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Accueil du site > Actualités > Europe > Il y a 30 ans, le Tunnel sous la Manche

Il y a 30 ans, le Tunnel sous la Manche

Prouesse technique mais aussi politique, l'ouvrage relie la Grande-Bretagne à l'Europe plus solidement que les liens juridiques qui pouvaient les unir au sein de l'Union Européenne entre 1973 et 2020. La liaison Paris-Londres ne dure plus que 2 heures 15, le temps mis parfois pour traverser la seule capitale française aujourd'hui.

Serpent de mer depuis plus de deux siècles, le Tunnel sous la Manche a été inauguré en grandes pompes à Calais il y a trente ans, le 6 mai 1994. François Mitterrand, Président de la République française, et la reine du Royaume-Uni Élisabeth II étaient au rendez-vous de cette célébration d'un ouvrage exceptionnel qui unit non seulement la Grande-Bretagne et la France, malgré les vicissitudes historiques, mais aussi la Grande-Bretagne et tout le continent européen (ou le continent britannique et toute l'île européenne). Il est ouvert au service commercial depuis le 1er juin 1994 avec l'exploitation de la ligne TGV Eurostar (LeShuttle).

Le Chunnel (Channel Tunnel) s'étend d'une longueur de 50,5 kilomètres (31,4 miles), dont 37,9 sous la mer (23,5 miles), ce qui en fait le plus long tunnel sous-marin du monde (mais pas le plus long tunnel du monde : le Tunnel du Seikan entre Honshu et Hokkaido fait 53,9 kilomètres de long). Il est composé de trois tubes, deux tubes ferroviaires de diamètre 7,6 mètres et un tube de service de diamètre 4,8 mètres, reliés régulièrement. Chaque tube contient une voie ferrée (un dans chaque sens). Si les extrémités du tunnel correspondent à des autoroutes (l'A16 à Coquelles en France, qui va vers Amiens, et la M20 à Folkestone en Angleterre, qui va vers Londres), il n'est pas possible de rouler soi-même dans le tunnel qui reste un transport exclusivement ferroviaire, desservi, pour les automobilistes, par le service navette d'Eurotunnel (la traversée dure environ 35 minutes).

Le génial Georges Méliès a réalisé un court-métrage, "Le Tunnel sous la Manche ou le Cauchemar franco-anglais" (sorti le 30 juin 1907), où le roi Édouard VII et le Président français Armand Fallières rêvaient d'un tunnel mais le rêve est devenu cauchemar avec la collisions de deux trains et la destruction du tunnel... mais ce n'était qu'un film fantastique ! L'ouvrage réel n'a pas connu cet angoissant cauchemar et est à la fois un exploit technologique et un exploit politique.

L'exploit politique n'est pas mince. Les Anglais n'étaient pas mécontents d'avoir la Manche comme rempart face aux éventuelles invasions continentales. Les guerres napoléoniennes n'ont pas contribué à vouloir unifier ces deux parties d'Europe. Le premier accord politique a eu lieu autour d'un projet technique commun approuvé par la reine Victoria et l'empereur Napoléon III en 1867, mais la guerre et la chute de l'empire français n'ont pas permis d'y donner suite. C'est dans l'impulsion du Traite de Rome, que l'idée politique a fait son cheminement.

Un groupe d'études a même été lancé le 26 juillet 1957 et les deux gouvernements britanniques et français ont lancé un appel d'offres dix ans plus tard. Peu avant, on retrouvait dans la célèbre bande dessinée Astérix ("Astérix chez les Bretons", histoire publiée dans "Pilote" du 9 septembre 1965 au 17 mars 1966) un allusion d'Obélix à ce tunnel, et le héros grand-breton Jolitorax se contentant de dire : « On en parle chez nous, de ce tunnel ; on a même commencé à le creuser mais ça risque d'être assez long. Plutôt. ». Un maître d'œuvre a été désigné le 22 mars 1971, et un traité a même été prévu entre les deux pays (le Traité de Chequers signé le 17 novembre 1973 par Michel Jobert et Alec Douglas Home) pour assurer l'aspect juridique des travaux, mais le gouvernement britannique (travailliste) a dû abandonner l'idée le 20 janvier 1975 (alors que le Royaume-Uni venait d'adhérer à la Communauté Économique Européenne) en raison de la grave crise économique qui a secoué la Grande-Bretagne.
 

