Italie, Suisse : le lent réveil des peuples européens
Sanction de la corruption et de l'indigence de la classe politique en Italie, sanction de la cupidité des grands patrons en Suisse, l'exaspération des peuples européens monte. Dirigeants politiques et économiques entendront-ils le message ? Hubert Védrine s'alarme d'un risque post-démocratique si les élites dirigeantes continuent à faire la sourde oreille aux signaux envoyés par les électeurs.
La crise actuelle, économico-environnementale est également une crise des démocraties et du capitalisme. Concernant nos démocraties européennes, Hubert Védrine évoque une menace et une impasse post-démocratique qu'il juge "très grave".
L'ancien ministre des Affaires Etrangères, a rappelé le 1er mars sur France Culture que depuis 2010, 16 pays de l'Union Européenne ont changé de majorité avec à chaque fois une poussée "populiste" plus ou moins marquée.
Loin de jeter la pierre à ces expressions de mécontentement, Hubert Védrine relève que le référendum sur le Traité Constitutionnel Européen de 2005 a marqué ici en France une rupture entre l'ensemble des élites qui étaient pour le Oui et, les défenseurs du Non, objet d'une véritable stigmatisation.
Pour l'ancien conseiller de François Mitterrand, le risque de post-démocratie, c'est la négation des signaux et des avis divergents. C'est que, quels que soient les résultats électoraux, on continue la même politique en s'abritant derrière le célèbre acronyme TINA pour There Is No Alternative. Et Hubert Védrine d'étayer sa pensée en citant Barroso, le président de la Commission Européenne : "doit-on déterminer notre politique économique en fonction de considérations électorales ?".
La réponse est dans la question. Il y aurait d'un côté une élite éclairée, auto-désignée et de l'autre des votes démocratiques qui seraient sans effet. Cette idée que ce ne sont pas les électeurs qui définissent la ligne politique mais, les gens au-dessus, notamment à Bruxelles, constitue pour Hubert Védrine une confusion intellectuelle, conceptuelle et politique grave qui ne peut que susciter la fureur des peuples qui ont le sentiment d'être dans la nasse.
Une situation alarmante qui se caractérise par la conjonction de deux phénomènes. L'incapacité de l'UE à trouver la bonne combinaison entre assainissement des finances publiques et croissance d'une part, un système de décision avec une Commission non élue qui ne tient aucun compte du vote des gens d'autre part.
Crise du système politique mais également crise du système économique. Et ce sont nos amis Suisses avec leur démocratie directe qui la mettent au grand jour. "Le plébiscite de l’initiative contre les salaires abusifs remet en lumière un fossé, celui qui sépare les élites d’un peuple révulsé par les excès qu’a dénoncés l’antihéros de la démocratie actionnariale" peut-on lire sur le quotidien Le Temps (Genève) sous la plume d'Olivier Perrin.
De quoi le vote Suisse est-il le nom ? D'une exaspération face aux dérives du système capitaliste, où l'esprit d'entreprise a cédé le pas sur une vision purement financière hors-sol, marquée par la cupidité et l'absence de toute morale.
Provenant d'un des pays les plus prospères au monde, ce referendum prend des allures de coup de massue sur la tête de l'establishment politique et économique, incapable de prendre au sérieux le malaise suscité par les salaires et bonus excessifs.
La Tribune de Genève, qui est loin d'être un organe de presse révolutionnaire se félicite que le peuple ait mis un terme "à l’arrogance d’une nouvelle classe d’hyper-riches, intouchables, aux pouvoirs démesurés". Le Journal du Jura, parle d'une "claque magistrale" aux milieux économiques et politiques avec "un résultat sans appel (qui) démontre à quel point ces milieux sont déconnectés des réalités quotidiennes des citoyens". De son côté, Le Courrier de Genève adresse un clin d'œil à Stéphane Hessel en relevant, que "le peuple suisse est capable d’indignation".
Mais la victoire des actionnaires n'est pas encore celle des salariés. Car le système est insidieux, notamment par la dilution des responsabilités. Or qui sinon les actionnaires anonymes demandent sinon exigent une rentabilité à deux chiffres qui conduit souvent à la liquidation ou la délocalisation d'entreprises à la rentabilité jugée insuffisante ?
Si le capitalisme et nos démocraties veulent survivre, il leur appartiendra de renouer rapidement avec un minimum d'éthique. C'est-à-dire, avec un contrat social refondé.
Comment en effet ne pas voir dans le vote Suisse une sorte de bégaiement de l'histoire en référence à l'œuvre du plus célèbre des Genevois, Rousseau, l'auteur Du Contrat Social ou Principes du droit politique. Un texte majeur qui affirmait déjà en 1762 le principe de la souveraineté du peuple.
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