L’accident de l’autocar Eurolines
Ce drame, survenu dimanche vers 1h30, à hauteur de Fitou (Aude) sur l'autoroute A9, a fait deux morts et une trentaine de blessés, dont le chauffeur, lorsque l'autocar assurant la liaison Marseille-Murcie a percuté la glissière de sécurité et plongé dans le talus en contre-bas des voies.
Les images marquent...on y voit le véhicule comme écrasé par un pilon, toutes ses structures déformées, disloquées, aprés plusieurs tonneaux. On pense à l'effroi des voyageurs, en pleine nuit, dans un demi-sommeil (le car avait récemment fait un arrêt à Vinassan), lorsque tout a basculé. Même avec ceinture de sécurité, quand les vitres explosent et que les bagages à main deviennent projectiles, le pire des Grand 8 n'est rien, et sans ceinture, n'en parlons pas...
Secours qui n'ont pas tardé, gyrophares dans la nuit, médecins urgentistes sur le front, et sur quelques vidéos d'actu on voit des pompiers harrassés qui ramassent encore les bagages des soutes éventrées au petit jour...
Lisant distraitement, le matin, le titre de cettte info "Accident de car meurtrier", j'ai de suite pensé à la fameuse loi des séries. Trains, cars, avions, ça commence à faire beaucoup cet été, et rien que la veille, 5 jeunes pulvérisés dans l'Aude également, en voiture. On secoue la tête tristement, toutes ces vies anéanties. Quand j'ai vu le nom de la compagnie Eurolines, le temps s'est arrété. Un immense frisson. Ce nom, je connais. Assez bien. Et ce trajet, trés bien.
Dans les années 1970, pour les immigrés Espagnols ou Portuguais, l'autocar était, hormis la voiture, le moyen idéal pour descendre au pays. L'avion était hors de prix. Le trajet en train était interminable, trois fois plus de temps, avec de multiples changements, ne serait-ce qu'à la frontière Franco-Espagnole (sans jeu de mots) à cause d'une ubuesque différence d'écartement des rails entre les deux pays. De plus en Espagne, seules les grandes villes étaient desservies en train. Enormément de petites liaisons et gares avaient été supprimées. Et pour avoir voyagé, cahoté, dans un équivalent de TER de l'époque, avec ses banquettes en bois, je ne les regrette pas. La RENFE (SNCF espagnole), beaucoup moins puissante et chargée d'histoire que son homologue Française, préférait vendre ses rails et terrains et investir dans le transport par route. Les gens s'y étaient faits aux cars, horaires multiples, pas besoin d'infrastuctures particulières à part les gares routières, et arrets à la demande devant le plus petit hameau de 20 péquenots. Bon, fallait voir les trapanels que c'était parfois ! Mais conviviaux. Ca discutaillait dans tous les sens, meme avec le chauffeur. Déjà les touristes Français de l'époque disaient qu'il y avait beaucoup de camions là-bas. Ben oui, beaucoup moins de trains aussi.
Et donc on partait de France vers Barcelone, Valence, Alicante, Grenade, Algésiras et bien d'autres escales, pour une somme modique, avec l'ancetre d'Eurolines, la compagnie IBERBUS. Ils avaient une flotte de cars trés bien pour l'époque, certains meme avec télévision et toilettes ! Le voyage se faisait toujours de nuit.
