Immigration : retour sur une directive européenne
Le 18 juin 2008, le Parlement de l’Europe des 27 vote la Directive « retour » qui prévoit la possibilité d’un enfermement des migrants sans papier jusqu’à 18 mois avant leur expulsion ou leur « éloignement » et la possibilité de les rapatrier dans un pays autre que leur pays d’origine. Femmes et enfants ne sont nullement épargnés par ladite directive !
Deux jours après, soit le 20 juin 2008, le monde commémorait la « Journée internationale des réfugiés ». Le 21 juin 2008, sur RFI, M. Brice Hortefeux, ministre français de l’Immigration, se félicite du nombre élevé des refoulés pour le mois de mai, évalués à 29.000 personnes, alors que l’objectif affiché du gouvernement français était d’arriver à 25.000 expulsions d’illégaux par an autrement dit l’objectif a été largement dépassé.
Un tel concours de circonstances n’est pas fortuit et ne pouvait étonner personne, car l’immigration a toujours été l’un des thèmes favoris du candidat Sarkozy.
Il y a lieu de relever que ce vote du Parlement européen, passé presque inaperçu en Afrique a, par contre, suscité émoi et vives réprobations en Amérique latine. Le président bolivien, Eva Morales Ayma, l’a qualifiée de « directive de la honte », tandis que le président vénézuelien, Hugo Chavez a de son côté demandé « de jeter de toute son âme cette directive de retour regrettant que l’Europe soit actuellement dominée par des courants de droite et d’extrême droite, certaines d’entre elles très proches du fascisme et de l’ultranationalisme ».
Par ailleurs, selon certains observateurs, ladite directive est passée facilement pratiquement à l’unanimité, au Parlement européen grâce au vote massif des socialistes européens. Eux qui pourtant, avaient toujours incarné les valeurs de liberté, de fraternité, d’égalité et de progrès.Ce scrutin démontre, si besoin en était, que le temps des liens historiques privilégiés et des réseaux entre l’Europe des 6 ou des 12 et l’Afrique est révolue avec l’entrée en scène de l’Europe des 27, dont les orientations politiques sont forcément différentes.
Jamais thème n’a suscité autant de passions et de débats en Europe et de par le monde que l’immigration, au point de devenir un enjeu politique et social de taille et un fonds de commerce fructueux de tous les hommes politiques en mal de renommée, de l’extrême droite au centre gauche.
En fait, pour P. Bernard, l’irruption de ce thème dans le débat social en France en particulier et en Europe en général, date des années qui ont suivi « mai 68 » années au cours desquelles les groupes d’extrême gauche ont tenté et réussi de défendre la cause des travailleurs immigrés, vu leurs mauvaises conditions de travail et de logement.
Mais l’histoire de l’immigration en France est aussi jonchée de petites phrases assassines des hommes politiques de droite comme de gauche qui ont fait mouche en leur temps sur les travailleurs immigrés. Des « odeurs » des immigrés de Chirac, à « l’invasion » des immigrés de Mr Giscard d’Estaing, en passant par les « zones d’attente » de Mr Paul Quilès et les « charters » de Mme Cresson, sans oublier -et plus près de nous-, la « racaille » des banlieues de M. Sarkozy. Avouons que sur ce terrain-là, la ligne de démarcation entre gauche et droite est difficile à cerner ! Et c’est justement dans ce contexte que le Front national trouva, en 1984, un terreau fertile lui préparé par la classe politique française.
Contrairement aux idées répandues, l’analyse des données sur l’immigration dans le monde appelle à nuancer certains jugements- tant les réalités sont différentes - pour ne pas créer l’amalgame entre l’immigration officielle, qui répond à certains impératifs socio-économiques des pays du Nord, et l’immigration illégale ou clandestine qui est essentiellement due à la pauvreté dans les pays du Sud.
Selon l’Office international des migrations (OIM), sur les 6 milliards d’êtres humains de la planète, on estimait à 191 millions le nombre de migrants dans le monde en 2005, soit 3% de la population mondiale, en progression de 176 millions par rapport à 2000.
