Tout simplement parce que les Etats-Unis sont actuellement affaiblis économiquement parlant par la montée d’économies émergentes. Il se doivent, pour maintenir leur emprise, d’affronter celui qui leur tient tête depuis plusieurs années : Poutine. Pour cela, ils disposent d’une aide non négligeable à savoir le caniche européen.
    Il semblerait que les peuples n’aient plus que le choix entre deux dictatures : celle de l’Est ou celle de l’Ouest. L’histoire bégaie.


    • Furax Furax 6 mars 2014 16:17

      J’ai une solution.
      Conforme à la générosité légendaire du peuple français.
      Exigeons un référendum pour demander notre sortie de l’UE et offrons la place laissée libre à l’Ukraine de BHL, Cohn Bendit, Glucksman etc.


      • Rensk Rensk 6 mars 2014 21:10

        L’Otan ne devrait pas intervenir en Crimée, mais selon le politologue russe, Alexandre Douguine..., une filiale d’Academi (ex-Blackwater), Greystone Limited, a débuté son déploiement en Ukraine !!!

        Les mercenaires arriveraient par groupe, en civil, avec de lourds paquetages, à l’aéroport de Kiev, d’où ils seraient envoyés vers Odessa.


        • COLLIN 7 mars 2014 05:10

          C’est tout à fait possible,mais j’imagine que Vladimir le Grand doit les suivre et les surveiller comme le lait sur le feu...

          Il doit disposer de quelques informateurs sur le terrain....

          Je crois même,qu’en tant que joueur d’échecs,contre ces cowboys joueurs de poker,il a quelques coups d’avance....

          D’où son calme,assez remarquable,dans cette situation...


        • Rensk Rensk 6 mars 2014 21:47

          Le Général français Vincent Desportes :

          - La Russie ne viole aucune loi, qu’elle soit internationale ou autre, selon les accords signés avec l’Ukraine, la fédération est autorisé à disposer d’une force de 25 000 hommes sur le territoire ukrainien, actuellement, même avec les derniers mouvements de troupes, les forces russes ne s’élèvent pas à plus de 15 000 hommes en Crimée, comme le souligne le Général français nous sommes encore loin du compte, d’autre part, le Général souligne le fait que l’Ukraine ne fait ni partie de l’Europe, ni de l’Otan, de ce fait, ni l’UE ni l’Otan ne sont disposés ou autorisés à intervenir en Ukraine."


          • filo... 6 mars 2014 22:50

            USA applique la « fameuse » théorie de Z. Brzezinski. Et justement là se cache un grand danger.

            Ce type a été le conseillé de Jimy Carter (le meilleur président que les américains ont jamais eu) Il a été à l’origine de l’intervention militaire américains en Iran pour libérer les otages de l’ambassade. C’était un fiasco total. Et ses conseils « éclairées » ont provoqué la chute de Jimy Carter dans l’opinion publique et son non réélection comme président des USA.

            Zbignew Brzezinski est un fou et un psychopathe. Il risque d’entrainer pas seulement les USA mais aussi UE (ces caniche américains) dans un désastre, un conflit généralisé dont les conséquences sont totalement imprévisibles.

            Après la Syrie c’est Ukraine et ensuite....

            Danger d’un dérapage sont réels.

            U.S.A. ont besoins des guerres en permanence pour exister, se nourrir ; comme des charognards. Il sont persuadés qu’ils peuvent exister seulement en dominant les autres.

            Erreurs évident !

            Ce qui m’enquête également ce sont des mensonges éhontés des américains et européennes quasi permanentes.

            Où vont ils en venir en agissant comme ça ?

            Je ne vois pas quelle est logique là dedans ?

            Où c’est simplement une fuite en avant ?


            • redrock redrock 6 mars 2014 23:48

              @filo
              Quelle logique ?
              c’est la logique de crise et de fuite en avant, les deux étant toujours liées dans les périodes de troubles profonds.
              Tout notre système économique, monétaire, financier repose sur la pointe de la pyramide de dettes et de produits financiers qui ne peut que s’écrouler.
               Qui va payer ?
              Une saine régulation rationnelle voudrait que l’on reprenne l’argent là où il s’est accumulé mais il faudrait pour cela casser les lobbies alors , pour faire payer les peuples on se lance dans des aventures plus ou moins guerrières qui permettront de faire passer les pilules de plus de sacrifices et de contraintes.
              De grosses tensions géopolitiques et des postures militaires sur fond d’armements technologiques ne sont pas si mauvaises pour les sondages.
              Les vieilles recettes, les plus éculées de la propagande, sont toujours aussi efficaces :
              les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme contre la dictature et l’axe du mal envahisseur ; agitez le tout le plus souvent possible avec une forte dose de désinformation et cela finit par marcher... surtout si on organise une ou deux provocations bien ciblées ...


            • epicure 7 mars 2014 18:14

              un eu comme mein kampf en somme, où hitler avait tout dit sur ses plans politiques, mais peu de monde en a tenu compte.


            • millesime 7 mars 2014 14:40

              @l’auteur
              très bonne analyse de la situation.. !
              quelques remarques : c’est qui et c’est quoi la « communauté internationale » ???
              les intérêts de la Russie et des Etats-Unis sont tout simplement divergents ..quant à l’ Europe (Fuck the UE) a dit une américaine non ?
              Nous avons affaire ici à une lutte acharnée entre grandes nations autour de sujets stratégiques comme la domination mondiale, l’ordre économique, la lutte pour l’accès aux matières premières et en particulier énergétiques etc.. ;
              Poutine a parfaitement conscience de sa politique en Ukraine...si la Russie se laisse faire, cela reviendrait à abdiquer toute idée de puissance nationale et d’indépendance de la Russie face à l’ Empire américain. Nous sommes dans des enjeux quasi-vitaux pour l’existence de la Russie. Obama le sait fort bien, de même que les dirigeants européens, de sorte que Poutine ne lâchera RIEN ... !

              http://millesime57.canalblog.com


              • tatiana russe 8 mars 2014 17:50

                A plusieurs reprises le pro-russe Pavel Gubaryov a organisé l’assaut de la mairie de Donetsk, le fief de Yanukovitch : une ville qui est sensée d’être acquise à Poutine car les habitants sont majoritairement russes...

                Qui est cet homme qui essaye de transformer Donetsk en deuxième Crimée ?

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