Dans les années 1980-90, j'embarquais avec Iberbus 5 à 6 fois par an. Prendre sa voiture pour faire l'Auvergne-Alicante, avec 5 jours de congés, c'était un jour de trajet, 3 jours là-bas, un autre jour de trajet... crevant. Avec eux, c'était une nuit en car, 5 jours là-bas, une nuit en car, et zéro stress ni fatigue. Iberbus avait une agence à Toulouse, rue Bayard, en face de la gare SNCF, il suffisait de traverser le canal du Midi. Pour réserver sa place, un simple coup de fil quelques jours avant. Arriver une heure à l'avance, vers 19 heures, l'agent Iberbus, un parfait bilingue, faisait le billet, étiquetait les bagages, parfois payait le café... on discutait entre voyageurs : une majorité d'Espagnols, quelques étudiants Français. Le car arrivait, les chauffeurs rangeaient les bagages au carré selon la destination, réglaient quelques paperasses, embarquement et départ ! Le choix des places était libre, mais invariablement les vieux devant, les jeunes et fumeurs derrière. hé oui !!! à l'arrière on pouvait fumer...Arrets pour prendre d'autres voyageurs à Carcassonne, Narbonne, et Perpignan. Sauf en cas de forte affluence, pour voyager sans personne à coté, je prenais mon air mal rasé pas comode et allumais une clope : méthode imparable. Puis la frontière au Perthus-La Jonquera. Meme avant l'entrée de l'Espagne dans l'Europe, les cars passaient comme une lettre à la poste. Et le car s'endormait. Enfin, non. Arret à Barcelone, et pause pipi-café toutes les trois heures. Le car sortait souvent de l'autoroute pour déposer des voyageurs dans des villes improbables, ou pour casser une première croute chez le fameux "Jacinto", vers Castellon - et encore aujourd'hui !- A 7-8 heures du mat, enfin la gare routière d'Alicante, en plein centre ville, (et une heure plus tard je faisais une bise à grand-mère).
Tout cela pour raconter que c'était une moyen de transport fiable, trés bien organisé, structuré, à des prix modestes (et quelques belles rencontres en cas de chance).
Entre 80 et 90, les choses ont aussi évolué. Imperceptiblement. Parfois c'était un autocar siglé Francebus qui nous prenait, compagnie française soeur d'Iberbus. Le logo EUROLINES, tout petit au départ, est apparu. Ca faisait moderne... Lignes Européenes... celui qui a pondu cet acronyme n'était pas la moitié d'un imbécile.
Et Iberbus, Francebus, ont disparu, remplacées par ce logo, entre 90-2000. Les dix années suivantes, les destinations se sont multipliées. Europe de l'Est, Scandinavie, Maroc... les brochures et les prix étaient alléchants. Je ne prenais déjà plus ces cars-là, préférant les destinations lointaines en avion (et mamie décédée) mais ma soeur, si. A force elle connaissait le prénom de la moitié des chauffeurs habituels. Elle habitait Valencia et venait souvent nous voir. J'allais la chercher en voiture à Toulouse, l'y amenait.
A Toulouse, tout a bien changé. Plus d'agence conviviale rue Bayard, mais un logo parmi tant d'autres sur une vitrine d'agence dans la galerie de la gare routière que je n'ai jamais vu ouverte. Les départs se faisant à 21h et les arrivées à 7h. La galerie est fermée, meme le bar pour patienter. Un distributeur à café et un écran Arrivées-Départs en bout de quais, et une ambiance lugubre dans cette gare ouverte au vent d'autan, sale, parsemée de détritus et hantée de pauvres sdf bourrés ou drogués et de trainards qui matent les bagages ou les femmes seules et un simple vigile qui fait les cent pas avec sa clope sous les panneaux Interdiction de fumer en plein vent. Les voyageurs ont changé. Sur trois espagnols il y a cinq maghrébins et deux étudiants. On attend. Le car arrive. Trés souvent siglé d'une autre compagnie qu'Eurolines. Celui-là vient de Reims, a roulé toute la journée, me dira plus tard un chauffeur. Ils sont trois. Les voyageurs qui descendent sont quasiment tous des pays de l'Est. Les soutes s'ouvrent, chacun