Kosovo : d’odieuses représailles jusqu’à l’horreur. Le Conseil de l’Europe tente de réagir.
Pour sa première session de 2011, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), prestigieuse Institution gardienne, pour 47 pays européens, du temple de la démocratie et des Droits de l’Homme, était confrontée à un épineux problème, exceptionnellement grave : « enquêter sur les allégations de traitement inhumain de personnes et de trafic illicite d’organes humains au Kosovo » et bien entendu de réagir (L’Union Européenne, UE, est dans les mêmes dispositions mais ne concerne que 27 Etats).
D’exactions vengeresses ordinaires comme la destruction de monuments chrétiens, on est probablement passé aux pires crimes qui en rappellent d’autres pas si lointains, en Europe. Un scénario tragique qui ne devrait pas manquer d’inspirer Emir Kustoriça !
Allégations ?
Elles se fondent sur les révélations de Carla del Ponte, ex-procureure générale auprès du Tribunal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), depuis longtemps précédées par des enquêtes de journalistes et par des rumeurs invérifiables dans les circonstances. Elles aboutissent à présent à un rapport sérieux et bien étayé du député suisse Dick Marty, membre de l’APCE.
Les regards compatissants sur l’attendrissante victime d’une Serbie de Milosevic déchainée, se dessillent aujourd’hui . « A bourreau ordinaire, bourreau et demi, en plus sournois » aphorise, définitif, un parlementaire français.
Un petit rappel historique s’impose pour expliquer dans quel contexte politique de tels crimes peuvent être commis.
La petite province du Kosovo, aujourd’hui état indépendant non reconnu universellement( près de 2 millions d’habitants dont 82% d ‘Albanais pour 11 000 km2), avait été intégrée à la Serbie en 1912, puis à la Yougoslavie dans sa première version en 1918.
L’éclatement de la Yougoslavie de Tito, initié par la sécession de la Slovénie en 1991, puis la guerre serbo-croate suivie de l’affrontement en Bosnie des Serbes orthodoxes et des Bosniaques musulmans et enfin une situation militaire catastrophique au Kosovo où s’affrontent la police et les forces spéciales serbes d’un côté et l’Armée de Libération du Kosovo (UCK) de l’autre, tous ces dramatiques épisodes créent un chaos inextricable, la Serbie voulant conserver sa suprématie en massant 40 000 hommes et 300 chars dans la petite province. Cette fois l’Otan se mobilise ( devoir d’ingérence oblige) . On est au printemps 1999 et les B52 inondent de leurs bombes la Serbie jusqu’à Belgrade en une pluie meurtrière et destructrice. S’en suivent le retrait serbe et la mise sous administration de l’ONU ( Bernard Kouchner, haut-représentant). De 1999 à 2008 la situation reste confuse, favorable aux sombres exactions dénoncées par le rapport de Dick Marty . Désormais c’est EULEX, dans le cadre de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) de l’Union Européenne qui assume les tâches de justice, de police et de douanes dans un Kosovo dont l’indépendance autoproclamée en 2008 n’a pas été reconnue par tous les Etats de l’ONU ni même de l’UE, notamment par les amis de la Serbie comme la Russie. Cherchez la clarté !
Si le crime est avéré ? Comment le prouver ?
Si les rumeurs, les enquêtes de journalistes comme le livre de Carla del Ponte sont connus depuis quelques années, le rapport Marty va dans le même sens, avec de nouvelles informations cette fois. Les contradicteurs sont assez nombreux cependant.
Les détails sont sordides : des Serbes du Kosovo, des Albanais accusés de collaboration et peut-être des Roms, auraient été déportés en Albanie voisine en 1998/99, emprisonnés dans de petites unités ( on parle d’une sinistre Maison Jaune) d’où ils auraient alimenté un trafic d’organes ( plus souvent des reins). Les prélèvements auraient eu lieu dans une ou plusieurs cliniques à proximité de l’aéroport international de Tirana pour une exploitation aussi rapide que possible. Ainsi « sur 6000 dossiers de disparition ouverts par la Croix-Rouge, 1400 personnes ont été retrouvées vivantes et 2500 cadavres ont pu être retrouvés et identifiés » note la résolution 1782 du Conseil de l’Europe. Mais il s’agit pour la plupart « de victimes kosovares albanaises retrouvées dans les charniers découverts dans des régions sous contrôle serbe et au Kosovo ».
Pour retrouver les personnes disparues ou en connaître le sort, la collaboration entre les acteurs potentiellement aptes à démêler cet écheveau inextricable laisse à désirer, ce que certains députés trouvent suspect en soi.
Dans ces conditions que peut faire l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, pour donner toute la mesure de son autorité morale ? Des vœux pieux sans trop d’illusions ? Une enquête trop hâtive, bâclée dans un climat de suspicion formelle ne risque-t-elle pas de faire courir le risque de voir apparaître un nouveau « révisionnisme » plus tard ?
S’adressant à l’UE et aux autres Etats contributeurs, l’APCE préconise d’étendre les compétences d’Eulex à l’ensemble des crimes liés au conflit du Kosovo et pour ce faire d’allouer les moyens nécessaires en hommes compétents et en subsides, en n’omettant pas de protéger les témoins efficacement.
Cette dernière recommandation s’adresse également à Eulex qui doit poursuivre sa mission de « faire la lumière sur les disparitions criminelles, les indices de trafic d’organes, la corruption et la collusion entre milieux mafieux et politiques »
La Serbie est invitée à « mettre tout en œuvre pour capturer Mladic et Hadzic, dont l’impunité est un obstacle au processus de réconciliation » et bien sûr, à coopérer loyalement avec Eulex comme en est instamment priée l’Albanie. Les deux pays sont membres des 47 ( Conseil de l’Europe) et leurs députés opinent. Beau programme !
De quel autre moyen disposerait-on ? Quelle mesure de coercition plus musclée ?
La vieille « poudrière des Balkans » a encore été ensanglantée, honteusement, en Europe et ce, à moins de deux heures de vol de Paris.
Antoine Spohr
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