En 2005, les femmes migrantes représentaient 19,6 % de l’ensemble des migrations, dans le monde. En d’autres termes, sur 10 migrants dans le monde, près de 2 sont de sexe féminin.
Dans le monde, quelque 30 à 40 millions de migrants se trouvent en situation illégale, ce qui représente environ 15 à 20 % de la population mondiale des migrants. En France, on estime ce nombre à 400.000 immigrés illégaux, et chaque année, le flux migratoire est de 100.000.
Par contre, en 2007, on dénombrait 26 millions de déplacés internes répartis dans 52 pays, contre 24 ,5 millions dans 52 pays un an plus tôt. Quant au nombre total de réfugiés, il a atteint, en 2007, le chiffre estimatif de 10,4 millions de personnes dans le monde.
Toujours en 2007, on estime que les rapatriements de fonds effectués par les migrants ont dépassé le chiffre de 337 milliards de dollars américains sont 251 milliards sont allés aux pays en développement, soit 74 %. Non compris les rapatriements informels.
Par ailleurs, ces dernières années, les tendances suivantes ont été observées par l’OIM au niveau des flux migratoires dans le monde :
- Bien que le nombre de migrants asiatiques soit passé de 28,1 millions en 1970 à 43,1 millions en 2000, la part des Asiatiques dans la population migrante mondiale a en fait reculé, passant de 34,5 à 25 % durant la même période ; pour la période allant de 2000 à 2015, il y a de fortes chances que ce nombre puisse augmenter de manière substantielle suite à l’essor prodigieux des économies asiatiques, notamment celles de la Chine et de l’Inde ;
- le nombre d’Africains se trouvant hors de leurs frontières à lui aussi diminué passant de 12 % en 1970 à 9 % en 2000 ; d’autres auteurs l’estiment à 35 millions (3) ; chiffre qui soit être revu à la hausse pour l’horizon 2015, compte tenu de l’accroissement de la pauvreté et à la multiplication des conflits ;
- seule l’Amérique du Nord et l’ex-URSS ont enregistré une augentation brutale des migrations entre 1990 et 2000, la proportion étant passée de 15,9 % à 23,3 %, en ce qui concerne l’Amérique du Nord et de 3,8 % à 16,8 %, ce qui concerne l’ex-URSS. Dans ce dernier cas cependant, cette augmentation s’expliquerait davantage par le nouveau tracé des frontières, après l’implosion du pays que par des mouvements réels de population ;
- la région du monde qui détenait en 2005 le pourcentage élevé des migrants est l’Europe avec 64,1 millions, suivie de l’Asie avec 53,1 millions et de l’Amérique du Nord avec 44,5 millions. L’Afrique vient en 4ème position avec 17,1 millions de migrants ;
- les trois principaux pays exportateurs de migrants en 2008 sont : la Chine avec 35 millions ; l’Inde avec 20 millions et les Philippines avec 7 millions ;
- les pays traditionnels d’immigration sont : l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis, tandis que les nouveaux pays de destination des migrants sont ; l’Irlande, l’Italie, la Norvège et le Portugal.
- par contre, les pays dont la population en 2000 était constituée de migrants internationaux pour plus de 60% sont : Andorre, Macao, Guam, Saint-Siège. Monaco ; Qatar et les Emirats arabes unis. La quasi-totalité de ces pays, au moins 5, sont curieusement des paradis fiscaux.
UN JUTEUX MARCHE
Une immigration en appelle une autre qui, celle-là, est financière et va dans le sens contraire, c’est-à-dire du Nord vers le Sud, donc intéressante aussi pour le capitalisme.
En effet, sur un pactole de 337 milliards de dollars des fonds rapatriés par les migrants en 2007, soit près de trois fois le montant de l’Aide publique au développement, il ne pouvait y avoir meilleur opérateur qu’une entreprise du Nord pour faire ce type de transactions.
Ce marché de transferts de fonds des émigrés, qui est appelé à croître dans les dix prochaines années, vers leur pays d’origine, considéré à juste titre comme une « mine d’or » par les experts financiers, est dominé de bout en bout par la Western Union. Installé dans 195 pays, elle déclarait, en 2005, plus de 3 milliards de dollars de bénéfices et affichait, avec insolence, près de 10 % de croissance par an, loin devant ses concurrents immédiats Travelex et Money gram, malgré leurs faibles commissions.