se démerde pour récupérer ses bagages et les trainards rodent. Ca s'agglutine. Les partants attendent qu'un chauffeur dise "telle destination, soute à gauche, telle autre, soute à droite ", puis c'est la ruée pour ranger soi meme ses bagages. La " valise marocaine " de chez Tati s'entasse sur la Samsonite lustrée. Les premiers sont fiers et ralent que les suivants bousculent leur rangement nickel pour y empiler le leur... Pffff... c'est le bordel intégral, les trainards rodent toujours les yeux en coin, un chauffeur est obligé d'intervenir et éparpille un peu plus l'amoncellement façon puzzle. ( Autorisés 20 kg de bagage pour l'europe, 40 kg vers le Maroc... officiellement... grosse marrade, tout le monde a deux ou trois valises, qui se retrouvent disséminées...) et j'attends placide : l'expérience...je sais que le dernier bagage mis sera le premier sorti. Les voyageurs peuvent enfin monter. Ca pousse un peu des épaules et du coude pour etre le premier à choisir son meilleur siège. Un chauffeur les filtre au compte goutte en vérifiant chaque titre de transport imprimé sur le net ou en agence de voyage. Quand tout le monde est installé, ben...on attend. Un chauffeur est allé à la "tour de controle" et ne revient toujours pas. Je fais le tour du car sans pouvoir voir ma soeur derrière les vitres fumées. Belle bete cet engin. J'adore les rétros en forme de cornes apparus déjà un certain temps. A l'arrière droit le troisième chauffeur fume. Je remarque une ouverture jamais vue auparavant qui va du bas de caisse au haut des vitres avec le logo "Handicapé" en gros. Lui demande " Que es eso ?" Il me répond en Français :" Pfff...les nouvelles normes d'europe...un monte charge pour les fauteuils roulants..." " Ah... c'est bien ça..." et lui de rigoler : "Ouais, on s'en sert jamais ! De toutes façons dans l'espace de chargement on y a mis des sièges. Conneries tout ça". Le pilote est revenu de la tour de controle, je dis au revoir à des vitres fumées et surtout "bon voyage".
C'était il y a un an.
Juste avant d'apprendre ahuri dans la presse économique qu'Eurolines appartenait à VEOLIA TRANSPORTS, filiale de VEOLIA ENVIRONEMENT !!! J'en suis tombé sur le cul. C'est en fait un regroupement de transporteurs routiers crée à partir de 1985 de rachats en alliances et dont le siège social est...à Bruxelles ! Et que jusqu'en 2005, l'actionnaire à 50/50 était... (accrochez vous au cocotier) KEOLIS ! Ca ne vous dit rien ? Oh, juste une filiale de la SNCF !!! J'ai mis du temps à encaisser. Ne connais pas le statut actuel de cette société, qui saura me dire ?
Pour en revenir à cet accident de dimanche, un détail m'a fait tilter en lisant cet excellent journal "Le Figaro" (rire amer) et d'autres... Les chauffeurs auraient été Français, Espagnol et Ukrainien. les passagers, Français, Espagnols, Ukrainiens et Russes. C'est du grand n'importe quoi ! L'autocar n'était pas un vrai EUROLINES, en période de grands départs, ils sous-traitent à fond à des compagnies diverses et mieux disantes. Cette nuit là, c'était un car GOMEZ, de la région de Murcie, comme on peut le voir sur les photos du fronton de pare brise du car disloqué. Cette société, basée à Aguilas, travaille depuis deux ans avec Eurolines. Les trois chauffeurs étaient en fait Espagnols de Murcie, plus exactement de Fuente Alamo, Lorca, et Puerto Lumbreras. Parfois, comme me disait ma soeur, peu habitués aux parcours, avec un GPS défaillant ou des travaux et déviations, ces chauffeurs-là sont perdus, et les passagers de toujours les guident, et tout va pour le mieux.
Cette nuit là, un déséquilibré, tout juste refusé à la Légion Etrangère, a fait basculer la vie de beaucoup de gens. Depuis je pense à eux.
SOURCES :
Le Monde, Le Figaro, Levoyageur, Wikipédia, et surtout Informacion.es (journal d'Alicante), et puis tant de souvenirs...
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