Grèce : le mensonge européen
La crise grecque est résolue. Les médias mettent en avant l’unité européenne, et l’euphorie qui s’est abattue sur les marchés lundi 10 mai 2010. Pourtant, la solution à la crise grecque n’a pas été permise par l’unité politique de l’Europe. En réalité, ce mensonge convenu cache le rôle crucial du problème de Chypre dans les affaires grecques, mais également la collusion entre intérêts privés et autorités publiques dans notre belle Europe.
D’où vient la dette grecque ? De plusieurs facteurs : des déficits chroniques, liés à une faible compétitivité des entreprises grecques, mais également de son budget militaire, qui constitue 4,6% de son P.I.B. en 2002 (4,3%, selon Daniel Cohn-Bendit, dans une sulfureuse intervention au Parlement européen en février 2010), soit 3,5 milliards d’euros en 2002. A titre de comparaison, le ratio budget militaire/ PIB en France est de 2,5%, celui du Royaume-Uni de 2,4% la même année, celui des États-Unis de 2,9%. C’est le budget militaire le plus lourd du monde, quand on le compare à la richesse nationale.
- Turquie/ Chypre
- Réunion entre le président turc et le président de la partie turque de Chypre.
Pourquoi ce budget est-il aussi élevé ? A cause du contentieux qui existe entre la Turquie (qui a elle-même un très haut budget militaire) et la Grèce concernant Chypre, petite île occupée par des Turcs au Nord et par des Grecs au Sud. Le conflit implique une forte présence militaire de la Grèce d’une part, solidaire de l’État chypriote officiel d’une part, et de la Turquie d’autre part, solidaire de l’État de Chypre du Nord turc, État que seule la Turquie reconnaît. D’où, pour la Grèce, un budget militaire colossal pour un pays déjà lourdement endetté. Cette situation financière a poussé les entreprises de notation financière à abaisser la note de la dette Grecque...
Que font les entreprises de notation (Standard and Poor’s, Moody’s, etc.) ? Elles évaluent les capacités de l’État grec (ainsi que de toutes les grands agents emprunteurs) à rembourser ses emprunts auprès des marchés, en lui attribuant une note (AAA étant la plus forte note)...
Quelles sont les conséquences de cette baisse de la note des emprunts Grecs ? Les marchés financiers, où se rassemblent les prêteurs d’argent, utilisent les évaluations des agences de notation pour savoir si elles peuvent raisonnablement prêter à un agent (Etat, entreprise, etc.), et à quel prix (taux d’intérêt). Baisser la note de la dette grecque revient à augmenter les intérêts que la Grèce devra payer pour ses emprunts, parce qu’elle est considérée comme moins solvable. Cela augmente encore le coût de la dette (effet « boule de neige »). Elle risque, en l’absence d’argent, de payer ses fonctionnaires avec des chèques en bois...
Pourquoi les Etats-membres de la zone Euro ont-ils dû réagir ?
La « faillite » d’un État membre de la zone euro pèse sur la confiance dans cette monnaie, ce qui fait baisser son « prix » par rapport aux autres (le dollar, le yen). On appelle cela une « dépréciation », et cela a des conséquences sur le coût des importations et des exportations. A moyen terme, cela peut baisser les prix des produits exportés (effet compétitivité-prix), mais cela alourdit le coût des produits importés.
Mais à court terme, une « attaque spéculative » peut remettre durablement en cause la confiance en l’euro, jusqu’à remettre en cause son existence et son fonctionnement (c’est improbable, mais théoriquement possible). Par conséquent, les gouvernements européens ont dû faire tout leur possible pour assurer les marchés – en quelque sorte – qu’ils allaient soutenir la Grèce, avec un plan d’aide.
Conséquences sociales
Pour bénéficier d’une aide financière européenne (et du Fonds Monétaire International, FMI), la Grèce devra engager des coupes budgétaires sombres : réduire le nombre de fonctionnaires, baisser les allocations sociales, réduire les salaires des fonctionnaires, etc. Le pouvoir d’achat des Grecs, y compris des plus pauvres (surtout des plus pauvres) pourrait bien en pâtir lourdement. Le risque politique existe alors et pourrait avoir des conséquences importantes : émeutes, coup d’État... Sans compter qu’outre la casse sociale, le nationalisme grec pourrait s’en retrouver renforcé.
Résumé
Trois éléments-clés :
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Le problème chypriote alourdit considérablement la dette grecque.
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Cette dette grecque pèse désormais sur la monnaie européenne.
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On sait enfin qu’il est possible de régler le problème chypriote d’un point de vue européen, parce que Chypre est un État de l’Union.
Pourquoi ne nous engageons-nous pas pour vider le contentieux entre la Grèce et la Turquie sur l’île de Chypre
Selon Daniel Cohn-Bendit, l’aide à la Grèce a été conditionnée d’un maintien des contrats d’armements entre les Etats français et allemands (interview sur France Info, le 7 mai 2010), les entreprises françaises et allemandes d’armement, et l’État Grec acheteur (3,5 milliards d’euros de budget militaire en 2002 !). En quelque sorte, il est « profitable » pour les entreprises d’armement européennes que se maintienne une situation de ce conflit « idiot » à Chypre, qui génère chaque année des milliards d’euros de chiffre d’affaire. Les gouvernements français et allemands semblent soutenir leurs entreprises d’armement : tant pis si la Grèce coule.
Quand bien même la déclaration de Daniel Cohn-Bendit serait "infondée" (selon Matignon), pourquoi n’entendons-nous personne qui demande la réduction du budget militaire grec ?
Quel est notre pouvoir sur ce scandale ?
Mon opinion est la suivante : tant que les citoyens européens ne sont pas au courant de ce fait, rien ne peut être engagé par ces mêmes citoyens pour soutenir le peuple Grec. La première chose à faire est d’en parler, d’écrire des articles et de se rencontrer pour agir, pour faire pression sur le Parlement européen, sur la commission européenne et sur les gouvernements nationaux, pour que cesse cette iniquité et que l’on règle le contentieux entre la Grèce et la Turquie.
C’est la seule solution, mais elle reste improbable, compte tenu des intérêts colossaux en jeu dans cette affaire d’une part, et d’autre part compte tenu des soutiens politiques irresponsables qui les protègent.
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