Selon le Fonds Monétaire International, les migrants sont la première source de financement extérieur des pays en développement. On estime que ces derniers ont envoyé, en 2005, plus de 160 milliards de dollars vers leur pays d’origine ; une somme qui ne tient pas compte des transferts informels.
Si au Sénégal, les budgets des ménages sont constitués à 50 % par des versements de l’étranger, on estime à environ 100 mil !ions de dollars, le transfert des migrants de la RDC vers leur pays en 2005.
A ce titre, le transfert des fonds des immigrés vers leur pays d’origine, constitue sans conteste un facteur important de réduction de pauvreté par la prise en charge de toutes les dépenses à caractère social des familles restées au pays.
PERSPECTIVES
Les données de l’OIM s’arrêtent en 2000 et d’ici l’horizon 2015, sous l’effet de la mondialisation et au regard de la situation socio-économique mondiale peu reluisante de ces « Trente désastreuses » (1974-2004) du capitalisme écervelé, ponctuée par des crises récurrentes du système capitaliste, il y a lieu de craindre un accroissement substantiel de ce phénomène migratoire, qui ne représente actuellement que 3 % de la population mondiale, d’autant que la mondialisation pousse à une très grande mobilité sociale de personnes.
Or, en simplifiant le calcul, pour la période 2000-2005, soit 5 ans, la prression du nombre de migrants a été de 176 millions d’unités, et en emettant l’hypothèse d’une progression constante tous les 5 ans, on peut s’attendre, pour l’horizon 2015, toutes proportions gardées, à un accroissement du taux, qui passerait de 3 à 7 %. Le nombre de migrants passerait ainsi de 191 à 443 millions. Celui des migrants clandestins, toutes choses restant égales par ailleurs, se situerait aux alentours de 89 millions, soit plus du double. Et le problème d’immigration se poserait encore avec beaucoup plus d’acuité. Il y a lieu de noter que chaque pays, chaque région a ses spécificités dans ce domaine comme dans tant d’autres.
Par ailleurs, on assiste en ce début du 21ème siècle, dans le phénomène migratoire, à la montée en puissance de l’immigration féminine qui, à elle seule, a représenté en 2005, près de 2 femmes sur un total de 10 personnes. Ce phénomène trouve son origine dans la grande pauvreté qui sévit dans les pays sous-développés, dans les violences faites aux femmes, dans l’émancipation qu’ont connues certaines d’entre elles, mais aussi et surtout dans la multiplication des conflits dans ces pays, où femmes et enfants - personnes vulnérables par excellence- sont désormais utilisés comme arme de guerre, au nez et la barbe de la communauté internationale. Au Nord comme au Sud, en temps de guerre comme en temps de paix, les femmes et les enfants en ce troisième millénaire sont, à quelques variantes près et à des degrés différents, logés à la même enseigne.
De toute façon, il est loin l’époque - les années 70- où l’Europe dans sa très grande majorité et dans un élan de générosité et de compassion sans précédent, accueillait à bras ouvert les « boat people » indochinois.
« Autres temps, autres moeurs, dit-on. A 30 ans d’intervalle, les « boat people » africains ainsi que les « road people » asiatiques n’ont plus droit à la même compassion européenne. En lieu et place, l’Europe a construit des murailles et autres fils barbelés afin de se prémunir des « invasions » et des « odeurs » de ces « barbares » de nouveau type, oubliant qu’il y a peu, un mur peut en cacher un autre, elle célébrait avec faste et joie, la chute du Mur de Berlin. Et c’était en 1989...
Sa réussite dépendra de la capacité des différents Etats, de mettre en place des politiques appropriées et cohérentes dans ce domaine de manière à tirer le meilleur parti de ce phénomène et ce, bien évidement dans le respect de la dignité humaine et dans l’intérêt de l’humanité tout entière.
MAYIFILUA N’DONGO
ONG "DEDQ" et "CEFOTED"
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