C'est l'arrivée de François Mitterrand à l'Élysée qui a relancé la machine (le nouveau Président ne se préoccupant pas nécessairement de la bonne gestion des finances publiques !). C'est surtout son Ministre d'État, Ministre des Transports, le communiste Charles Fiterman qui lui a soufflé l'idée de relancer le projet pour consolider l'amitié franco-britannique à la veille du premier sommet franco-britannique du septennat les 10 et 11 septembre 1981. Pour François Mitterrand, c'était aussi l'occasion de réaffirmer sa foi en l'Europe, avec une construction concrète. Le choix d'un tunnel uniquement ferroviaire a été fait. Margaret Thatcher, qui se méfiait des syndicalistes de la British Rail, aurait toutefois préféré un tunnel autoroutier.

Quatre projets techniques ont été proposés dont certains qui étaient un "assortiment" de pont et de tunnel, et le choix d'Eurotunnel a été fait le 20 janvier 1986 (par François Mitterrand et Margaret Thatcher), reprenant le projet initial des années 1960-1970 à base de deux tubes plus un, pour un coût estimé (!) de 30 milliards de francs, soit 4,3 milliards d'euros (c'était aussi le moins cher à l'origine). Le Traité de Canterbury, signé le 12 février 1986, finalisait l'ensemble du projet et de la coopération franco-britannique (en définissant en particulier la frontière entre les deux pays), puis l'Accord de concession du Tunnel sous la Manche signé le 14 mars 1986 à Paris, pour une durée initiale de cinquante-cinq ans, prolongée de dix ans le 5 février 1994, puis de trente-cinq ans le 12 juillet 1999, soit une durée totale de quatre-vingt-dix-neuf ans.

Au-delà des choix techniques, il y a eu beaucoup de différends stratégiques à régler entre les deux pays avant d'aboutir à un accord. En particulier, Margaret Thatcher refusait toute intervention pécuniaire des États dans l'affaire et en particulier, refusait de donner une garantie financière des deux États au consortium chargé de réaliser le tunnel (Eurotunnel).

L'exploit technologique de relier sous la mer les deux rives est évident. L'idée d'origine viendrait du géographe Nicolas Desmarest en 1750, puis plusieurs autres projets ont vu le jour, surtout intellectuellement. Celui d'Eurotunnel visait à creuser trois tubes, deux tubes d'exploitation, un pour chaque sens, un voie ferrée dans chaque tube, et un tube de service pour la sécurité et la maintenance.

Les travaux ont duré six ans, entre le 15 décembre 1987 et le 10 décembre 1993. Il y a eu beaucoup de problèmes techniques à résoudre au cours de l'évolution du chantier (étanchéité d'eau, de pression, alimentation en air, en énergie, nature des couches géologiques, sécurité incendie, etc.). Il a fallu creuser jusqu'à 75 mètres sous le niveau de la mer, dans une couche de craie formée il y a 100 millions d'années.
 

Onze tunneliers, chacun de plus d'un millier de tonnes en moyenne (à eux onze, ils pesaient plus que la Tour Eiffel), ont été mobilisés pour creuser au rythme de 76 mètres par jour (ce genre de machines est utilisé en ce moment dans les travaux du Grand Paris, en particulier pour la ligne 18 qui reliera Orly à Saclay en 2026, puis Versailles en 2030). 30 000 personnes, des ingénieurs, des techniciens et des ouvriers, ont participé à la construction de l'ouvrage. Margaret Thatcher a encouragé la reconversion des mineurs dans ce projet pharaonique après la fermeture des mines de charbon. Pour l'anecdote, Eurotunnel a vendu l'un de ses tunneliers (de 580 tonnes) en avril 2004 à la société eBay pour la modique somme de 40 000 livres sterling.

La première jonction franco-britannique dans le tunnel de service (chacun creusant depuis son pays) a eu lieu le 1er décembre 1990 à 12 heures 12 par le Français Philippe Cozette et l'Anglais Graham Fagg ; les deux ouvriers du chantier se sont serré la main pour symboliser le lien nouveau qui unit désormais les deux pays. La jonction des deux tunnels d'exploitation a eu lieu en mai et en juin 1991.

