L’aveu de Günter Grass : un éclairage pour l’Europe
En reconnaissant, avec un certain courage, son appartenance aux Waffen SS, lorsqu’il était jeune, l’écrivain allemand Günter Grass assume un passé collectif qui nous rappelle à notre « devoir d’Europe ».
Günter Grass a déclenché la polémique en révélant son passé dans les Waffen SS, l’armée de Hitler. Soixante après, cette révélation choque d’autant plus que l’intellectuel allemand est considéré par beaucoup comme une autorité morale peu contestable. La fronde déclenchée contre lui engendre deux types de questions.
D’abord peut-on réellement juger un acte de jeunesse lié à un contexte historique qui s’éloigne de plus en plus ? Comme le dit Grass lui-même, « le travail sur le passé est une expression inadéquate, comprendre ne peut être qu’une approximation. » Ensuite, n’y a-t-il pas un certain courage à exprimer à titre personnel ce poids de l’histoire lorsque l’on est un vieux monsieur ayant déjà posé quelques pierres sur l’édifice de son époque ?
Le bannissement moral n’est sans doute pas une solution au malaise engendré par l’aveu de Günter Grass. Personnellement, j’aurais tendance à y voir à la fois du courage et un éclairage pour l’Europe. Cette réflexion est née à la lecture de l’entretien que l’écrivain a donné au Frankfurter Allgemeine Zeitung, le 12 août dernier (traduction publiée ensuite par Le Monde du 17 août). Dans cet article, Grass explique deux choses importantes à mes yeux : d’une part, une large frange de la jeunesse allemande était alors séduite par l’hitlérisme ; et d’autre part, les nazis ont bénéficié de la complicité objective des communistes dans la mise à l’index de ceux que Hitler et ses sbires appelaient les « fascistes socialistes », autrement dit les sociaux-démocrates de l’époque, incarnant une République de Weimar dans la tourmente.
Il faut probablement du courage pour assumer son passé d’Allemand comme le fait Grass, avec le recul. L’intellectuel nous offre une certaine leçon de lucidité, quand bien même cette leçon serait-elle involontaire, quand bien même s’il s’agissait surtout d’une confession qui soulage son auteur à l’aube de ses 80 ans.
Mais surtout, les propos du prix Nobel de Littérature (1999) nous rappellent une réalité historique cruciale : à certaines périodes, les extrémistes se donnent toujours la main pour tenter d’arracher le pouvoir. Depuis la sortie de la Seconde Guerre mondiale, et ensuite avec la chute du mur de Berlin, l’Europe a réussi à faire valoir et à consolider - non sans heurts - une conception nouvelle : la démocratie du compromis dans la diversité des peuples. En période de crise, comme actuellement, ce n’est jamais facile de défendre son propre modèle. C’est beaucoup plus simple de sombrer dans le dédain, la haine, voire l’horreur. Mais ce modèle européen est le meilleur héritage de notre Histoire, plus efficace que tous les « travaux sur le passé » ou les « devoirs de mémoire » que nous ne pourrons jamais inventer pour « comprendre » la guerre et le génocide.
Aujourd’hui, il y a à peu près un seul métier que l’on ne peut pas exercer impunément en Europe, celui de dictateur. Il est plus que souhaitable que les extrémistes de tous horizons retiennent la leçon. Encore faut-il pour cela que les sociaux-démocrates, de gauche ou de droite, défendent et fassent progresser ce modèle que l’on appelle Europe. Modèle unique au monde.
Laurent Watrin
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