Des îles grecques en échange de l’argent allemand…Voilà, ce que proposent en toute simplicité, des membres de la coalition gouvernementale d’Angela Merkel dans un contexte de forte tension entre la Grèce et l’Allemagne. N’attendez pas que la première radio allemande de France, RTL, vous révèle une telle information, étant donnée qu’elle appartient à l’Empire Bertelsmann [
1].
Dans l’article
Verkauft doch eure Inseln, ihr Pleite-Griechende de l’hebdomadaire à grand tirage
Bild am Sonntag [
1], le député FDP Frank Schäffler a déclaré :
“Die Kanzlerin darf keinen Rechtsbruch begehen, darf Griechenland keine Hilfen versprechen. Der griechische Staat muss sich radikal von Beteiligungen an Firmen trennen und auch Grundbesitz, z.B. unbewohnte Inseln, verkaufen“. Traduction :
"La Chancelière ne doit pas violer le droit, ne doit pas promettre des aides à la Grèce. L’État grec doit se débarrasser de façon radicale de ses participations dans des entreprises, et également vendre des terres, par exemple des îles inhabitées". Ce député a été rejoint dans ses propos par le député CDU Marco Wanderwitz.
Cette vision des deux députés ressemble d’une certaine façon à celle des impérialistes américains qui, lors du XIXe siècle, se sont appropriés des territoires par l’achat [
2].
De tels propos ne vont certainement pas apaiser les relations greco-allemande qui sont particulièrement tendues. Le traitement de la crise grecque par la presse allemande a été très mal ressentie en Grèce. La Vénus de Milo drapée du drapeau grec faisant un doigt d’honneur en couverture de l’hebdomadaire allemand Focus, le 22/02/10, avec pour tout commentaire “il y a des voleurs dans la famille européenne”, a déclenché un véritable tollé en Grèce comme l’illustre le reportage suivant :
La correspondante du journal suisse
Le Temps, Angélique Kourounis, dans son article
L’amertume des Grecs envers l’Allemagne [
3] du 27 février dernier, rapporte que
« le maire d’Athènes s’en est pris à la chancelière allemande, lui rappelant les dettes de l’Allemagne vis-à-vis de la Grèce. “Vous nous devez 70 milliards d’euros pour les ruines que vous avez laissées”, a-t-il déclaré dans un communiqué, faisant allusion à une bataille qui oppose les deux pays sur les réparations de guerre. “Vous nous devez Distomo et Kalavrita”, a-t-il également rappelé dans une conférence de presse évoquant les deux villages martyrs de Grèce dont les habitants ont été massacrés par l’armée allemande en retraite.
Berlin a rejeté ces accusations, estimant que le dossier était clos depuis un versement d’indemnités, en 1960, de 4,4 milliards d’euros. C’était sans compter le rappel à l’ordre du tonitruant Théodore Pangalos, numéro deux du gouvernement et ancien ministre des Affaires étrangères : “En partant en 1945, les Allemands ont pris tout l’or de la banque de Grèce ! On ne demande pas qu’ils le rendent, mais qu’ils disent au moins merci et qu’ils cessent de parler de nos déficits.” »
De plus, beaucoup de commentaires ont aussi montré du doigt l’entreprise allemande Siemens impliquée dans l’un des plus grand scandales de corruption en Grèce [
4] et le journal athénien
Eleftheros Typos a voulu contre-attaquer en présentant une photo de l’ange de la colonne de la Victoire, à Berlin, une croix gammée à la main, avec la légende :
"Le nazisme financier menace l’Europe" [
5].
Le président de la Bundesbank, Axel Weber, avait déclaré fin janvier :
"Il est impossible de justifier auprès des électeurs qu’on aide un autre pays afin que ce dernier puisse s’épargner les douloureux efforts d’adaptation qu’on a soi-même endurés" [
6]. La Grèce doit s’adapter quitte à en crever.
Le député Frank Schäffler a aussi rajouté dans l’article
Rechtsbruch mit Folgen [
7] du 02/03/10 que
"Der Fall Griechenland zeigt, dass die Nichteinhaltung von europäischen Verträgen erhebliche Auswirkungen auf die Wirtschaftsverfassung hat. Die Finanzhilfen, die von den Staats- und Regierungschefs der EU auf ihrem informellen Treffen am 11. Februar 2010 Griechenland in Aussicht gestellt wurden, gefährden nicht nur die Stabilität des Euro.Die Vereinbarungen der Staats- und Regierungschefs der EU sind eine Verabredung zum kollektiven Rechtsbruch [...] Griechenland hat durch seinen erschlichenen Beitritt in die Euro-Zone das Recht gebrochen [...] Dieser Rechtsbruch wird nicht durch die Verabredung zum kollektiven Rechtsbruch vom 11. Februar 2010 geheilt, sondern nur durch den Austritt von Griechenland aus dem Euro." Traduction :
"le non-respect des traités européens a d’importantes conséquences sur l’économie, comme le montre le cas de la Grèce. En laissant entrevoir à la Grèce qu’ils pourraient l’aider financièrement, lors de leur réunion informelle du 11 février 2010, les chefs d’État et de gouvernement de l’U.E. ne mettent pas seulement en danger la stabilité de l’euro. Ils se sont mis d’accord pour une violation collective du droit [...] La Grèce s’est livrée à une violation du droit pour pouvoir entrer dans la zone euro. [...] Cette violation du droit ne peut pas être réparée par la violation collective du droit décidée le 11 février 2010, elle ne peut l’être que si la Grèce sort de l’euro".