Plusieurs types de lignes sont exploitées dans le tunnel : des TGV uniquement de voyageurs, d'autres pour des automobilistes et leur véhicule, d'autres pour acheminer les camions ou les marchandises plus généralement. La vitesse maximale autorisée dans le tunnel est de 160 kilomètres par heure, ce qui fait une durée moyenne de 35 minutes. Plus de 300 trains empruntent le tunnel chaque jour, soit un train toutes les trois minutes. 21 millions de personnes traversent le tunnel chaque année.

Le 27 juin 2006, Eurotunnel a célébré la traversée du 100 millionième voyageur. En juillet 2010, c'était celle du 250 millionième voyageur. En 2013, le tunnel a fait traverser 2,5 millions de véhicules de tourisme et 1,4 million de camions. 325 millions de voyageurs ont utilisé le tunnel dans les vingt premières années d'exploitation (soit près de cinq fois la population française). Pas seulement les humains : le 18 mai 2017, LeShuttle (le train d'Eurostar) a transporté son deux millionième animal de compagnie depuis que c'est possible en 2000 avec le Pet Travel Scheme.

L'aspect financier a souvent été pointé du doigt car le Tunnel sous la Manche a été un gouffre financier, et si le choix de faire un tunnel exclusivement ferroviaire était une préférence française, celui de renoncer à toute subvention publique était une préférence britannique. Ce qui fait que les contribuables n'ont (finalement) pas été lésés ; en revanche, les actionnaires, si.

En tout, la construction du tunnel a coûté 12,5 milliards d'euros (au lieu des 4 prévus, soit trois fois plus cher). En novembre 1987, l'action d'Eurotunnel était proposée au prix de 35 francs (5,34 euros). La rentabilité a été beaucoup plus longue que prévue car en 1995, le trafic était prévu à 30 millions de passagers chaque année et il n'était en fait que de 7 millions. Le prix de l'action a donc sans cesse chuté, aussi en raison des surcoûts des travaux, si bien qu'il était à moins de 1 euro en 1996. De nombreux "petits" actionnaires ont perdu leur investissement, parfois toutes leurs économies. Mais les patients ont quand même gagné, puisque Eurotunnel a réalisé son premier bénéfice en 2008 avec 40 millions d'euros de résultat net, ce qui a permis le versement aux actionnaires, pour la première fois, d'un dividende de 0,40 euro par action. Eurotunnel a franchi le milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2013 avec un bénéfice de 101 millions d'euros.

Le Tunnel sous la Manche a complètement changé les habitudes des Européens, et surtout des Britanniques (très majoritairement les usagers), en rapprochant le continent de l'île. Et paradoxalement, son exploitation n'a pas réduit les activités maritimes dans la Manche. C'est un exemple du triomphe de l'humain sur la Nature... mais aussi de l'humain sur lui-même, car il a fallu d'abord se faire confiance mutuellement et considérer que jamais plus il n'y aura de guerre entre la France et la Grande-Bretagne.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 mai 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le Tunnel sous la Manche.
Débat Valérie Hayer vs Jordan Bardella : l'imposture démasquée de Coquille vide.
Il y a 20 ans, l'élargissement de l'Union Européenne.
La convergence des centres ?
Élections européennes 2024 (1) : cote d'alerte pour Renaissance.
Valérie Hayer, tête de la liste Renaissance.
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Le 8 mai, l'émotion et la politique.
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23 réactions à cet article    


  • amiaplacidus amiaplacidus 6 mai 15:49

    P’tain Rakoto, il faut vous secouer. La nécro de Bernard Pivot devrait déjà être déjà le site.

    Décidément, vous ne méritez pas vos appointements.


    • Seth 6 mai 15:56

      @amiaplacidus

      Il a toujours quelques retards pour les nécros si elles n’étaient pas prêtes à l’avance.

      Ainsi on a du attendre pour Auster le temps qu’il se rencarde qui c’était.

      En plus Pivot c’était, à tort ou à raison, une image progressiste des 70, c’est pas la cup of tea de rakoko, il préfère les balladur. smiley


    • Seth 6 mai 16:02

      @Seth

      Et puis en parlant de Balladur, il avait été justement fort question de petites actions Tunnel qu’il détenait pour arrondir ses fins de mois. Mais c’est de l’histoire ancienne et ça ne choque plus personne...


    • Sirius Sirius 6 mai 16:07

      @amiaplacidus

      Pivot n’a pas besoin de Rakoto, ni du Panthéon, il est déjà sur la Fresque des Lyonnais.



