L’Acte II de la Renaissance européenne selon le Président Macron, ou pourquoi la France a intérêt à un prompt accomplissement du Brexit
Le Président Macron pourra plus aisément réussir son ambition de Renaissance de l'Europe une fois que les Britanniques seront enfin sortis de l'Union. Tout en faisant de la France le leader de la finance sur le continent.

Si, pour reprendre l’excellente métaphore de Roger-Pol Droit, les économies capitalistes sont semblables à des bateaux qui tanguent plus ou moins selon l’état de la mer, traversent des tempêtes mais doivent garder le cap surtout par gros temps, actuellement le modèle libéral de la construction européenne semble prendre l’eau de toutes parts : il faut changer le cap, s’il en est encore temps !
Les Anglais (se) sont piégés au milieu de la Manche avec le Brexit. Les populistes de tous côtés du continent nous arrosent de leurs visions nationalistes qui ne sont pas toutes louables, loin de là. Ils sont appuyés en cela par les deux géants américains et chinois, ainsi que par la Russie, dont les forces s’associent de facto pour parvenir à creuser un puits de divisions en Europe aussi profond que possible afin de mieux y couler le processus d’intégration. Pendant ce temps, les français en souffrance tentent de maintenir la tête hors de l’eau en enfilant leurs gilets jaunes, interpellant notre Président de sorte que sa politique intègre bien plus significativement leurs réalités quotidiennes. Justement, au-delà de sa gestion en cours de cette crise interne, et des réponses qu’il va profiler en la matière, Emmanuel Macron est le seul Chef d’Etat de l’Union Européenne à proposer de dégager une nouvelle vision pour l’avenir en matière de politiques européennes. Peut-être celle-ci fournira-t-elle un certain nombre de clefs pour mettre un terme à toutes ces prises d’eau, non sans contradictions çà et là, y compris s’agissant des questions intérieures - mais comment pourrait-il en être autrement devant la complexité et le caractère multiforme de ces enjeux ?
Le Président français a réalisé l’acte I de son appel à la « Renaissance européenne » en publiant sa Tribune le 5 mars dernier dans tous les pays membres de l’Union européenne, et même au delà. Il est vrai que dire que « l’Europe est en danger » fait désormais consensus – un danger déjà souligné par des termes similaires par Laurent Cohen-Tanugi dans son ouvrage paru sous ce titre en 1992. De même, un grand nombre d’experts et de personnalités politiques s’accordent désormais à dénoncer les multiples failles d’une construction européenne reposant dans une trop large mesure sur le paradigme néo-libéral. Il serait ainsi devenu nécessaire, voire urgent, de mettre un terme définitif à la course au moins disant fiscal et social en Europe, ou encore de traiter le caractère insuffisamment démocratique de notre Union, en en faisant fondamentalement un outil de protection approprié par ses citoyens, et non plus principalement un véhicule de compétition à la fois entre eux et avec les autres.
Avec sa position ferme – et quelque peu isolée - au dernier Conseil, consistant à raccourir autant que faire se peut l’extension proposée aux Britanniques, nonobstant les risques accrus de Brexit sans accord que cela entraîne, Macron a signé son acte II de la Renaissance de l’Europe, tout en situant la France sur une trajectoire ascendante, à la fois prometteuse pour son avenir, mais non sans risques sur le plan intérieur.
En effet, aller vers une Europe répondant mieux aux préoccupations des populations – en clair, viser un nouveau contrat social avec le peuple européen – est une tâche très ardue, pour ne pas dire un véritable mythe de Sisyphe. Certains considèrent, et les arguments en ce sens sont très robustes, que l’infléchissement du modèle européen annoncé ne pourra se faire sans la révision des Traités, ce qui pose d’immenses questionnements multiples – à la tribune de Macron a répondu celle de Mélenchon, « Sortez des traités, stupides » ! Certains verront dans sa bouche une expression un peu trop flamboyante, voire insultante. Il est en fait plus probable qu’il ait voulu nous renvoyer au « It’s the economy, stupid », lancé par l’équipe de Clinton lors des présidentielles américaines de 1992.
Quoi qu’il en soit, si, comme l’affirmait Michel Barnier dans une récente interview télévisée (interrogé par Cohn-Bendit), la mondialisation s’est développée sur une base excessivement ultra-libérale (Clinton y a d’ailleurs beaucoup contribué), faire une autre Europe n’a jamais été possible avec les Britanniques : les conservateurs (depuis Thatcher), tout comme les travaillistes de la 3è voie (à la Blair), ont toujours manœuvré pour que l’Europe ne soit pas autre chose qu’un grand marché, en cherchant à limiter autant que faire se peut les politiques de solidarité considérées comme un avatar de dirigisme – Thatcher n’ayant-elle pas affirmé, lors de son discours de Bruges en 1988 « Nous n’avons pas fait reculer avec succès les frontières de l’Etat en Grande Bretagne pour qu’elles nous soient réimposées au niveau européen, avec un super Etat européen exerçant une nouvelle domination depuis Bruxelles ». Sauf à penser que les travaillistes puissent prendre le pouvoir durablement au Royaume-Uni, sous la houlette de leur aile gauche incarnée par leur leader J. Corbyn, il est évident que le virage social de l’UE sera facilité par un Brexit abouti aussitôt que possible.