La Grèce qui sort de l’euro…Elle devrait ne pas être la seule car
« le pays est, semble-t-il, loin d’être le seul à avoir eu recours à des astuces financières conseillées par des banques de New York et de Londres. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie le Portugal ont, eux aussi, “optimisé” leurs comptes avec l’aide de Goldman Sachs, JP Morgan, Barclays ou encore “feu Lehman Brothers”. » [
8]
Si les Allemands cherchent les escrocs, Étienne Chouard en donne une bonne définition :
« Autrefois, les États partageaient avec les banques privées le droit de création monétaire. Comment faisaient-ils ? L’État avait la possibilité d’emprunter auprès de sa banque centrale et de lui rembourser au fur et à mesure de ses recettes. La différence, c’est que l’État ne payait pas d’intérêts.
C’est là qu’il s’est passé quelque chose d’absolument majeur. En 1974 a eu lieu la dernière émission de monnaie par la Banque de France et depuis, l’État s’est, de fait, interdit de créer de la monnaie. Concrètement, il s’est interdit d’emprunter auprès de la banque centrale. Cela a comme conséquence de payer beaucoup plus cher tout ce dont l’État a besoin et qui est financé par le crédit.
Je ne sais pas comment les banquiers ont fait pour obtenir du gouvernement cette espèce de hara-kiri monétaire qui consiste à se priver soi-même d’un pouvoir considérable et essentiel dans la politique du pays. Ce sabordage monétaire a été monté au plus haut niveau du droit, à la faveur des "traités constitutionnels", par l’article 104 du traité de Maastricht, devenu l’article 123 du traité de Lisbonne consolidé, qui rend ce sabordage irréversible, hors d’atteinte des citoyens. » [
9]
La dette publique, une affaire rentable pour les banquiers et les grands capitalistes, leur permettant en particulier de s’approprier les richesses des nations.
Si les Allemands s’approprient des îles grecques, les soldats allemands qui siègeront sur celles-ci, arboreront-ils la croix de fer ? Yvonne Bollmann, dans son livre
Ce que veut l’Allemagne rapporte le fait que le député allemand de la CDU Fulda Martin Hohmann, dans
Junge Freiheit du 21 décembre 2001,
"en a demandé la réactivation, pour récompenser la bravoure des soldats de la Bundeswehr en Afghanistan" [
10]. Et la future armée européenne souhaitée par le chef de la diplomatie allemande, Guido Westerwelle [
11], défilera-t-elle à côté de la colonne de la Victoire, surmontée de l’ange qui tient
“dans la main gauche un javelot dont la pointe porte la croix de fer” [
12].
Le poète grec Georges Séféris (Γιώργος Σεφέρης), dans son discours prononcé lors de la remise du prix Nobel de littérature en 1963 avait déclaré :
"J’appartiens à un petit pays. Une pointe rocailleuse sur la Méditerranée, où il n’y a pas d’autre richesse que la lutte de son peuple, la mer et la lumière du soleil. Elle est petite notre terre, mais son patrimoine est énorme." [
13]
Ces propos sont plus que jamais d’actualité. Le peuple grec vient de nouveau de rentrer en lutte et je suis de tout cœur avec lui.
[1] Verkauft doch eure Inseln, ihr Pleite-Griechende, Bild am Sonntag, le 04/03/10.
[2] Jacques Leclerc, L’expansion territoriale (1803-1867) dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 30 avril 2007.
[3] Article d’Angélique Kourounis, L’amertume des Grecs envers l’Allemagne, letemps.ch, le 27/02/10.
[4] Tollé en Grèce après les accusations d’un hebdomadaire allemand, RFI, le 26/02/10.
[5] Article de Sébastien Vannier, Bisbilles entre l’Allemagne et la Grèce, ouest-france.fr, le 26/02/10.
[6] Article de Cécile Calla, Berlin veut apaiser son opinion sur la crise grecque, journal Le Monde, le 28/02/10.
[7] http://www.frank-schaeffler.de/presse/medienspiegel/1187
[8] La Grèce n’est pas la seule à “maquiller” sa dette, lemonde.fr, le 19/02/10.
[9] Le traité européen de Lisbonne est-il fondamentalement différent de celui rejeté en 2005 ?, lemonde.fr, le 10/12/07.
[10] Yvonne Bollmann, Ce que veut l’Allemagne, p.51, Éditions Bartillat, 2003.
[11] L’Empire européen veut son armée.
[12] Ibidem que [10], p. 56.
[13] "Pays de l’homme qui ne pouvez supporter la vue de l’homme", Giorgos Seferis.