    • ZenZoe ZenZoe 6 mai 17:59

      @Seth
      ’’Ainsi on a du attendre pour Auster le temps qu’il se rencarde qui c’était.’’

       smiley smiley
      Langue de vipère !


    • Durand Durand 7 mai 10:53

      @amiaplacidus

      « P’tain Rakoto, il faut vous secouer. La nécro de Bernard Pivot devrait déjà être déjà le site. »

      Mieux vaut qu’il ne les écrive trop à l’avance…, faudrait les abattre !

      ..


    • Sirius Sirius 6 mai 15:59

      Il y a 2000 ans, le Pont du Gard


      • Seth 6 mai 16:05

        @Sirius

        ... qui est un aqueduc rosemarien : ça servait à amener l’eau à Nîmes. smiley


      • Sirius Sirius 6 mai 16:14

        @Seth

        c’est pour ça que Rosemar demande plus d’écus pour son Gard


      • Seth 6 mai 16:24

        @Sirius

        Chais pas si elles les obtient... smiley


      • Seth 6 mai 16:35

        @ Sirius

        c’est pour ça que Rosemar demande plus d’écus pour son Gard

        Surtout si elle a une chute de pâte....


      • Seth 6 mai 17:06

        @Seth

        On peut dire ce qu’on veut sur elle/il, hors des ses transcription de l’ORTF, elle/il ne s’intéresse à rien.

        Si tant est qu’elle/il existe vraiment...


      • cevennevive cevennevive 6 mai 16:26

        Imaginez qu’il y ait un tunnel sous la Méditerranée...

        Relier l’Europe à l’Afrique...


        • Seth 6 mai 16:51

          @cevennevive

          Entre Gibraltar et le nord du Maroc vers Ceuta c’est sans doute possible...


        • amiaplacidus amiaplacidus 6 mai 17:14

          @Seth

          Sans doute pas possible. Profondeur minimale du détroit de 250 m., allant jusqu’à 1000 m.
          Éventuellement un tunnel ne reposant pas sur le fond, mais immergé. Je ne sais pas si les technologies actuelles le permettent.

          Contre 30 à 40 m. pour la Manche.


        • ZenZoe ZenZoe 6 mai 18:00

          @bonjour cevennevive
          Ah, ne parlez pas de malheur !!! (vous vouliez dire relier l’Afrique à l’Europe plutôt non ? smiley )


        • ZenZoe ZenZoe 6 mai 18:08

          J’ai connu la traversée de la Manche en ferry, c’était chouette aussi, plus aléatoire selon les aléas du temps, mais un vrai bonheur de s’accouder au bastingage et regarder s’approcher les côtes en écoutant les mouettes (ou autres zoizeaux, je ne suis pas spécialiste), ou alors d’aller boire un café au bar s’il faisait gros temps et discuter avec les autres passagers, de vraies rencontres multiculturelles. Oui, c’était super, mais tout ce qui date des années 70 était super je trouve.


          • Samy Levrai Samy Levrai 6 mai 19:49

            Ceux qui y ont investi ont tout perdu comme pour tout les grands travaux.


            • ETTORE ETTORE 6 mai 21:14

              «  »Prouesse technique mais aussi politique, l’ouvrage relie la Grande-Bretagne à l’Europe plus solidement que les liens juridiques qui pouvaient les unir au sein de l’Union Européenne entre 1973 et 2020.«  »

              ....................................................

              Dites Rakoto, maintenant que les Britons, on quitté votre your Hope...

              On remblaye ?

              Alleeez, dites oui ! Au moins un côté, alleeez soyez pas borné, c’est qu’un trou !

              Puis on y lâcheras votre commanditaire, pour faire la CIR/CUL-lation ! Dac ?


              • ETTORE ETTORE 6 mai 21:17

                Rakoto...

                Vous devriez PIVOTer plus vite.....

                Mêmes les refroidis, vous prennent de vitesse !

                Franchement ?


                • zygzornifle zygzornifle 7 mai 09:01

                  Beaucoup font la manche et ne voient plus le bout du tunnel depuis que la macronnie a envahie le pays ....


                  • zygzornifle zygzornifle 8 mai 08:43

                    Le tunnel sous la manche est un rêve pour les migrants, aller en Angleterre a la vitesse d’un TGV au lieu de crever en se noyant suite au naufrage d’une embarcation de fortune ....

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