De même que le processus de décision collective dans l’Union sera facilité avec le retrait du seul Etat-membre ayant de tout temps suivi une posture « moitié dedans-moitié dehors », avec la négociation de dérogations supplémentaires (le rabais budgétaire, Schengen, l’euro, …) recherchées sans cesse par une Angleterre que l’ex Premier Ministre Lord Atlee considérait déjà en 1957 comme « semi-détachée » en réponse à une question sur son appartenance à l’Europe. Problématique si bien anticipée en son temps par le Général de Gaulle, ayant fondé son double refus successif d’intégrer le Royaume-Uni. Il n’est pas exagéré de dire que cette démarche de démarcation a toujours été un sport national britannique, et ce jusqu’à Cameron, juste avant le referendum de 2016, pour soutenir le Remain. Les menaces d’obstruction aux institutions européennes proférées récemment par les Brexiteers durs, en cas d’extension longue de l’Article 50, sont encore là, si besoin est, pour venir renforcer cette analyse.
La position ferme du Président français est au surplus nourrie par la défense un peu ‘mercantiliste’ des intérêts de notre nation, qui ne peut lui être reprochée, si tant est qu’elle servira l’intérêt d’une majorité de français et non de quelques-uns, en ces temps où il est également reconnu que la montée des populismes – et la crise des gilets jaunes – est nourrie par un creusement des inégalités inédit depuis la fin du XIXème siècle et par le déclassement des classes moyennes en Occident, dans le contexte d’une mondialisation débridée. En effet, si la France est moins exposée que l’Allemagne au choc du Brexit en matière de production industrielle, elle s’est également préparée à tirer le maximum de bénéfices du départ des britanniques, s’agissant des services financiers, en ambitionnant de devenir la place de choix sur le continent européen au fur et à mesure que la City subira de plein fouet les conséquences du Brexit. Celles-ci pourraient se renforcer très nettement avec le rapatriement dans l’eurozone des transactions financières établies en euros, qui ne pourra s’imposer, sur le plan légal, qu’à la suite du départ effectif du Royaume-Uni (pour être enfin sous la juridiction de la BCE – lorsque cette dernière avait exprimé cette demande, elle avait été déboutée par la CJUE qui avait jugé que la BCE avait outrepassé ses droits selon les Traités). Selon l’émissaire français Ch. Noyer, la France et la place financière de Paris est désormais la mieux placée sur le continent pour attirer les investisseurs et les liquidités, du fait de sa masse critique, de ses bonnes capacités dans tous les segments (banque, assurance, gestion d’actifs), de la présence de quelques grands acteurs, mais également parce que la France a changé d’image auprès des investisseurs, depuis que les réformes fiscales structurelles entamées par le gouvernement Macron les ont convaincu qu’elle n’est plus un pays dirigiste hostile aux capitaux. Ces réformes constituent désormais selon Ch. Noyer les lignes de force à l’international de la France.
L’orientation ‘pro-capital’, retenue dès sa prise de pouvoir par un Président Macron très déterminé en la matière, prend ici tout son sens, mais elle est aussi synonyme de contradictions internes en termes de faisabilité politique et d’équité sociale, compte tenu des effets de report de la fiscalité directe sur la fiscalité indirecte, qui sont de nature à amoindrir la capacité du système français à réduire les inégalités. Et donc à créer le mécontentement des classes modestes et moyennes, déjà en situation difficile.
Mais en fait, ces contradictions en interne ne sont que le reflet des contradictions inéluctables au niveau communautaire. Car au final, si l’on s’accorde sur le constat qu’il faut réformer l’Europe pour l’amener une bonne fois pour toutes sur une trajectoire moins récessive, plus équitable et plus durable, une fois ce diagnostic établi, nous en revenons à la triple question suivante : quelles sont les politiques à mener au niveau communautaire ? Sont-elles compatibles avec les Traités actuels, ou au contraire est-il indispensable de réviser ces derniers ? Et si oui, comment procéder, sur le plan politique, pour y parvenir ?
Sur ces trois questions, fondamentales s’il en est, le consensus risque fort d’être difficile à trouver, aussi bien en interne qu’au niveau du continent… Dans ce début de débat électoral pour les européennes en France, on ne peut pas dire que les réponses apportées par les candidats sont claires à ce niveau. Il est vrai que la couverture des questions européennes, y compris du Brexit, par nos médias audiovisuels est disons, perfectible. La capacité de nos citoyens à mieux comprendre les questions européennes mérite d’être mieux soutenue, surtout si l’on souhaite que leur taux de participation soit plus élevé. C’est l’une des conditions de leur réappropriation des enjeux qu’elles soulèvent. Mais cela est une autre affaire.
Au moins, notre Président a lancé la réflexion puis ouvert, avec les deux premiers actes, le chantier de la Renaissance de l’Europe. Il est nécessaire que la France en prenne les rênes, et le Président Macron a commencé à montrer à ses pairs qu’il entendait bien le faire, au-delà de la rédaction de sa tribune, et même s’ils ne le suivent pas entièrement dans sa vision. Le dernier Conseil en est la parfaite illustration.
Quoi qu’il en soit, il convient désormais de suivre de très près le chantier de la mise en œuvre de cette Renaissance, dans la mesure où plus aucun responsable politique désormais ne peut se contenter de se payer de mots. Si la communication est essentielle, elle ne fait pas tout, même adossée aux indispensables débats et pédagogie.
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